۱۳۹۵ فروردین ۱۱, چهارشنبه

29 mars 2016
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Salim Lamrani, est un universitaire spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il revient sur la question des droits de l’Homme, point de divergence entre les deux pays.



Sébastien Madau : Les Etats-Unis ont indiqué vouloir évoquer avec Cuba la question des droits de l’homme sur l’île. De quels aspects en particulier ?

Salim Lamrani : La question des droits de l’homme à Cuba a toujours été instrumentalisée par les Etats-Unis à des fins politiques. Il convient de rappeler que, depuis 1991, Washington brandit l’argument des « droits de l’homme » pour justifier son hostilité vis-à-vis de La Havane et maintenir les sanctions économiques qui étouffent la population de l’île. Pour expliquer l’état de siège contre Cuba, la rhétorique diplomatique a fluctué au fil des ans : ainsi, depuis les années 1960, Washington a successivement fait allusion aux nationalisations, à l’alliance avec l’Union soviétique, puis à l’aide apportée par Cuba aux mouvements d’indépendance en Afrique et aux groupes révolutionnaires en Amérique latine et enfin aux droits humains.

Pour les Etats-Unis, les droits de l’homme et la démocratie sont automatiquement synonymes de multipartisme, d’économie de marché et de médias privés. A l’évidence, les Cubains ne partagent pas ce point de vue.

SM : Cuba, de son côté, se dit prête à aborder cette problématique, mais à condition de le faire également pour la situation aux Etats-Unis. Qu’a-t-elle à souligner précisément ?

SL : Cuba a toujours fait part de sa disposition à aborder tous les sujets possibles et imaginables avec les Etats-Unis, à condition que trois principes soient respectés : l’égalité souveraine, la réciprocité et la non-ingérence dans les affaires internes.


SM : Entre Cuba, qui n’a pas l’intention de renoncer à son système socialiste, et les Etats-Unis, qui visent à conserver leur position de première puissance capitaliste du monde, peut-on imaginer que ce débat se termine par un statu quo et que les relations soient tout de même rétablies ?

SL : Il convient de rappeler que le conflit qui oppose Cuba aux Etats-Unis est asymétrique. D’un côté, il y a un agresseur, les Etats-Unis, qui imposent des sanctions économiques qui affectent toutes les catégories de la population depuis plus d’un demi-siècle ; qui occupe illégalement une partie du territoire national d’un pays souverain, Guantanamo ; qui finance une opposition interne pour subvertir l’ordre établi, ce qui est illégal aux yeux du droit international ; qui fomente, par le biais de la Loi d’Ajustement cubain et le Programme médical cubain, l’émigration illégale exclusive des Cubains afin de vider le pays de son capital humain ; et qui multiplie les programmes de radio et de télévision, Radio et TV Martí, destinés à semer la discorde à Cuba, en violation, une nouvelle fois, de la législation internationale.

De l’autre côté se trouve Cuba, une petite nation de 11 millions d’habitants, avec ses vertus et ses limites, qui n’a jamais agressé les Etats-Unis, qui a toujours fait part de sa volonté d’entretenir de relations pacifiques avec tous les pays du monde, basées sur le droit international, et qui aspire à choisir sa propre voie et à édifier une société différente en respectant la volonté du peuple souverain.

Ainsi, tout dépend de Washington. Si le Voisin du Nord accepte la réalité d’une Cuba différente, indépendante et souveraine, qui ne négocie ni son système politique, ni son modèle social, ni sa politique étrangère, alors les deux pays pourront vivre dans une entente cordiale et les deux peuples, qui ont tant de choses en commun, pourront renforcer leurs liens fraternels.

Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, Editions Estrella, 2015 avec une préface d’André Chassaigne.

Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr Page Facebook :https://www.facebook.com/SalimLamra...

Source : http://www.lamarseillaise.fr/analys...
30 mars 2016
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Dans le monde universitaire d’expression française et dans bien des cercles de la gauche radicale, Michel Foucault est une sorte d’icône. Le critiquer frise le blasphème. Pourtant, un essai collectif vient de paraître sous le titre Critiquer Foucault (1). Le sociologue Daniel Zamora, qui est à l’origine de cet essai, annonce la couleur : « Loin de mener une lutte intellectuelle résolue contre la doxa du libre marché, Michel Foucault semble, sur bien des points, y adhérer. »



Michel Foucault, mort en 1984 à Paris, est un philosophe français dont le travail a porté sur les rapports entre pouvoir et savoir. Son œuvre est une critique des normes sociales et des mécanismes de pouvoir qui s’exercent au travers d’institutions en apparence neutres (la médecine, la justice, les rapports familiaux ou sexuels…).

