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3 mars 2016
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Dès 1944, la Pologne qui recouvre son indépendance, convie ses ressortissants disséminés à travers le monde à participer à l'effort de reconstruction. Des milliers de mineurs de charbon d'Europe occidentale, de France, mais aussi de Belgique ou d'Allemagne, font le choix du retour dans un pays exsangue aux frontières redessinées. Le 20 février 1946, la France et la Pologne signent une première convention de rapatriement. Elle prévoit le retour en Pologne de 5.000 travailleurs, cette année-là. Les mineurs de charbon du Nord-Pas-de-Calais seront les pionniers de cette œuvre de reconstruction et de "polonisation".



Population décimée, campagnes dévastées, villes rasées, industrie ravagée... Libérée de six années d’occupation nazie par l’Armée rouge, la Pologne est un champ de ruine à l’été 1945. A Yalta (février 1945) et Potsdam (juillet-août 1945) les Alliés entérinent l’idée d’un glissement de ses frontières d’avant-guerre vers l’ouest. La Pologne perd ses territoires orientaux rendus à l’URSS, mais gagnent en compensation des terres au Nord (Poméranie, Prusse orientale) et à l’Ouest comme la Basse-Silésie autour de Wroclaw et Walbrzycz d’où les Allemands sont chassés.

Confrontée à la double nécessité de la reconstruction et du repeuplement de ces « territoires recouvrés », la Pologne appelle ses enfants disséminés à travers le monde à réémigrer. Le « grand retour à la maison commence », assure le gouvernement. Désormais, « plus personne ne sera obligé d’aller chercher son gagne-pain à l’étranger », prétend Edward Osobka-Morawski, le président du Conseil, le 26 juillet 1945. Une première dans l’histoire récente de ce pays !

Dès l’été 1945 et la reconnaissance par les Alliés du Gouvernement provisoire d’unité nationale proche de l’URSS, cet appel est entendu en France et notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, les départements les plus « polonisés » de France, où vivaient en 1936 150.000 Polonais conviés, dans la foulée de la Première Guerre mondiale, à y relancer la production charbonnière.

A la Libération, les premiers départs « sauvages » d’une main-d’œuvre appréciée pour ses aptitudes professionnelles, inquiètent les autorités françaises engagées dans la Bataille du charbon. D’autant que les Polonais, notamment employés à l’abattage, constituent encore à l’époque 20 % des effectifs totaux des Houillères du Nord-Pas-de-Calais. Aussi plutôt que de subir ces départs, l’État français se résout à faciliter la tâche aux autorités polonaises, en les organisant de façon à « éviter de provoquer des perturbations dans l’effort de production ». Et à la condition que la Pologne s’engage également à lui livrer ce charbon « pain de l’industrie » dont la France a tant besoin.

Au total, quatre accords franco-polonais portant sur la période « 1946 - 1948 » préciseront les modalités de rapatriements de 40.000 Polonais de France, travailleurs de l’industrie (principalement minière et métallurgique) et de l’agriculture, accompagnés de leurs proches. La première de ces conventions est donc signée le 20 février 1946. Aux rapatriés des conditions de retour particulièrement avantageuses (voyage payé, établissements de passeports collectifs, possibilité de partir en famille avec meubles et cheptel, assurance d’un logement et d’un travail sur place !) sont proposées.

Avec le soutien du PCF et de la CGT

En voie de restructuration, le puissant et très politisé mouvement associatif polonais de France se déchire d’emblée sur la question. Si le Conseil national des Polonais de France (Rada narodowa polakow we Francji / RNP), favorable au nouveau régime, exhorte aux retours, l’Union centrale des Polonais de France (Centralny Zwiazek polakow we Francji / CZP), proche du gouvernement polonais en exil à Londres, s’y oppose. Quant à l’Union des associations catholiques polonaises (Polskie Zjednoczenie katolickie / PZK) placée sous la férule de la Mission catholique polonaise de France, elle reste dans une prudente expectative. Au début tout au moins.

Côté français, le Parti communiste français (PCF), au nom des valeurs de l’internationalisme prolétarien, en accepte l’idée. Tout comme la Confédération générale du travail (CGT) au faîte de sa puissance en 1946. Un représentant des « sections polonaises » de la CGT intègre d’ailleurs la commission mixte franco-polonaise qui, au ministère du Travail, a pour mission d’organiser ces retours (échelonnement des départs, répartition par groupes et fosses des rapatriés, etc.).

