۱۳۹۴ آذر ۲۱, شنبه

Contrecarrer le changement démocratique

10 décembre 2015
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Investig'Action vous propose quelques morceaux choisis du livre de Ben White, Etre Palestinien en Israël. Edité par La Guillotine, cet ouvrage indispensable traite d’une question clé ignorée par le “processus de paix” officiel et par les commentateurs les plus influents : celle de la minorité palestinienne à l’intérieur d’Israël. Nous reproduisons ici, avec l'aimable autorisation de l'éditeur, un chapitre consacré à la criminalisation des efforts démocratiques en Israël.

Depuis 1948, les autorités israéliennes ont défini clairement l’espace qui serait « accordé » aux changements radicaux et à la contestation, une possibilité particulièrement limitée pour les citoyens palestiniens. Dans ce chapitre, nous allons considérer comment les efforts pour critiquer pacifiquement la structure de privilèges réservés aux Juifs ont été bloqués et criminalisés : depuis les années 1950, où un petit garçon de douze ans a eu à répondre à un gouverneur militaire pour un poème, jusqu’à aujourd’hui, où l’objectif déclaré du service de sécurité intérieur israélien, le Shin Bet, est de cibler les citoyens qui, à l’intérieur des limites que la démocratie leur accorde, remettent en question la nature d’un Israël « juif et démocratique ».

LA LOI MARTIALE

Le régime (de la loi martiale)… a été conçu pour organiser la ségrégation sociale entre Juifs et Arabes, s’approprier certaines ressources importantes pour la population arabe et réguler et diriger le comportement de la minorité arabe au service de la majorité juive1.

Dans le nouvel État israélien, les citoyens palestiniens ont été maintenus sous un régime militaire, la loi martiale, qui devait transformer leur communauté le temps d’une génération. Il est ironique de rappeler que celui qui est devenu le ministre israélien de la Justice, Dov Yosef, avait décrit les lois d’urgence de la Défense britannique – qui ont servi de base pour le régime militaire israélien – comme du « terrorisme sous un cachet officiel2 ». Le régime de la loi martiale n’a été officiellement aboli qu’en 1966, c’est-à-dire qu’il a duré tout le temps d’une génération post-Nakba. Avec le temps, certains éléments de la loi avaient été abandonnés, mais, pratiquement dix ans après la création de l’État, 80 à 90 % des citoyens palestiniens vivaient toujours sous la loi martiale3.

Yehoshua Palmon fut le premier conseiller aux Affaires arabes auprès du Premier ministre israélien, un rôle qui le rendit à la fois « responsable de la liaison entre le gouverneur militaire et les différents ministères du gouvernement et de la coordination de la loi martiale4 ». Il décrira plus tard la politique envers les citoyens palestiniens comme une politique de « développement séparé » réalisée, précisa-t-il, afin de « faire fonctionner un régime démocratique au sein de la seule population juive ». Un autre conseiller aux Affaires arabes, Uri Lubrani, l’a exprimé de cette façon : « Nous leur avons donné des tracteurs, l’accès à l’électricité et au progrès, mais nous avons pris la terre et restreint leur liberté de mouvement […]. S’ils [les Arabes] étaient restés des fendeurs de bois, les tenir aurait été bien plus simple5. »

La loi martiale a été un outil important pour les autorités israéliennes, qui l’ont utilisée pour “déplacer” ou “relocaliser” des groupes de citoyens palestiniens, en particulier dans le Néguev et les villages frontaliers6. Au moins 2 000 Palestiniens avaient été ainsi “transférés” à Gaza en 1950, pendant que, selon un rapport du ministère des Affaires étrangères portant sur la période 1949-1953, Israël chassait près de 17 000 Bédouins du Néguev7. Il y avait aussi l’article 125 des Règlements d’urgence (voir chapitre 2) qui autorisait « la fermeture de toute zone pour raison de sûreté » et l’expulsion « de ses habitants8 ». Soumettre les citoyens palestiniens à ces diverses réglementations militaires « avait pour but de renforcer les objectifs du sionisme visant à la construction d’Israël en tant qu’État juif9 ».

Pour les Palestiniens, un des aspects les plus coûteux et restrictifs de la loi martiale – que l’on retrouve aujourd’hui en Cisjordanie occupée – était le système des permis de circulation. Ce contrôle de la liberté de mouvement des Palestiniens imposait l’obligation « de posséder en permanence documents d’identité et permis de circulation » ; « les autobus étaient fréquemment arrêtés sur la route » afin de faire descendre « les passagers arabes » pour « vérifier leurs autorisations10 ».

Ainsi, sur neuf mois en 1951, plus de 2 000 citoyens palestiniens ont été jugés par des tribunaux militaires « pour être entrés ou sortis de zones fermées sans permis11 ». Ces restrictions ont été peu à peu relâchées, pourtant en 1958, seul un Palestinien sur trois de ces « zones militaires possédait un permis de circulation en moyenne12 ». Même en 1964, « les restrictions fondamentales subsistaient ». Samuel Divon, deuxième conseiller aux Affaires arabes du Premier ministre, répondit sur ce sujet :
Imaginez ce qui se produirait si nous abolissions les restrictions : les Arabes qui vivaient dans les villages vidés… y reviendraient et se terreraient dans leurs ruines, réclamant leurs champs… Et après quoi, ayant créé autant d’ennuis que possible au sujet de leurs propres terres, ils commenceraient à réclamer à grands cris le retour des réfugiés13.

Un avantage essentiel, clé de la loi martiale, du point de vue des dirigeants politico-sécuritaires israéliens, était la possibilité de réprimer la contestation palestinienne. Effectivement, Yigal Allon, l’ex-général puis député à la Knesset, s’était battu en 1959 en faveur de l’administration militaire en soutenant qu’elle fournissait « une assise juridique pour des actions menées contre des organisations déloyales et pour punir les traîtres », ainsi qu’« une base pour prévenir et dissuader toute action politique ou organisation hostile14 ».