En 1950, sous l’influence de Louis Althusser, il s’inscrit au PCF. Mais il n’est pas très actif et quitte le parti dès 1953. En 1961, il obtient son doctorat en soutenant une thèse intitulée Folie et déraison : Histoire de la folie à l’âge classique. En 1966, il publie Les mots et les choses, qui connaît un immense succès. À l’époque, l’engouement pour le structuralisme est grand et Foucault se retrouve rattaché à des chercheurs et philosophes structuralistes, tels Jacques Derrida, Claude Lévi-Strauss et Roland Barthes, pour lesquels les processus sociaux sont issus de structures fondamentales qui sont le plus souvent non conscientes. Ainsi, l’organisation sociale génère certaines pratiques et certaines croyances propres aux individus qui en dépendent. Le structuralisme cherche à expliquer un phénomène à partir de la place qu’il occupe dans un système, suivant des lois d’association et de dissociation supposées immuables.

Dans les années 70, Foucault s’engage à nouveau politiquement, surtout en défendant des militants maoïstes emprisonnés et des travailleurs immigrés. À la fin de ces années-là, certains anciens gauchistes prennent un virage idéologique à 180 degrés, formant les Nouveaux Philosophes. Ils citent souvent Foucault comme l’une de leurs sources d’influence majeures.

Foucault est surtout connu pour ses critiques des institutions sociales : la psychiatrie, la médecine, le système carcéral, et pour ses idées et développements sur l’histoire de la sexualité, ses théories générales concernant le pouvoir et les relations entre pouvoir et connaissance.

Dans la seconde moitié des années 70, il s’est aussi intéressé à ce qui lui semblait une nouvelle forme d’exercice du pouvoir (sur la vie), qu’il a appelé « biopouvoir » (concept repris par Antonio Negri). Au pouvoir qui donne la mort et laisse vivre s’est substitué le biopouvoir qui fait vivre et laisse mourir (État-providence : sécurité sociale, assurances, etc.).

Vous critiquez Foucault tout en reconnaissant qu’il a toujours eu un « temps d’avance sur ses contemporains » : c’est-à-dire… ?

Daniel Zamora : Foucault a mis en lumière des problématiques qui étaient ignorées, voire mises de côté par les intellectuels dominants de son époque même s’il faut préciser qu’il n’était pas le seul à travailler sur les questions posées par la psychiatrie, la prison ou la sexualité. En Italie, par exemple, le mouvement antipsychiatrique initié par Franco Basaglia n’a pas attendu Foucault pour remettre en cause les asiles et formuler des propositions politiques stimulantes afin de remplacer l’institution. Foucault a cependant ouvert la voie à de très nombreux historiens et chercheurs travaillant sur de nouvelles problématiques, de nouveaux territoires encore peu explorés. Il nous a appris à toujours questionner politiquement les objets qui semblaient alors au-delà de tout soupçon. La vraie tâche politique à ses yeux était de critiquer les institutions « apparemment neutres et indépendantes » et de les attaquer « de telle manière que la violence politique qui s’exerce obscurément en elles soit démasquée (2) ».

Votre ouvrage, en rendant Foucault compatible avec le néolibéralisme, risque de faire grincer beaucoup de dents !

Daniel Zamora : C’est un peu le but du livre. Je voulais rompre avec l’image bien trop consensuelle d’un Foucault en opposition complète avec le néolibéralisme sur la fin de sa vie et qui est devenu aujourd’hui une sorte de figure intouchable pour une partie de la gauche radicale. Cet aveuglement est d’autant plus étonnant que, lorsque je me suis plongé dans les textes, j’ai moi-même été surpris par l’indulgence dont fait preuve Foucault à l’égard du néolibéralisme. Ce n’est pas uniquement son cours au Collège de France qui pose question (naissance de la biopolitique), mais également de nombreux articles et interviews, qui sont pourtant accessibles. Foucault était très attiré par le libéralisme économique : il voyait dans celui-ci la possibilité d’une forme de gouvernement beaucoup moins normative et autoritaire que celle proposée par la gauche socialiste et communiste, qu’il trouvait dépassée. Il percevait dans le néolibéralisme une politique « beaucoup moins bureaucratique » et « beaucoup moins disciplinariste » que celle de l’État social d’après-guerre. Foucault paraît, à la fin des années 70, se rapprocher de la « deuxième gauche », courant minoritaire, mais intellectuellement influent du socialisme français. Il est séduit par la volonté de « désétatiser la société française ».