Motivations multiples

Si les autorités polonaises mobilisent autour de mots d’ordre hautement patriotiques, les motivations des candidats au départ restent variées. Anciens résistants des Francs-tireurs et partisans (FTP) ou brigadistes internationales en Espagne, membres de l’antenne française du Parti ouvrier polonais (PPR) au pouvoir en Pologne, les militants communistes ne cachent pas leur sympathie pour les dirigeants de cette Pologne « populaire » qui envisagent de l’engager sur la voie du socialisme. A l’été 1948, Jacques Estager accompagne l’un de ces convois de rapatriés de Douai (Nord) à Walbrzych (Basse-Silésie) (1).

Il explique que ces pionniers étaient rentrés « dans leur patrie pour aider au triomphe du régime naissant ». L’état d’insécurité permanent dans lequel ont été plongés les travailleurs polonais de 1931 jusqu’en 1936 et la (courte) embellie du Front populaire, incite certainement une frange moins convaincue de la communauté à quitter la France pour ne pas risquer de revivre cette « période noire » au cours de laquelle, victimes d’une IIIe République sans scrupules, 140.000 Polonais ont été renvoyés dans des conditions souvent dramatiques !

On repart enfin pour des raisons sentimentales (« Finir ses jours au pays ») ou purement matérielles. Même si contrairement à une idée largement répandue aujourd’hui, jamais la propagande officielle n’a fait état d’un « Paradis sur terre au-delà de l’Oder », les conditions nouvelles offertes par la Pologne populaire décident aussi des personnes guidées par des perspectives de salaires plus élevés ou de promotion sociale.

Vers la Silésie

Le premier convoi quitte la gare de Lens (Pas-de-Calais), le 15 mai 1946, devant une assistance nombreuse estimée à 10.000 personnes ! L’ambassadeur de Pologne en France se fend d’un vibrant discours en faveur du redressement national. Jusqu’en décembre 1948, les convois se succèdent au départ des gares de Lens, mais aussi de Bruay-en-Artois et Arras (Pas-de-Calais) ou de Douai et Valenciennes (Nord)...

Souvent les wagons sont pavoisés de rouge et de blanc, les couleurs de la Pologne, et parfois les locomotives du portrait du maréchal Staline. A travers l’Allemagne puis la Tchécoslovaquie, le voyage, dans des wagons à bestiaux (pénurie oblige !) dure près d’une semaine jusqu’à la ville-frontière de Miedzylesie où les rapatriés sont accueillis en musique avant d’être acheminés vers les bassins houillers de Silésie du côté de Bytom, Gliwice, Sosnowiec, Walbrzych ou encore Zabrze… Ils y sont au contact de compatriotes en provenance du centre de la Pologne ou des territoires de l’est.

La cohabitation ne se passe pas toujours bien. Véritables fers de lance de cette œuvre de reconstruction et de polonisation, les mineurs du Nord constituent une aristocratie ouvrière instruite et professionnellement aguerrie. Ils se heurtent parfois à l’hostilité de compatriotes en provenance des campagnes surpeuplées du centre du pays ou des territoires de l’est, qui les soupçonnent de sympathies pour le régime pro-soviétique en place. Les Francuzi cultivent volontiers leur francité. Et une tendance au repli identitaire. Formant des communautés hybrides (« ni tout à fait françaises, plus réellement polonaises »), ils ouvrent des boulangeries et cafés français, écoutent de la musette et organisent des bals le 14 juillet en souvenir de la fête nationale... française ! Ici, des habitudes, des modes de vie « se confrontent et s’opposent ». « Il faudra bien dix ans pour que nous nous mélangions aux autres Polonais », reconnaît Henryk Skirlo, originaire de Libercourt (Pas-de-Calais), rapatrié en 1946 (2).