Les mesures prises contre ces “traîtres” palestiniens étaient extrêmement sévères. Samuel Divon décrivait ainsi l’approche contre toute opposition : Ben Gourion nous rappelle toujours qu’on ne peut pas s’organiser en fonction d’une possible subversion dans laquelle la minorité arabe ne s’est pas engagée ; nous devons être guidés par ce qu’ils auraient pu faire s’ils en avaient eu l’occasion15.

Des militants politiques palestiniens « furent souvent exilés de leurs villages ou placés en détention administrative » et « des villages entiers » ont pu être punis, par exemple, pour avoir revendiqué des améliorations d’infrastructures qui leur avaient été refusées16. Même les enfants n’étaient pas épargnés : quand il n’était qu’un petit garçon de 12 ans, le poète palestinien Mahmoud Darwich fut convoqué par le gouverneur militaire après avoir récité un poème qui « réfléchissait sur notre situation d’Arabes forcés à célébrer le jour de l’indépendance d’Israël17 ». En même temps, un nécessaire « comportement politique approprié » permettait d’obtenir des “droits” comme celui de travailler ou de voyager18.

De plus, les citoyens palestiniens sous administration militaire étaient jugés par des tribunaux de l’armée et il était souvent impossible de « faire appel des jugements devant une juridiction civile19 ». Le juge du tribunal militaire n’était pas obligé « d’expliquer l’utilisation de l’expression “considérations de sécurité” pour justifier de soupçons, punitions ou procédures20 ». Une réglementation utilisée par le régime « rendait possible de placer une personne sous arrêt administratif pour une période illimitée, sans explication et sans jugement21 ». Dans leur politique de contrôle de la minorité palestinienne, les forces de sûreté israéliennes « ont rapidement créé un réseau d’informateurs et de collaborateurs22 ». Une des tâches de ces informateurs était de « garder un œil attentif sur les enseignants » dans le cadre d’un « système exhaustif de rapports » remis aux autorités23. Il a été révélé récemment que les services secrets ont même envoyé des espions vivre dans des villages palestiniens, s’y marier et y fonder des familles24.

En complément d’un système de surveillance et de récompense/punition, la confiscation de la démocratie figurait en haut de la liste des priorités ; une politique légitimée par la prétention que les « conditions existant dans la communauté arabe » étaient impropres à des élections démocratiques25. En 1953, Yehoshua Palmon, le conseiller aux Affaires arabes, l’a formulé ainsi : « Dans la communauté arabe, on doit choisir une “voie médiane” ne présentant pas trop de démocratie26. » Quand les élections locales de conseils de village furent autorisées, elles furent manipulées par les agences de sûreté pour s’assurer « que “leurs” Arabes se retrouvent dans des positions de pouvoir27 ». De plus, il y avait une tentative délibérée d’encourager la fragmentation des Palestiniens selon des positions sectaires « [afin] d’exacerber les différences et la discorde » et « de monter les communautés religieuses ou ethniques les unes contre les autres28 ».

Les objectifs politiques de la loi martiale dans les premières années de son existence furent résumés par les mots suivants, contenus dans un mémorandum secret : « La politique du gouvernement… a cherché à diviser la population arabe en différentes communautés et régions29. »

Dans le cadre du régime de contrôle général d’Israël, un des principaux objectifs de l’administration militaire était de « façonner la conscience et l’identité arabe » afin de créer « cette nouvelle identité d’Arabe israélien30 ». En consignant les discours des Arabes au quotidien, en convoquant et interrogeant les Arabes critiquant l’État, les services de sécurité “enseignaient” à la minorité ce qu’il était approprié de dire et ce qui était inacceptable, modelant ainsi les contours du discours politique arabe en Israël31.

La répression de toute contestation continue jusqu’à ce jour, donc bien après la levée de la loi martiale en 1966. Le tristement célèbre mémorandum Koenig de 1976, mentionné au chapitre 3 dans le contexte de la judaïsation, recommande l’adoption de « mesures sévères à tous les niveaux contre les divers agitateurs se trouvant parmi les étudiants des lycées et universités32 ». En 1980, le professeur Ian Lustick décrit comment le Bureau du conseiller aux Affaires arabes auprès du Premier ministre suggérait aux universités que les comités d’étudiants palestiniens « constituent des risques pour la sécurité de l’État » et préconisait l’infiltration de ces « groupes d’étudiants par des informateurs et des provocateurs33 ». Pendant la première Intifada « les organisations étudiantes palestiniennes ou mixtes palestino-juives étaient mises sous contrainte et leurs membres actifs contre l’occupation sévèrement punis par leurs établissements34 ».

En 1998, Benjamin Nétanyahou, Premier ministre à l’époque, a convoqué des discussions sur « la montée de la “palestinisation” et de la radicalisation religieuse parmi les Arabes israéliens ». Parmi les participants d’une de ces réunions se trouvaient « les ministres concernés, le directeur du Shin Bet et d’autres organes de sécurité35 ». Dix ans plus tard, le directeur du Shin Bet, Yuval Diskin, expliquait à des officiels américains que beaucoup de citoyens palestiniens « vont trop loin sur la question de leurs droits36 ».