La majorité des ouvrages consacrés au tournant conservateur des années 80 se sont jusqu’à présent articulés autour de l’idée de la « trahison » de certains intellectuels et militants politiques : de gauche, ils auraient retourné leur veste par « opportunisme ». C’est une lecture incorrecte. Dès qu’on étudie sérieusement les analyses de Foucault — et de bien d’autres — au tournant des années 80, on comprend vite que leur « gauchisme » ou leur critique portaient essentiellement sur tout ce qu’avait pu incarner la gauche d’après-guerre : l’État social, les partis, les syndicats, le mouvement ouvrier organisé, le rationalisme, la lutte contre les inégalités… Je ne pense pas que ces intellectuels aient « retourné leur veste ». Ils étaient prédisposés, par leur critique et leur haine de la gauche classique, à embrasser la doxa néolibérale. Dès lors, il devient beaucoup moins étonnant que François Ewald, assistant de Foucault au Collège de France, devienne conseiller du MEDEF, tout en se réclamant toujours de Foucault…

En même temps, votre livre n’est pas un pamphlet grossier, un procès inquisitorial. Vous reconnaissez des qualités à son œuvre.

Daniel Zamora : Évidemment ! Je suis fasciné par le personnage et par son œuvre qui est, à mes yeux, précieuse. Foucault est l’un des premiers à prendre réellement au sérieux les textes néolibéraux et à les lire rigoureusement. Avant lui, la production intellectuelle de ces auteurs était largement disqualifiée et perçue comme de la simple propagande. Foucault a fait voler en éclats la barrière symbolique érigée par la gauche intellectuelle contre la tradition néolibérale de Hayek, Becker ou Friedman. Foucault a toujours pris le soin de questionner des corpus théoriques d’horizons très différents et de remettre constamment en question ses propres idées. La gauche intellectuelle n’a malheureusement pas toujours réussi à faire de même. Elle se retrouve trop souvent dans un entre-soi intellectuel, entre personnes qui n’ont presque jamais lu les travaux et les arguments des pères intellectuels de l’idéologie politique qu’elles sont censées combattre et qui sont donc totalement incapables de débattre avec ceux qui ne partagent pas leurs postulats de départ.

Dans votre texte, vous contestez sa vision de la sécurité sociale et de la redistribution des richesses : pouvez-vous nous en parler ?

Daniel Zamora : C’est une question quasi inexplorée par les « foucaldiens » ! Mon intérêt pour la sécurité sociale est lié à mes recherches sur la question, recherches qui m’ont amené à m’interroger sur la manière dont on est passé, au cours des quarante dernières années, d’une politique qui visait à lutter contre les inégalités, ancrée dans la sécurité sociale, à une politique visant à lutter contre la pauvreté, de plus en plus organisée autour de budgets spécifiques et de publics cibles. Or, d’un objectif à l’autre, c’est toute la conception de la justice sociale qui se transforme : il est très différent de lutter contre les inégalités (et de vouloir réduire les écarts absolus) ou de lutter contre la pauvreté (et de vouloir offrir un minimum vital aux plus démunis). Pour mener à bien cette petite révolution, il a fallu un long travail de délégitimation de la sécurité sociale et des institutions du salariat.

Or, en parcourant les pages écrites par Foucault à la fin des années 70 et au début des années 80, il m’est apparu qu’il prenait lui-même pleinement part à cette opération. Il remet non seulement en cause la sécurité sociale, mais il est également séduit par l’alternative de l’impôt négatif que propose Milton Friedman à cette époque. À ses yeux, les mécanismes d’assistance et d’assurance, qu’il met sur le même plan que la prison, les casernes ou les écoles, sont des institutions indispensables « pour l’exercice du pouvoir dans les sociétés modernes ».

Du fait des nombreuses tares que comporterait le système classique de sécurité sociale, Foucault s’intéresse alors à son remplacement par un système d’impôt négatif. L’idée est relativement simple : elle consiste dans le fait que l’État offre une allocation à toute personne qui se trouve en dessous d’un certain niveau de revenus, et cela sans grandes difficultés administratives. En France, c’est au travers de l’ouvrage de Lionel Stoléru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, que ce débat apparaît dès 1974. Un argument important a directement attiré l’attention de Foucault : dans le même esprit que Friedman, il effectue une différence entre une politique qui cherche l’égalité (socialisme) et une politique qui veut simplement supprimer la pauvreté sans remettre en cause les écarts (libéralisme). Pour lui, « les doctrines […] peuvent inciter à retenir soit une politique visant à supprimer la pauvreté, soit une politique cherchant à plafonner l’écart entre riches et pauvres (3) ». C’est ce qu’il nomme « la frontière entre pauvreté absolue et pauvreté relative (4) ». La première renvoie simplement à un niveau déterminé arbitrairement (auquel s’adresse l’impôt négatif) et l’autre aux écarts généraux entre les individus (auxquels répondent la sécurité sociale et l’État social). Aux yeux de Stoléru, « l’économie de marché est capable d’assimiler des actions de lutte contre la pauvreté absolue », mais « elle est incapable de digérer des remèdes trop forts contre la pauvreté relative (5) ».