Un « système social performant »

A l’instar de Thomas Pietka, ancien ouvrier dans le Valenciennois, devenu préfet de la région de Walbrzych, ou de l’ex-mineur de Sallaumines (Pas-de-Calais) Antony Walczak élu maire de Walbrzych, beaucoup entament de brillants parcours au sein de l’administration, de l’appareil politique ou syndical, ou au service des collectivités locales. Rapatrié de Mazingarbe (Pas-de-Calais) en 1947, Félix Juskowiak, alors âgé de 24 ans, appréhendait sa nouvelle situation avec satisfaction. « Là-bas, le système social était performant. Le syndicat exerçait un réel contrôle sur la vie sociale. Tout le monde avait droit aux vacances dans des centres de repos très nombreux.

Nous ne manquions pas de produits de premières nécessités contrairement à ce qui pouvait être dit, ici en France », confiait-il en 1998. « Nous étions jeunes. Nous avions une vie normale, on allait au bal, on s’amusait. On ne pensait pas à la politique. Il y avait bien une armée russe, mais pas des policiers à tous les coins de rue », commentent Czeslawa et Stefan Wlodarczyk, tous deux partis du Pas-de-Calais en 1947 pour Walbrzych (3).

D’autres au contraire manifestent de la nostalgie et le désir rarement exaucé de revenir en France. Certains y parviendront cependant, parfois au terme de rocambolesques périples. L’adaptation a pu sembler difficile à ceux qui « pensaient s’installer dans une sorte de paradis sur terre, oasis de douceur dans une Europe exsangue et dévastée par la guerre. Ceux-là ont connu des déceptions. Ils ont trouvé en Pologne, le chaos, les ruines, les dévastations », estime Jacques Estager.

« Une baisse d’enthousiasme sensible »

A l’heure où la République française multiplie les initiatives pour conserver sa main-d’œuvre polonaise, nul doute qu’à l’époque les échos faisant état de difficultés d’adaptation ont eu un impact négatif sur la mobilisation. Les campagnes de désinformation orchestrées par le CZP, ou, plus tard, par le quotidien d’inspiration démocrate-chrétienne Narodowiec, ne sont pas non plus étrangères à cette « baisse d’enthousiasme sensible » que les observateurs constatent dès 1947 sur la foi de désistements croissants. Le CZP répand les rumeurs les plus alarmistes quant à la situation intérieure polonaise (« Ravitaillements irréguliers, vie chère ! ») et dresse l’épouvantail de la répression (« Ceux qui n’appartiennent pas au Parti ouvrier sont envoyés en Sibérie ! »).

Mêlée aux effets de la dégradation de la situation internationale qui fait, en ces temps de Guerre froide, de la Pologne un champ de bataille potentiel entre l’Est et l’Ouest, cette propagande hostile achève de décourager les indécis alors que le pays semble se redresser à pas de géant... sans l’aide américaine du plan Marshall. En 1948, « on peut affirmer que le niveau de vie du mineur polonais a rattrapé et dépassé le niveau de vie du mineur français.

Dans un pays où les conditions de vie des travailleurs étaient avant la guerre, véritablement misérables, et où les destructions dépassent en ampleur tout ce que l’on peut imaginer, c’est une victoire incalculable de la jeune démocratie populaire polonaise », souligne ainsi Jacques Estager. Il met l’accent sur les progrès réalisés en matière d’accès à la santé, à l’éducation et à la culture dans un pays bien décidé à rompre avec ses traditions féodales et inégalitaires du temps de l’autoritaire Pologne de Pilsudcki puis de la fascisante Pologne des Colonels.

Les effets de l’enracinement !

Même si la Pologne, à sa seule initiative désormais, continuera pendant quelques mois à envisager des retours collectifs, la non-reconduction en 1949 des accords de rapatriements et des facilités qu’ils procuraient, met un terme à un processus qui s’est surtout heurté à l’opposition des immigrés polonais de la 2e génération. Pour être nés en France ou y avoir émigré enfants, ceux-ci manifestent majoritairement, au-delà de toutes considérations politiques, le souci de rester dans le pays qui les a vus grandir. En voie d’assimilation, s’exprimant désormais dans la langue de Molière, n’ayant pas ou peu connu la Pologne d’avant-guerre, ils envisagent ces départs comme un déchirement.