En 2007, le bureau du Premier ministre révèle que le service de sécurité du Shin Bet n’hésiterait pas à « contrecarrer l’activité de tout groupe ou individu cherchant à nuire au caractère juif et démocratique de l’État d’Israël, même si cette activité est autorisée par la loi37 ». Peu de temps après, le Shin Bet assure qu’il poursuit « les individus considérés comme “menant des activités subversives contre l’identité juive de l’État”, même si leurs actions ne violent pas la loi38 ». Le procureur général d’Israël explique par écrit que cette lettre avait été rédigée « en concertation » avec lui-même et « avec son accord39 ». L’arrestation, le jugement et la condamnation d’Amir Makhoul est un exemple de ce que tout cela signifie en pratique. En mai 2010, Amir Makhoul, directeur du réseau d’ONG palestiniennes Ittijah, est enlevé de nuit à son domicile et empêché de rencontrer ses avocats pendant près de deux semaines. Il fut soumis à des méthodes d’“interrogation” qui consistaient à le priver de sommeil et à l’enchaîner sur une chaise. Une “confession” qu’Amir Makhoul décrit « faite sous contrainte » est produite et retenue pour l’accuser d’espionnage au profit du Hezbollah. En janvier 2009, un agent du Shin Bet lui avait dit que « la prochaine fois », Amir Makhoul « pourrait dire adieu à sa famille, car il la quitterait pour longtemps40 ». Après sa condamnation à 9 ans de prison, Amnesty international proteste :
Amir Makhoul est bien connu comme militant pour la défense des droits humains des Palestiniens d’Israël et de ceux vivant sous occupation. Nous craignons que cela soit la vraie raison de son emprisonnement41. Le choix de s’attaquer à Amir Makhoul se produit alors que l’espace permis par Israël à ses contestataires se réduit. En mars 2011, la Knesset vote une loi autorisant le blocage de fonds publics destinés aux collectivités locales et à toute organisation célébrant la Nakba ou « considérée comme étant impliquée dans des actions remettant en cause la création d’Israël en tant qu’État juif42 ». Un éditorialiste de Ha’aretz écrit alors qu’ « essentiellement, c’est une loi destinée à museler les gens43 ».

Un député favorable à cette loi, Alex Miller, affirme que l’enseignement portant sur l’expulsion et la dépossession des Palestiniens en 1948 (la Nakba) dans les écoles israéliennes constitue une « incitation » et l’associe à « la question de la façon dont chaque citoyen définit sa citoyenneté dans l’État où il vit44 ». Entre-temps, Gideon Saar, le ministre de l’Éducation nationale, avait déjà interdit toute mention de la Nakba dans les manuels scolaires, créant ainsi un contexte où les enseignants qui utilisaient des supports autres que les manuels officiels pour parler de ce sujet avaient peur de donner leurs noms quand ils étaient interviewés par la presse45.

À la Knesset, les députés palestiniens sont ciblés par un nombre croissant d’attaques mettant en cause leur immunité parlementaire, voire leur présence au parlement46. La députée Hanin Zoabi (la préfacière de cet ouvrage) en a été victime plus que d’autres du fait de sa défense franche et énergique des droits des Palestiniens et de sa participation à différentes initiatives, en particulier à la Flottille de la liberté en 2010.

Hanin Zoabi est devenue un objet de haine partout en Israël : le maire de Netanya a soutenu son expulsion du pays tandis qu’un groupe Facebook qui appelait à son meurtre a rapidement accumulé plusieurs centaines de membres. Elle a failli être agressée physiquement à la Knesset, face à des cris de « Va-t-en à Gaza, traître47 ! » D’autres députés palestiniens ont reçu un courriel du député Michael Ben Ari leur annonçant que « quand nous en aurons fini avec elle [Hanin Zoabi], ce sera votre tour48 ».

Après sa participation à la Flottille de la liberté, la Knesset a voté l’annulation d’un certain nombre de ses privilèges parlementaires. Pendant le débat précédant le vote, Yariv Levin, directeur du comité permanent de la Chambre des députés, a dit à Hanin Zoabi : « Vous n’appartenez pas au Parlement israélien, vous ne méritez pas d’avoir une carte d’identité israélienne. Vous êtes une source de honte pour les citoyens d’Israël, pour la communauté arabe et pour votre famille49. »

Le comité que préside Yariv Levin est responsable, entre autres, de la gestion des demandes de levée d’immunité parlementaire. En février 2010, Yariv Levin exprima sa conviction qu’« une décision sérieuse » était nécessaire pour décider « si ces partis [des députés arabes] peuvent continuer à siéger au Parlement israélien alors qu’ils agissent contre le pays50 ».

BRUTALITÉ ET IMPUNITÉ

Les citoyens palestiniens sont aussi aux prises avec un système de justice et de police qui traite les citoyens arabes autrement que les citoyens juifs, créant un contexte où les forces de sécurité agissent avec une violence extrême contre des Palestiniens en toute impunité. En 2001, un rapport d’Amnesty International constatait « la généralisation d’un traitement discriminatoire des Palestiniens citoyens d’Israël dans l’ensemble du système pénal, à la fois dans les tribunaux et dans la police51 ». Cela a été souligné en 2009 par un juge qui, en acquittant un adolescent palestinien, a « accepté l’argument de l’avocat de la défense selon lequel l’État pratique une politique discriminatoire contre la jeunesse arabe impliquée dans des délits de “violence idéologique52” ».

Les forces d’État ont une longue histoire d’impunité s’agissant de violences à l’encontre de citoyens Palestiniens. Cette impunité remonte au massacre de Kafr Qasim en 1956, quand près de 50 villageois ont été assassinés par des soldats qui imposaient un couvre-feu. Les huit militaires condamnés à la prison ont vu leurs peines commuées et étaient tous libres quatre ans plus tard. Le commandant responsable s’est vu infliger une amende d’une agora, « la plus petite pièce de monnaie israélienne53 ». Vingt ans plus tard, quand les forces israéliennes ont abattu six citoyens palestiniens qui manifestaient lors de la Journée de la terre, le cabinet d’Yitzhak Rabin « loua à l’unanimité la “retenue” des forces de l’ordre dans leur gestion de la grève et des troubles qui s’en suivirent54 ».