De ce point de vue, l’enthousiasme à peine masqué avec lequel Foucault rend compte de la proposition de Stoléru participe d’un mouvement plus large, qui va accompagner le déclin de la philosophie égalitariste de la sécurité sociale au profit d’une lutte très libérale contre la pauvreté. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la lutte contre la pauvreté, loin d’avoir limité les effets des politiques néolibérales, a en réalité contribué à son hégémonie politique. On ne s’étonne plus de voir les plus grandes fortunes de ce monde, comme Bill Gates ou George Soros, s’engager dans ce combat contre la pauvreté tout en défendant, sans contradiction apparente, la libéralisation des services publics, la destruction de tous les mécanismes de redistribution des richesses et les vertus du néolibéralisme ! Lutter contre la pauvreté permet alors de mettre les questions sociales à l’ordre du jour de la politique sans pour autant lutter contre les inégalités et les mécanismes structurels qui les produisent. Cette évolution a donc pleinement accompagné le néolibéralisme, et mon texte a pour objectif de montrer que Foucault a sa part de responsabilité dans cette dérive.

La question de l’État est omniprésente dans votre ouvrage. Celui qui critique sa raison d’être serait un libéral. Or Bakounine, tout comme Lénine et les traditions anarchiste et marxiste critiquent aussi l’État ! Ne faites-vous pas l’impasse sur cette dimension ?

Daniel Zamora : La critique marxiste ou anarchiste est très différente de celle que formule Foucault. Tout d’abord, ces anciens auteurs anarchistes et marxistes ne connaissaient pas la sécurité sociale et la forme que prendra l’État après 1945. L’État dont parle Lénine est un État où les ouvriers ne jouissent d’aucun droit réel. Le droit de vote, par exemple, n’est réellement généralisé — pour les hommes — que durant l’entre-deux-guerres. J’ai toujours été très irrité par cette idée, relativement populaire au sein de la gauche radicale, que la sécurité sociale n’est au fond qu’un outil de contrôle social par le grand capital. Cette idée manifeste une méconnaissance de l’histoire et des origines de nos systèmes de protection sociale. Ceux-ci n’ont pas été instaurés par la bourgeoisie pour contrôler le bon peuple : elle y était totalement hostile ! Ces institutions, fruits de la position favorable du mouvement ouvrier au lendemain de la Libération, ont été inventées par le mouvement ouvrier lui-même. Dès le 19e siècle, les ouvriers et les syndicats avaient, par exemple, constitué des caisses de secours mutuel destinées à verser des allocations à ceux qui étaient en incapacité de travailler. C’est la logique même du marché et les énormes incertitudes qu’elle fait peser sur la vie des ouvriers qui les ont poussés à développer des mécanismes de socialisation partielle des revenus. Si, durant la première phase de la révolution industrielle, seuls les propriétaires étaient des citoyens à part entière, c’est — comme le souligne le sociologue Robert Castel — avec la sécurité sociale qu’a réellement lieu la « réhabilitation sociale des non-propriétaires ». C’est elle qui instaure, à côté de la propriété privée, une propriété sociale destinée à faire réellement entrer dans la citoyenneté les classes populaires. Cette idée est celle que défendait Karl Polanyi dans son livre La Grande Transformation, voyant dans tout principe de protection sociale l’objectif de dégager l’individu des lois du marché, et donc de reconfigurer les rapports de force entre capital et travail.

On peut bien sûr déplorer la gestion étatique de la sécurité sociale et dire, par exemple, que ce sont des collectifs qui devraient la gérer — bien que je n’y croie pas beaucoup —, mais critiquer l’outil et ses fondements idéologiques en tant que tels est très différent… Foucault va jusqu’à dire qu’il est « clair qu’il n’y a guère de sens à parler du “droit à la santé” » et il se demande : « une société doit-elle chercher à satisfaire par des moyens collectifs le besoin de santé des individus ? Et ceux-ci peuvent-ils légitimement revendiquer la satisfaction de ces besoins ? » On n’est donc plus vraiment dans le registre anarchiste… Pour moi, et contrairement à Foucault, ce que nous devons faire, c’est approfondir les acquis, partir du « déjà-là », comme le dit Friot. Et la sécurité sociale est un formidable outil que nous devons à la fois défendre et approfondir.

En se focalisant sur les « marginaux » (les exclus, les prisonniers, les fous, les « anormaux », les minorités sexuelles, etc.), Foucault n’a-t-il pas permis de mettre en lumière toutes ces personnes jusqu’alors ignorées par le marxisme orthodoxe qui n’avait d’yeux que pour les rapports économiques ?