C’est le cas d’Anna Grzeda qui gagne le pays de ses aïeux sous la contrainte. « J’avais 12 ans quand j’ai quitté Hulluch, près de Lens, en juillet 1946. Née en France, j’y ai fait ma scolarité et ma communion. La Pologne ? C’était la peur de l’inconnu, je ne voulais pas y aller. A Bytom en Silésie, tout me paraissait gris. Les conditions de vie étaient difficiles », explique-t-elle (4). En 1965, elle fera le chemin inverse et vit désormais à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais). Le pas de l’installation définitive sera franchie quand, en 1949, le très clérical et influent Congrès des Polonais de France (Kongress polonii francuskiej / KPF) qui a succédé au PZK, invite ses membres à se considérer « non plus comme des émigrés appelés à retourner en Pologne, mais comme des Polonais de France ayant choisi de rester dans le pays qui les a accueillis ».

L’ambassade de Pologne à Paris et le consulat général de Lille (Nord) sont d’autant moins enclins à contrebalancer ces mots d’ordre néfastes que leurs partisans sont pour beaucoup retournés en Pologne. De façon volontaire car ces « cadres » se devaient de montrer l’exemple ou contraints sous le coup de mesures d’expulsion. Celles-ci se multiplient à la charnière des années 1940 et 1950 à l’heure de la dégradation des relations franco-polonaises.

Au nom de l’amitié franco-polonaise

Dans les années qui suivent la Libération, 62 000 Polonais de France auraient (re)gagné la mère-patrie, dont 6 000 mineurs du Nord-Pas-de-Calais (soit un mineur polonais sur six). Ils auront été les bâtisseurs de la Pologne populaire. Considérés dès leur arrivée comme des « rouges » par la frange la moins éclairée et la plus réactionnaire de l’opinion polonaise, les rapatriés n’auront de cesse de cultiver l’amour de la France, de sa langue, sa culture. En 2006, à Walbrzych, à la mine Thorez (du nom de l’ancien dirigeant du PCF) des rapatriés fiers de leur double appartenance et de leur ancrage dans le monde du travail, déposaient des fleurs au pied de la plaque élevé pour le 60e anniversaire des rapatriements.

Au printemps 2011, la Chorale francophone de cette cité de Basse-Silésie s’est, à l’invitation de la CGT locale, produite à Bruay-La-Buissière (Pas-de-Calais) entonnant L’Internationale à l’occasion du 70e anniversaire de la grève patriotique des mineurs du Nord-Pas-de-Calais de Mai-Juin 1941. Une façon, ici comme là-bas, de prolonger cette page glorieuse de l’histoire des relations franco-polonaises marquées du sceau de l’internationalisme prolétarien.

La célébration du 70e anniversaire

A Walbrzych, Bogdan Krol préside aujourd’hui la Maison de la Bretagne, une association fondée durant l’état de guerre. A 82 ans, il éprouve toujours de la « nostalgie pour le pays perdu » (5). Chaque année le 14 juillet, il dépose des fleurs au pied de la stèle élevée en hommage au général de Gaulle. Pour marquer le 70e anniversaire du premier départ de Lens, il travaille à la réalisation d’une exposition qui devrait être présentée en mai prochain en Basse-Silésie puis en Artois. Histoire aussi d’offrir aux descendants de rapatriés « de renouer avec leurs racines » et ainsi continuer de « transmettre cette double culture » !

Quant à l’association des Amis d’Edward Gierek (6), elle envisage à la réédition de l’ouvrage de Jacques Estager et de célébrer le 70e anniversaire en lien avec la Fédération du Pas-de-Calais du PCF et la Fédération CGT des mineurs.

Notes :
(1) Jacques Estager, Découverte de la Pologne, Paris, L’Amitié franco-polonaise, 1949, 80 p.
(2) Interview d’Henryk Skirlo, Gliwice, 1991
(3) Interview de Czeslawa et Stefan Wlodarczyk, Walbrzych, 2009
(4) Interview d’ Anna Grzeda, Loos-en-Gohelle, 2015
(5) Interview téléphonique de Bogdan Krol, 2015
(6) Basée à Rebreuve-Ranchicourt (Pas-de-Calais), l’association porte le nom d’Edward Gierek (1913 - 2001). Expulsé de France suite à la grève d’août 1934 de Leforest, ce mineur de charbon gagne rapidement la Belgique d’où il sera lui-même rapatrié en 1948. En 1970, Edward Gierek accède au rang de chef d’État en Pologne populaire.

Source : Investig’Action