Un nouveau moment décisif, plus récent, est le meurtre de treize citoyens palestiniens par la police israélienne en octobre 2000, pendant une manifestation de solidarité avec le soulèvement des Palestiniens des Territoires occupés. Alors qu’une commission d’enquête avait conclu que des tirs de snipers étaient responsables de la mort et de blessures de citoyens, personne n’a jamais été poursuivi pour ces assassinats55, alors même que les victimes de violentes émeutes de Juifs israéliens, qui avaient éclaté en même temps, étaient uniquement palestiniennes. Dans ce même rapport, Amnesty International citait les propos tenus à des journalistes par un membre de la police des frontières qui venait de témoigner devant la commission d’enquête : « Nous gérons les émeutes juives différemment. Quand de telles manifestations sont organisées, nous savons d’emblée que nous ne serons pas armés. Ce sont nos instructions56. »

Ce genre de discrimination s’est manifesté dans les mesures de répression plus globales prises dès le début de la seconde Intifada. Parmi les quelque 1 000 citoyens israéliens arrêtés entre le 28 septembre et le 30 octobre, environ 66 % étaient palestiniens et 34 % juifs57. Et parmi ceux qui ont été détenus jusqu’à la fin de leur jugement, 89% étaient des citoyens palestiniens. En janvier 2009, pendant l’attaque de Gaza par Israël, environ 800 citoyens israéliens, palestiniens pour la grande majorité, ont été arrêtés pendant les manifestations de protestation. Un tiers d’entre eux avaient moins de 18 ans et 86 % de ces mineurs ont été détenus jusqu’à la fin des procès58.

Ainsi, les Palestiniens d’Israël sont non seulement des citoyens de seconde classe, soumis à des politiques discriminatoires en matière de foncier, d’habitat et d’économie, mais ils subissent la main lourde de l’État dès lors qu’ils résistent à l’apartheid, expriment leur solidarité avec leurs frères palestiniens sous occupation militaire ou travaillent en faveur d’un État pour tous ses citoyens. Le système actuel n’a apporté aucun changement et ne le fera jamais : il faut trouver une nouvelle voie vers un nouveau futur.

Source : Ben White, Etre Palestinien en Israël, Editions La Guillotine, 2015 



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12 décembre 2015
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Le FN a fait un score historique aux élections régionales du 6 décembre 2015. Il est en tête dans 6 régions sur 13. Ce score, même si il ne reflète pas forcément le visage politique de la France (environ 49% d’abstention) est à prendre au sérieux. Les attaques contre les droits de la femme, contre les syndicats et les mouvements ouvriers, l’islamophobie, le racisme, la toute-puissance policière, l’omniprésence de l’Etat dans tous les domaines. On ne compte plus les régressions que le FN ferait subir à la France si ce parti fasciste arrivait au pouvoir.

Pour séduire les électeurs, le FN joue la carte de l’islamophobie et du racisme à l’heure où la cohésion sociale est déjà fragile. Pourtant ce que vise ce parti c’est la division des travailleurs sur des bases racistes, culturelles ou religieuse. Le seul but est d’empêcher une union et une résistance par le bas. Focaliser le débat sur des faux problèmes tels que les différences culturelles en France permet de ne pas proposer de programme crédible sur les problèmes sociaux.

Diviser pour mieux régner

Depuis quelques années le FN, l’UMP et la grande majorité des médias ont concentré le débat public sur des problématiques identitaires. L’islam serait la base de tous les problèmes en France. Cet acharnement médiatique et politique conduit à détourner l’attention de vrais problèmes tels que le démantèlement de notre système social, le grignotage de notre droit du travail, l’accès aux soins de santé, à l’éducation, la difficulté grandissante d’obtenir un salaire permettant de vivre dignement, le droit à un logement décent, etc.
Le FN se dit proche du peuple, avec « les petits », et les oubliés, mais ne propose aucune solution face aux problèmes sociaux. Ils font croire aux électeurs qu’en pratiquant la discrimination négative et la préférence nationale cela règlerait tous les problèmes sociaux. La haine de l’étranger les aveugle tellement qu’ils en oublient de faire des propositions viables contre la précarité grandissante.

Proche du peuple et des travailleurs ?

Etrangement le FN ne s’en prend jamais aux patrons. L’épisode récent de la chemise déchirée du DRH d’Air France par des salariés n’a suscité aucun soutien de la part Marine Le Pen et les salariés ont même été qualifiés de « voyous » par le vice-président du FN, Florian Philippot. En 2010 le parti a dénoncé la grève des cheminots, en 2011 il a reproché aux ouvriers des compagnies pétrolières de bloquer les raffineries.
Le Cercle des entrepreneurs du FN joue un rôle important dans le financement du parti, il est donc logique que le parti se sente plus proche des luttes patronales. Malgré sa tentative de s’inscrire comme le seul parti proche des travailleurs et des travailleuses il est flagrant que le FN est un parti favorisant le patronat
Le projet du FN n’est donc pas d’en finir avec la domination du patronat mais bien de diviser les pauvres entre eux pour que leurs revendications soient plus faibles. Diviser pour mieux régner est également la devise de l’extrême droite.

La femme ? Au foyer !

Le FN compte bien faire régresser les droits des femmes en défendant une certaine politique familiale ou la femme serait cantonnée à son rôle de mère. Le parti ne milite plus contre l’avortement mais souhaite que l’IVG ne soit plus remboursé. Pour la députée Marion Maréchal Le Pen « Les impôts des Français ne doivent pas payer l’irresponsabilité de certaines femmes », elle entend également couper les subventions du planning familial car celui-ci ferait la promotion « du mariage homosexuel, de la PMA pour les femmes homosexuelles, de la théorie du genre qu’elle enseigne dans les écoles et d’une libéralisation de plus en plus poussée de l’avortement ». Bien entendu la loi du mariage pour tous passerait à la trappe.