Daniel Zamora : Vous avez raison. Son apport sur ce point est très important et il a clairement sorti de l’ombre toute une gamme d’oppressions, invisibles jusque-là. Mais sa démarche ne vise pas uniquement à mettre en avant ces problèmes : il cherche à leur donner une centralité politique qui me pose question. À ses yeux, et aux yeux de beaucoup d’auteurs de cette époque, la classe ouvrière se serait alors « embourgeoisée » et parfaitement intégrée au système. Les « privilèges » obtenus dans l’après-guerre n’en feraient plus un agent de changement social, mais, au contraire, un frein à la révolution. Cette idée est alors très répandue et se retrouve chez des auteurs aussi variés que Herbert Marcuse ou André Gorz, qui ira même jusqu’à parler de la classe ouvrière comme d’une « minorité privilégiée »…

La fin de cette centralité — qui serait synonyme également de la fin de la centralité du travail — trouve alors son issue dans les « luttes contre les marginalisations », auprès des minorités ethniques ou sociales. Le lumpenprolétariat (ou les « nouveaux plébéiens », pour reprendre le terme de Foucault) est désormais vu comme un sujet authentiquement révolutionnaire. Pour ces auteurs, le problème n’est plus tellement l’exploitation, mais le pouvoir et les formes modernes de la domination. Comme l’écrit Foucault, « le 19e siècle s’est préoccupé surtout des relations entre les grandes structures économiques et l’appareil d’État », maintenant ce sont « les problèmes des petits pouvoirs et des systèmes diffus de domination » qui « sont devenus des problèmes fondamentaux (6) ».

Au problème de l’exploitation et de la redistribution des richesses se seraient alors substitués celui du « trop de pouvoir », celui du contrôle des conduites. À l’aube des années 80, il semble clair, pour Foucault, qu’il ne s’agit plus tellement de redistribuer les richesses. Il n’hésite pas à écrire : « On pourrait dire que nous avons besoin d’une économie qui ne porterait pas sur la production et la distribution de richesses, mais d’une économie qui porterait sur les relations de pouvoir (7). » Il s’agit donc moins de luttes contre le pouvoir en « tant qu’il exploite économiquement », mais plutôt des luttes contre le pouvoir au quotidien, luttes incarnées notamment par le féminisme, les mouvements d’étudiants, les détenus ou les sans-papiers. Le problème n’est évidemment pas d’avoir mis à l’ordre du jour toute une gamme de dominations qui étaient jusque-là plutôt ignorées, le problème vient du fait qu’elles sont de plus en plus théorisées et pensées en dehors des questions relatives à l’exploitation. Loin de dessiner une perspective théorique qui pense les relations de ces deux problèmes, Foucault les oppose petit à petit, voire même les pense comme contradictoires !

Cette disqualification du monde ouvrier a eu des effets plutôt étonnants. Elle va placer à l’avant-plan du débat public « l’exclusion sociale » des chômeurs, des jeunes des banlieues et des immigrés comme principal problème politique. Cette évolution sera le point de départ de la centralité que vont prendre — à gauche comme à droite — les « exclus » et de l’idée que, désormais, la société « post-industrielle » se divise entre ceux qui ont accès au marché du travail et ceux qui, à un degré ou à un autre, en sont exclus — déplaçant ainsi la focale du monde du travail vers l’exclusion, les pauvres ou le chômage. Ce déplacement mettra indirectement les ouvriers du côté « de ceux qui ont un emploi (du côté des “privilégiés” et des “avantages acquis”) (8) ».

Cette logique redéfinit la question sociale autour d’un conflit entre deux fractions du prolétariat plutôt qu’entre le capital et le travail. À droite, cette redéfinition visera à limiter les droits sociaux des « surnuméraires » en mobilisant contre eux les « actifs » et, à gauche, il s’agira de mobiliser les « surnuméraires » contre l’embourgeoisement des « actifs ». Les deux positions acceptent dès lors la centralité des fractions « exclues » du salariat stable au détriment de celle des « ouvriers ». Quand Margaret Thatcher oppose « l’underclass » « assistée » et « protégée » aux Britanniques « qui travaillent », n’exprime-t-elle pas, sous une forme inversée, la thèse de Foucault ou d’André Gorz ?

Il est évident que le contenu politique de ces déclarations de droite diffère radicalement de celles des auteurs de la fin des années 70. Mais d’une manière ou d’une autre, pour les deux, ce sont les surnuméraires qui sont devenus le sujet politique central et non plus la classe ouvrière. Tant pour Gorz que pour le mouvement néolibéral, ce n’est plus tant le fait d’être exploité qui pose problème, mais le rapport au travail. Gorz voit dans le mode de vie des surnuméraires une « délivrance » du travail et Thatcher un « vice » de fainéantise qu’il convient de combattre. L’un élève au rang de vertu un « droit à la paresse » tandis que l’autre en fait l’injustice à détruire. Comme la philosophe marxiste Isabelle Garo l’a très bien décrit, cette transition contribuera à « remplacer l’exploitation et sa critique par le recentrage sur la victime du déni de droit, prisonnier, dissident, homosexuel, réfugié, etc. (9) ».

Comment expliquez-vous que Foucault puisse séduire autant dans les milieux radicaux, qui, pourtant, affirment avec force vouloir en finir avec l’ère néolibérale ?

Daniel Zamora : C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse satisfaisante. C’est sans doute dû en grande partie à la structure du champ académique lui-même. S’insérer dans une « école de pensée » ou s’inscrire dans une certaine perspective théorique, c’est aussi s’inscrire dans un champ intellectuel où il y a une lutte importante pour avoir accès aux positions dominantes. Se dire marxiste dans la France des années 60, alors que le champ académique est partiellement dominé par des auteurs qui s’en revendiquent, n’a pas le même sens qu’être marxiste aujourd’hui. Les rapports de force au sein du champ académique ont considérablement changé depuis la fin des années 70 : suite au déclin du marxisme, Foucault y occupe désormais une place centrale. Il offre une position confortable qui permet d’allier un certain degré de subversion sans rien perdre aux codes de l’académie. Mobiliser Foucault est relativement valorisé et permet souvent à ses défenseurs d’être publiés dans des revues prestigieuses, de s’insérer dans de larges réseaux d’intellectuels, de publier des livres, etc. De très larges pans du monde intellectuel font référence à Foucault dans leurs travaux et lui font dire tout et son contraire. On peut être conseiller au Medef et éditer ses cours ! Il ouvre des portes… Et on ne peut pas vraiment en dire autant de Marx de nos jours !

Il existe évidemment aussi une critique « conservatrice » de Foucault — et plus largement de ce qu’a pu constituer Mai 68 dans l’histoire sociale française. Cette critique n’est plus du tout marginale : on la retrouve largement dans les rangs de penseurs de la droite conservatrice comme Eric Zemmour ou au Front national. Elle critique ouvertement l’héritage féministe, antiraciste et culturel de Mai 68, tout en étant beaucoup moins bavarde sur les ravages économiques du néolibéralisme. Ce qui pose problème pour elle, c’est le libéralisme sociétal qui a accompagné les années 80 : seul un retour sur ses évolutions pourrait permettre de « faire société ». On entend souvent ce genre d’idées, selon lesquelles c’est la destruction des valeurs familiales ou des formes communautaires de lien social qui a permis l’expansion du néolibéralisme, vécu ici comme une évolution négative du bon vieux capitalisme d’avant la mondialisation. Si ces analyses ont certainement une part de réalité, elles sont souvent totalement fantasmées lorsqu’elles proposent un retour à des modes de vie plus « traditionnels », une sorte de libéralisme beaucoup plus autoritaire, avec un retour des valeurs familiales et d’une culture nationale totalement idéalisée…

En ce qui concerne l’héritage de Mai 68, le rôle de la gauche n’est pas de fermer les yeux parce que l’extrême droite, Soral ou Zemmour l’attaquent, mais, au contraire, de faire son propre bilan, d’avancer sa propre critique afin de ne pas perdre totalement le combat idéologique ! C’est à cette tâche que nous devons nous atteler pour reconstruire une gauche à la fois radicale et populaire.

Cet article est une version abrégée de l’interview « Tenir tête, fédérer, amorcer » réalisée le 3 décembre 2014 par la revue Ballast, que nous tenons à remercier.

Notes :

(1) Critiquer Foucault. Les années 1980 et la tentation néolibérale, ouvrage collectif dirigé par Daniel Zamora, Aden, 2014.

(2) Noam Chomsky, Michel Foucault, Sur la nature humaine : comprendre le pouvoir, Aden, Bruxelles, 2006.

(3) Lionel Stoléru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, Flammarion, Paris, 1974, p. 237.

(4) Ibid. pp. 286-287.

(5) Ibid.

(6) Michel Foucault, « Michel Foucault. Les réponses du philosophe », novembre 1975, dans Dits et Écrits I, 1954-1975, no 163, Gallimard, Paris, 2001, p. 1674.

(7) Michel Foucault, « La philosophie analytique de la politique », op.cit., p. 536.

(8) Stéphane Beaud, Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, 10/18, Paris, 2004, p. 424.

(9) Isabelle Garo, Foucault, Deleuze, Althusser et Marx, Demopolis, Paris, 2011, p. 70.

Source : Etudes Marxistes

29 mars 2016
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Le droit international ? Un ensemble de normes réglant les relations entre les États, relevant du monde des croyances (« la légitimité juridique ») et objet d’une méconnaissance presque totale (les citoyens n’en font pas un point d’appui politique). On l’invoque parfois, lorsqu’un État y trouve un intérêt. On le passe le plus souvent sous silence, parce qu’il entrave une puissance (publique ou privée). Hors des publications universitaires spécialisées, les médias l’ignorent. Les forces politiques n’en font que peu d’usage, par ignorance ou par crainte qu’il ne les desserve, même si parfois il peut « servir »… Cet article est un extrait de l'introduction du livre de Robert Charvin "Le droit international et les puissances occidentales. Tentatives de liquidation" (publications du CETIM).