Le racisme comme mot d’ordre

L’arrivée du FN au pouvoir régional en France aggraverait l’écart entre les citoyens de confession musulmane et les autres. Cet écart a déjà bien été amorcé par le gouvernement de droite de Sarkozy avec la loi sur le voile et le débat sur l’identité nationale. Le racisme et l’islamophobie sont les domaines de prédilection du FN depuis toujours. La cohésion nationale s’étiole de plus en plus depuis quelques années et le FN compte dessus pour gagner des voix. Plus encore, il joue sur les peurs des français liées aux récents attentats en stigmatisant les musulmans ou apparentés musulmans. Une fois le FN au pouvoir ces discriminations seront désinhibées, voir encouragées.
Il existe de nombreux groupuscules fascistes en France et l’élection du FN permettrait que ces groupes, aujourd’hui dédaignés et négligés, revendiquent plus fortement leurs positions politiques et décomplexent leurs actes. Il y a, depuis les attentats de novembre dernier, de nombreux actes islamophobes : attaques de mosquées et lieux de cultes tagués ou incendiés, des personnes ont été blessées ou visées par balles un homme est mort suite à 17 coups de couteau, les femmes sont les premières victimes et témoignent de violences physiques, verbales quasi quotidiennes.
Les incidents antisémites, islamophobes et homophobes risquent de se multiplier et le FN au pouvoir n’aurait ni les moyens ni la volonté de les contenir. Les actes anti-musulmans avaient augmenté de 10% de 2013 à 2014, et un mois après Charlie Hebdo ils avaient augmentés de 70% ! Le principe de préférence nationale défendue par le FN est déjà appliqué pour l’attribution des logements sociaux dans certaines mairies frontistes. Leur arrivée au pouvoir autoriserait et généraliserait les discriminations envers les français issus de l’immigration et a fortiori envers les étrangers. Discrimination également dans l’accès aux soins et à la fonction publique. Plus d’attentats…
La diabolisation des musulmans, l’islamophobie le rejet, l’exclusion et les humiliations que subissent les musulmans ont créé un terreau favorable à l’extrémisme et au fanatisme religieux. L’aggravation de cette tendance en créera d’autant plus et le risque d’attentat augmentera de manière exponentielle.
12 décembre 2015
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S'il est une idéologie dominante aujourd'hui en France et dans de nombreuses régions du monde, c'est le « confusionnisme ». Les questions majeures qui déterminent l'essentiel des comportements sont noyées dans un fatras de références pseudo-morales, religieuses, instrumentalisées pour gommer les inégalités sociales, la précarité en voie de généralisation dans les pays développés, la fracture nord-sud et l'incapacité du système économique à avoir une quelconque efficacité contre la destruction de l'environnement.



Ce n’est pas encore un monde nouveau qui se profile à l’horizon, c’est le vieux monde poursuivant sa logique qui se dégrade à grande vitesse et accentue toutes ses perversions. La richesse se concentre entre quelques mains de moins en moins nombreuses dans un monde où les difficultés sociales et la crise environnementale s’aggravent, sans que le système dominant n’ouvre aucune issue.

En Amérique du Sud, après une dizaine d’années de victoires progressistes permettant d’affirmer pour la première fois l’indépendance vis-à-vis des États-Unis de plusieurs États et le recul de la pauvreté, la contre-révolution reprend le dessus, grâce à des alliances confuses extrême-droite – conservateurs et social-démocratie ! La Bolivie d’Evo Morales résiste, mais le Venezuela chaviste s’affaiblit tandis que l’Argentine change de camp : le retour des États-Unis et des grandes firmes privées s’annonce !

En Afrique, le désordre et la misère atteignent des sommets particulièrement depuis la destruction de la Libye par la France et les États-Unis qui a déstabilisé une large partie des États africains voisins. Les inégalités, la mal-gouvernance et les interventions extérieures renforcent le chaos qui se répand sous couleur de conflits religieux. Le développement n’a pas de réalité pour le plus grand nombre.

En Asie, la Chine qui a pour priorité l’édification d’une économie nationale puissante, n’a pas encore une stratégie lisible à l’échelle planétaire. Sa tradition exclut toute « précipitation » dans le domaine politique. Il est difficile de savoir ce qu’il en sera demain.

Les États-Unis, divisés entre conservateurs de plus en plus ultras et démocrates très modérés et dont les positions varient d’un État à l’autre au sein de la Fédération, poursuivent cependant quelle que soit le présidence une politique à visée hégémonique, usant du recours à la force ou de l’ingérence « soft » pour pour maintenir des intérêts économiques et stratégiques, sous couvert d’un humanitarisme frelaté. Son « exceptionnalisme » affirmé exclut tout respect de la légalité internationale.

Les États européens qui se sont ligotés dans le cadre de l’Union Européenne, qui n’a créé qu’une structure affairiste au service des lobbies les plus riches, est politiquement malade. Malgré des dispositions « constitutionnelles » pro-démocratiques, l’Union Européenne accepte sans réaction des gouvernements qui associent diverses droites et des mouvements fascisants (comme en Hongrie ou en Lettonie, par exemple). Elle se propose même d’accepter l’adhésion de la Turquie autoritaire, islamiste et opportuniste de l’A.K.P, tandis qu’elle n’a pas hésité à détruire la gauche grecque qui avait remporté les élections, avec un parfait mépris de la démocratie électorale. La social-démocratie qui, dans une période récente, était presque partout au pouvoir en Europe, n’a rien modifié à la situation sociale détériorée. Aujourd’hui, elle est souvent associée à la droite conservatrice, comme en Allemagne qui devient le modèle politique de la France et d’autres pays européens.