Aujourd’hui, à l’instigation surtout des États-Unis (EU), qui ont tous les moyens à leur disposition, le droit interna­tional fait l’objet de manipulations : il est instrumentalisé pour des causes qui lui sont contraires. Il est même victime d’une tentative de liquidation, du moins dans tous les secteurs qui handicapent la liberté de manœuvre des grandes puissances, particulièrement les EU.

C’est ainsi, par exemple, que la « non ingérence » dans les affaires intérieures des États et des peuples, disposition centrale de la Charte des Nations unies, devient par la grâce « étatsunienne » son contraire avec l’ingérence dite « humanitaire » et le « devoir de protéger » les peuples contre leur propre État. La pratique de quelques Puissances, désireuses de produire à elles seules un « droit coutumier », devient une source fondamentale en lieu et place de l’accord entre États.

Cette pratique présente les caractères les plus arbitraires, les plus discriminatoires et les plus contradictoires : elle ne relève d’aucun principe, quel que soit le discours officiel, mais d’une simple évaluation des rapports de force et des possibilités qu’ils ouvrent. C’est qu’en effet dans tous les États, y compris ceux se réclamant haut et fort de la démocratie, la politique étrangère est entre les seules mains des Chefs d’État et de gouvernement, assistés de leurs services plus ou moins spéciaux, en collaboration avec les ministres de la Défense et des Affaires étrangères.

Les peuples et leurs représentants sont réduits à n’être que des sujets : malgré les discours sur la « mondialisation heu­reuse », l’homme est toujours en exil dans la société internationale. Roland et Monique Weyl (1) ont raison lorsqu’ils constatent une « abdication » citoyenne. Seules, pourtant, les organisations populaires peuvent prendre en charge le Droit international, après avoir pris conscience de l’importance politique de ses principes et de ses normes aptes à limiter tous les pouvoirs publics et privés.

Le droit international devient un ensemble de normes confuses dont on ne connaît avec précision ni les sources réelles ni le contenu. Il perd toute pertinence dans la me­sure où même les règles les plus limpides font l’objet d’interprétations obscures mais « utiles » à certains intérêts. Malgré toutes ses faiblesses, cette doctrine dominante peut se contredire sans se discréditer en raison de l’absence de mémoire politique de l’opinion et du caractère oppor­tuniste de ses prises de positions successives (2).

La plupart des juristes s’inscrivent dans le climat ambiant, adhérant à l’agenda de leur gouvernement, et ne se placent pas à contre courant. Bien que les problèmes sociaux les plus massifs, telle la malnutrition, l’insuffisant accès aux soins, à l’éducation, au logement, au travail et aux ressources vitales, telle que l’eau demeurent irrésolus et n’ont pas de perspectives de solutions à court ou moyen terme, les acteurs du monde occidental, dont les juristes ou les ONG, qui sont en mesure de sensibiliser l’opinion, acceptent la logique du système socio-politique.

Le sort des pandas ou des baleines peut, dans certains cas, prendre la place de la misère des bidonvilles du Tiers Monde ; les oppositions raciales ou religieuses, artificiel­lement gonflées, parce qu’elles opposent les pauvres entre eux, peuvent se substituer avec avantage aux clivages sociaux qui mettent en cause les intérêts dominants ; le spectacle sportif international peut devenir un « opium » des peuples tout comme l’étaient les jeux de cirque durant l’Antiquité. L’ensemble de ces diversions pervertissent tous les combats, y compris juridiques. Par exemple, les luttes en faveur des droits humains se transforment en une bataille pour les seuls droits électoraux ; les luttes anticoloniales (comme celle des Palestiniens) se liquéfient en problème exclusivement humanitaire…

L’« optimisme », qui n’a aucune signification scientifique, est pourtant dominant, quelles que soient les crises multiples et les drames humains qui se produisent (par exemple, la question palestinienne ou la question afghane). Lorsque l’échec des politiques occidentales est patent, constituant des « exemples » peu « exemplaires », les ju­ristes néoconservateurs « passent à autre chose » : rien de plus éclairant que de suivre les travaux successifs d’un même auteur et de constater ses autocorrections ! La sé­rénité reste de rigueur : « l’ordonnancement international sera durablement le résultat d’un équilibre (...) entre les exigences de liberté et celles de la solidarité » (3).