La France, quant à elle, a perdu tous ses repères. Il n’y a pas « modernisation » de la vie politique malgré la prétention de certains « socialistes » qui en réalité ne le sont pas. Il y a au contraire pourrissement de toutes les valeurs, effacement de tous les principes, sous l’égide d’un « tripartisme » dont les composantes FN, PS, ex-UMP sont dotées d’un programme quasi identique, chacune ayant fait les poubelles des deux autres. Le PS et l’ex-UMP ont intégré par exemple la ligne anti-immigration et les revendications autoritaristes du FN, tandis que le FN a récupéré des éléments du programme économique et social de la gauche. Au P.S, comme à l’ex-UMP, on ne combat pas le F.N, on l’évite au maximum, dans l’espoir du ralliement de ses électeurs et d’alliances (y compris contre-nature) éventuelles ultérieures. Le fascisme imbécile de Daesh conforte l’influence des pires ennemis de l’Islam en France et en Europe, qui cultivent surtout (c’est plus facile) le racisme anti-arabe, substitut au vieil antisémitisme, sous couleur de laïcité ou de défense de la civilisation.

Plus personne ne s’y retrouve clairement, y compris dans l’intelligentsia, malade d’un pseudo humanitarisme et d’un droitdel’hommisme obsessionnels et inefficaces pour les droits de l’homme eux-mêmes. Cette pseudo-idéologie se voulant consensuelle contribue à tuer le politique de plus en plus discrédité, conduisant les citoyens au repli sur la vie privée et à l’indifférence vis-à-vis des luttes sociales. Le travail de mémoire de cette intelligentsia est discriminatoire. Complexée vis-à-vis de la Shoah, l’intelligentsia est devenue muette sur les massacres anticommunistes en Indonésie, au Vietnam, au Chili, etc. et oublie les massacres de la décolonisation. Cette intelligentsia-mode est aussi coupable d’un travail d’opacification des réalités socio-économiques et de la lutte des classes (concept devenu obscène), qui pourtant sous des formes complexes, avec des drapeaux renouvelés, se poursuit, malgré le sociétal médiatisé à outrance.

Ce confusionnisme contribue fortement à préparer un avenir, sans que le pire soit certain, de type néo-fasciste.

L’Histoire ne se répète pas, mais elle peut produire des phénomènes de même nature, par-delà les décennies, que l’on ne reconnaît pas. Les drapeaux n’ont pas la même couleur, le discours présente des différences, et surtout le style est différent.

Dans une société « américanisée », comme l’est la société françaises, dont plusieurs générations ont connu les « 30 Glorieuses », « Mein Kampf » (malgré sa réédition) est illisible, même si l’arabe a remplacé le juif et le bolchevik ! La pitoyable « pensée » d’un Zemour suffit !

Les Ligues et les milices n’ont plus guère d’intérêts en raison des réseaux et plus généralement des moyens offerts par les nouvelles techniques de communication. La propagande n’a plus besoin de grands meetings avec des « chefs » charismatiques : n’importe qui grâce à sa médiatisation répétitive peut passer pour un « superman » ou une « superwoman », malgré son inculture ou sa médiocrité banale.

L’apathie politique est entretenue par une inculture de masse, des spectacles simplistes et des jeux stupides. L’émotivité remplace le rationnel. Le contrôle social, par un formatage conservateur, remplace la répression, rendue néanmoins facile par la transparence des citoyens (grâce au net et aux services de type NSA), alors que les pouvoirs restent opaques. Tout est entrepris pour effacer les contre-pouvoirs : les juges, les forces politiques et syndicats revendicatifs, les intellectuels critiques.

D’authentiques leaders ne sont plus nécessaire pour rallier les foules : une « belle gueule » ou l’image d’un « père tranquille » suffisent pourvu qu’ils sachent manipuler avec efficacité les gens, comme des VRP du néoconservatisme, pour ajuster l’État et la société aux seuls intérêts des pouvoirs privés dominants qu’il ne faut surtout pas « déranger » !

La manipulation la plus classique est l’instrumentalisation de la peur, toujours au service des dominants.

Cette intoxication à la peur est entretenue plus ou moins subtilement, y compris en la dénonçant et en assimilant le courage au fait de rester aux terrasses des bistrots ! Le chômage, la précarité généralisée et organisée, la répression anti-syndicale sélective (comme celle des agents d’Air France), le recrutement préférentiel à tous les niveaux de conformistes (par exemple, pour les professeurs d’économie), la valorisation constante de l’armée et de la police dont tous les actes sont applaudis, assurent l’entretien de la crainte chez les individus de plus en plus isolés les uns des autres.

Les actes terroristes aveugles sont encore plus déterminants : ils imposent la recherche de protecteurs, c’est-à-dire des plus puissants. Pourtant, Daesh et ses complices sont combattus dans l’ambiguïté des alliances contre nature avec l’Arabie Saoudite et le Qatar qui nourrissent le salafisme et par des « états d’urgence », pouvant devenir permanents.

Les « experts » choisis parmi les courtisans du pouvoir passent en boucle sur tous les médias, imposant l’idée que le désordre établi est « naturel », même s’il est douloureux et que tout ordre différent serait pire ou irréaliste.

Les programmes des partis eux-mêmes peuvent être aujourd’hui ni sophistiqués ni réalistes : la V° République française notamment, avec son présidentialisme outrancier, a habitué les citoyens à un combat politique de « têtes » et non de projets. A partir des sondages et des revendications, les « programmes » sont édifiés pour plaire, et peu importe qu’il ne soit pas question de les mettre en œuvre ou qu’ils restent inconnus du plus grand nombre. Le Parti nazi avait, par exemple, un programme social avancé avant 1933 et qui n’a vu le jour que très partiellement, la « gauche » nazie, qui souhaitait une « révolution » nationale et socialiste, ayant été rapidement éliminée. Le monde des affaires avait décidé !

Rien d’étonnant à ce que tous les partis proposent des programmes sociaux avancés, y compris le FN : la logique du système les rend impraticables ! Néanmoins, une large partie de la classe ouvrière a été séduite. Il est vrai qu’en 1936, le chômage avait été résorbé par l’économie de guerre. La seule dénonciation des « profits abusifs », l’idée d’ « unité nationale » associant partis et ouvriers et rendant « la dignité » aux salariés, l’antisémitisme et l’anti-bolchevisme (les deux n’étant pas dissociés à l’époque) fabriquant le bouc-émissaire nécessaire, l’origine populaire des dirigeants et leur style inédit, « anti-élitiste », ont parfaitement fonctionné : le peuple allemand avait été profondément déçu de la Ière République née en 1919, non remis de la défaite, il avait subi de plein fouet la crise de 1929-1930. Le parti nazi a pu ainsi se composer pour un tiers d’ouvriers ! L’idée dominante, pour la grande majorité, était qu’il valait mieux être encaserné dans le nazisme que supporter la misère et l’insécurité avec les siens !

En France, à la veille de la guerre de 1939-40, les mots d’ordre des droites étaient simples : « La France aux Français », « honneur, ordre et propriété ». S’ajoutait l’hostilité venue de loin aux « judéo-marxistes », « ferment de la décomposition nationale » ! Aujourd’hui, à la crise économique et sociale, s’additionnent le souvenir de la guerre d’Algérie, source d’un racisme anti-arabe chronique et nourrissant l’anti-immigration, le simplisme venu de Bush et des États-Unis enseignant doctement le « Bien » et le « Mal » dans le monde, distinguant les « États voyous » du monde « civilisé » : dans « l’air du temps », la Russie, la Chine, l’Iran, le monde arabe, l’Islam sont les « méchants » étrangers d’aujourd’hui. Le dérivatif au mécontentement social est efficace : les antagonismes sociaux sont transformés en haine raciale, en xénophobie, en crainte généralisée des « pauvres » : le « réfugié », par exemple, devient « l’étranger type », venu d’on ne sait où, voler notre pain et notre travail, dangereux par nature. Les sommets sont atteints lorsque tous les conflits sont délibérément transformés en affrontements de type religieux !
Dans la plupart des pays européens, les droites extrêmes (y compris de type nazi, en Grèce, en Ukraine, dans les pays baltes), et le FN en France « surfent » sur ce climat socio-politique confus mais pénétrant. Le FN, par exemple, est à la fois porteur de revendications populaires (qui ne l’engagent pas pour la suite) et reprend à son compte les réactions populaires les plus instinctives et les plus primitives, avec la complaisance des grands médias et des partis de gouvernement qui se dispensent à son égard de toute mesure répressive, en espérant au contraire pouvoir s’en servir. Les forces de droite extrême qui travaillent l’Europe et contaminent toute la société ont donc des origines précises.

De même, Daesh n’est pas de génération spontanée. Les puissances occidentales ont détruit dans le monde arabe toutes les forces qui les contestaient. L’Islam unifiant l’Empire Ottoman allié de l’Allemagne a été contourné par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale par l’utilisation des nationalismes locaux permettant le démembrement de l’adversaire turc. La France, la Grande Bretagne ont « fabriqué » les « États » du Moyen Orient, dans des cadres plus ou moins artificiels, en instrumentalisant les minorités et en accentuant les différents clivages ethniques ou religieux : le résultat a été une mosaïque ingouvernable et surtout sans contenu démocratique.

Les États-Unis, après 1945, ont pris le relais des interventionnismes en tout genre, pétrole oblige. Les Occidentaux ont éliminé toutes les forces qui les dérangeaient : les communistes et progressistes, puis les nationalistes nasseriens ou autres, pour ne soutenir que l’armée (comme en Égypte, financée directement par les États-Unis) ou des noyaux de privilégiés corrompus et de pratique dictatoriale. L’inévitable a suivi : une montée des Islamistes (en commençant par les Frères Musulmans, longtemps soutenus aussi par les Américains) a été la réponse de peuples brimés qui rêvent de leur ancien Califat et de sociétés moins misérables et moins soumises à l’étranger.

Les succès électoraux du FN en France et de la droite extrême en Europe résultent de même des essais infructueux des partis de gouvernements (de droite ou de gauche), dont les pratiques sont identiques et dont les dirigeants professionnalisés (quelle que soit la sincérité de leurs électeurs) n’ont que des plans de carrière, liés qu’ils sont aux milieux d’affaires qui comptent sur eux pour faire à tout prix leur politique, sous couvert de ce qu’ils appellent « l’Entreprise » parée de toutes les vertus ! La vulgarité de pensée des Sarkozistes et les trahisons « socialistes » ont accoutumé les Français, notamment les jeunes, à la « pensée » de la droite extrême, accessible aux plus incultes et aux plus défavorisés, lassés d’attendre.

Pour seule perspective, la droite et la social-démocratie en France ont l’arrière-pensée de gouverner ensemble, avant ou après 2017. La seule question qui les sensibilise est le rapport de forces entre elles qui déterminera le rôle de l’une et de l’autre : comme en Allemagne ! Cette collaboration, qui se généralise en Europe, est l’aboutissement d’un long chemin parallèle, toujours profondément « respectueux » du système capitaliste, quels que soient les dommages qu’il provoque.

Mais rien n’exclut, si nécessaire, une alliance de toutes les droites, si par hasard, la complicité PS-ex-UMP buttait sur certains obstacles. Un fort courant néo-sarkoziste est tout disposé à cette autre collaboration, excluant éventuellement même la « gauche » la moins à gauche ! De son côté, un fort courant social-démocrate est prêt à toutes les alliances avec les droites, y compris en cassant le parti qui les abrite encore. Mais cette collaboration est plus dangereuse pour la suite : elle est donc source d’hésitations.

En tout état de cause, la démocratie, qui se porte mal, s’en portera encore plus mal.

Peut s’installer ainsi en France (mais pas seulement) dans un climat d’ « état d’urgence » permanent (voir les lois successives de 1996, 2001, 2003, 2004, 2006, 2014, 2015) sur le renseignement et la prorogation de l’état d’urgence pour 3 mois, reconductible) un régime ultra-présidentialiste, sans contestation réelle possible, se voulant acteur d’une « fin de l’histoire », celle des libertés (relatives) et des acquis sociaux qui survivent.

Les milieux d’affaires, dont les positions sont de plus en plus décisives, quant à eux sont en réflexion. Aujourd’hui le Médef de France condamne le FN, exclusivement pour son programme économique et social, dénoncé comme étant « d’extrême-gauche » ! Il est indifférent à son programme sociétal de type néofasciste. Cela peut « s’arranger » dans le futur, tout comme l’industrie lourde s’est en définitive associée au nazisme, comme l’aristocratie italienne s’est aussi ralliée au fascisme mussolinien, malgré son mépris de classe. Durant les affrontements politiques, en effet, les « affaires continuent », de même que Daesh sait conclure des contrats pétroliers avec différents trafiquants et diverses compagnies occidentales, tout en prônant la « pureté » de l’Islam !

Les milieux d’affaires ne sont pas dogmatiques : ils peuvent soutenir indifféremment les droites ou la fausse gauche, ou toutes les forces politiques simultanément, et si cela leur apparaît utile, ils n’ont pas d’hostilité de principe à l’instauration d’un régime autoritaire. Pour les affairistes, qui se prennent pour une nouvelle aristocratie, « la démocratie submerge les élites sous le flot des médiocres et des incompétents ». Ils sont pour « une société stable et efficace qui a besoin de l’autorité allant de haut en bas et de la responsabilité qui monte de bas en haut. Il faut favoriser et non entraver l’élévation des meilleurs, c’est la loi de la nature » On croirait entendre le Médef ou BFM ! Mais non, c’est l’auteur de Mein Kampf qui s’exprime !!

Il y a au sein du patronat le culte de la « libre » concurrence : elle en fait toujours faussée ! Par contre, elle est de plus en plus vive entre les individus : c’est la guerre de chacun contre tous pour parvenir à survivre, créant l’hostilité à l’égard des autres. Toutes les structures collectives craquent pour le plus grand profit des puissants. La conscience d’appartenir à une caste cohérente est vivante chez les privilégiés. Elle implose chez les démunis.

Les attentats islamistes de Daesh, financés par des alliés de la France (350 victimes en France en 30 ans) qualifiés trop souvent de « guerre », relèguent la crise sociale au second plan des préoccupations. Les éloges permanents aux « forces de l’ordre » et les méthodes de répression aident au développement d’un climat sécuritaire, dans lequel on met la justice à l’écart tandis que l’éducation nationale et tous les services publics font l’objet au contraire des critiques les plus systématiques. Les grands médias entre les mains des groupes financiers loin d’être un quatrième pouvoir, sont le relais des idées dans « l’air du temps ».

Tous les ingrédients du fascisme, mouture des années 2000, sont donc réunis. Le « capitalisme de la séduction », rendu possible par les « 30 Glorieuses » avec sa consommation de masse, ne fonctionne plus : la caste dominante estime ne plus avoir les moyens d’offrir aujourd’hui ce qu’elle fournissait hier. Un « capitalisme de l’oppression », plus ou moins délicate, tend à lui succéder. Pour faire avaliser cet autoritarisme, on renforce le « faste » entourant les « chefs » de l’État, pourtant plus mussolinien que républicain. On met en exergue les « valeurs » démocratiques mais on annihile les citoyens en les empêchant d’être des centres d’initiative. Le degré de « délicatesse » de l’oppression dépendra des réactions plus ou moins fortes qu’il suscitera nécessairement : en attendant, le système se sert de tous les événements et de tous les prétextes pour prévoir le pire, en discréditant les juges qui font leur métier. Le système ne manque pas d’ores et déjà de traiter avec une condescendance méprisante l’authentique opposition de gauche très affaiblie, tout comme la Commission Européenne a réduit à l’impuissance, avec arrogance, hier Syriza et demain sans doute Podemos ou le nouveau parti travailliste britannique !

Aucune perspective de progrès (ni même de croissance à retombée sociale) n’est réaliste dans le cadre du capitalisme financier. Il ne peut qu’essayer de produire des fictions manipulatrices ou frapper.

Beaucoup ne croient pas encore, surtout dans la « Patrie des Droits de l’Homme » à une telle régression, comme si les dictatures et les autoritarismes c’était toujours pour les autres ! Il y a amnésie sur l’Europe des années 1930-1940 ; il y a ignorance de certaines réalités en Europe de l’Est. Il y a volonté de ne pas savoir ce que vivent réellement les peuples du Sud. Il n’y a qu’une crainte stupide vis-à-vis des progrès de la Chine et de la volonté de la Russie de reprendre sa place dans le concert des Nations, traitées comme des ennemies.

Tout est en place pour que les archaïsmes politiques et économiques les plus frelatés apparaissent comme le comble de la modernité.

Un seul obstacle, heureusement de taille : l’intelligence et la mobilisation des citoyens.

11 décembre 2015