Pas question de déséquilibre et d’inégalité flagrante puisque, est-il dit, « l’Humanité est aujourd’hui plus consciente que jamais de son unité »... C’est ainsi, par exemple, que l’échec de la gestion de la « paix » imposée en Irak et de l’occupation est occulté par la chute de la dictature ; même chose pour les interventions en Afghanistan conclues par le renversement du régime taliban, même si le conflit se prolonge sans résultat ; on passe outre le chaos libyen postérieur à l’intervention de l’OTAN et les multiples conséquences dans l’environnement régional de la Libye (en particulier au Mali).

Sur le plan de la doctrine, les ONG occidentales adoptent la même attitude que les médias : le silence s’impose lorsque les initiatives euro-étatsuniennes ne sont pas couronnées de succès. L’exemple le plus flagrant est celui des accords d’Oslo en 1993 présentés comme « permettant de faire entrer le Moyen Orient dans une ère nouvelle » sans que, vingt ans après, on ne souligne leur échec total. Quant à l’Union Européenne, opportunément réci­piendaire du Prix Nobel de la Paix 2012, succédant au marché commun qui devait aboutir, selon tous les juristes spécialistes, à la prospérité générale, elle reste, malgré ses 25 millions de chômeurs et ses spéculations bancaires, positivement évaluée.

La « lobbycratie » de Bruxelles n’est en rien remise en cause par les juristes européens. Plus généralement, on reste attaché au monde « globalisé », « unifié » par l’économie de marché et les grandes firmes, on demeure hostile à la souveraineté des États (4). On se désintéresse du sous-développement qui n’a pas reculé. Ce sont le « droit des affaires internationales », avec les règles de l’OMC, la jurisprudence de son organe de règlement des conflits, les instruments juridiques d’ajustement structurel du FMI, les opérations financières du système bancaire international et de la Banque mondiale, qui seuls peuvent permettre la « croissance » pour tous !

Ce sont les médias et l’intense propagande pro-étatsu­nienne et pro-capitaliste qui créent le climat nécessaire (5) à l’acceptation de ce qui doit, selon les EU et leurs alliés, passer pour du droit alors que les normes ne peuvent changer qu’avec l’accord des États (voir les arrêts de la Cour internationale de justice qui le rappellent expressément dans l’affaire « Détroit de Corfou », 1949, et celle concernant le « différend Nicaragua/EU », 1986).

Les violations flagrantes se transforment en interpré­tations « souples » (6), « justifiées » par des besoins humani­taires auxquels nul État ne saurait se soustraire : c’est ainsi que l’agression devient une opération de protection des personnes civiles. Il en a été ainsi pour les affaires yougoslave, irakienne, libyenne. Le droit cède devant le « devoir » : une Faculté de droit de Paris, assistée du docteur Kouchner et du juriste Mario Bettati, a ainsi, avec l’appui de la plus haute autorité française, réinventé « l’ingérence humanitaire », produit archaïque du XIXe siècle intitulé à l’époque « intervention d’humanité » visant à protéger les chrétiens d’Orient !

Certes, le droit in­ternational ne s’est jamais bien porté : tous les États, au prorata de leur force, l’ont violé, bien que contribuant aussi à le façonner. Mais la situation est telle aujourd’hui, y compris dans les milieux juridiques, qu’il est difficile d’aller à contre-courant lorsqu’une thèse a été martelée à tel point qu’évoquer simplement la légalité apparaît comme un « engagement idéologique immoral ».

Le monde est en crise et le droit international est entré dans un coma profond.

Si cet article vous a intéressé, nous vous proposons de découvrir l’ouvrage de Robert Charvin, publié par les éditions du CETIM.



Notes :

(1) Sortir le Droit international du placard, éditions du CETIM, Genève, 2008.

(2) Les juristes les plus éminents bénéficient de « consultations » fortement rémunérées et pour les causes les plus diverses voire opposées. Ils assènent dans leurs publications des principes qu’ils contredisent dans leurs « conseils » à leurs clients. Voir, par exemple, les « interprétations » favorables aux prétentions du Président Wade, au Sénégal, affirmant son droit à se représenter aux élections présidentielles de quatre juristes français très connus. Ils étaient moins nombreux à soutenir la légalité constitutionnelle en Côte d’Ivoire lorsque l’élection du Président Gbagbo était contestée... La doctrine dominante est en réalité « disponible » pour toutes les causes – qu’elles soient légales ou pas – pourvu qu’elles se situent à l’intérieur d’un cadre politique de type « occidentaliste ».

(3) Cf J. Touscoz, Droit international, PUF, Paris, 1993, p. 399. Ce paragra­phe fait aussi référence à des remarques faites à l’auteur par son directeur de thèse, René-Jean Dupuy, Professeur au Collège de France.

(4) Voir C. Nigoul, M. Torrelli, Les mystifications du nouvel ordre interna­tional, PUF, Paris, 1984 : « Tout ce qui va dans le sens d’un renforcement de la souveraineté contribue à éloigner l’objectif du désarmement et de la paix » (p. 99). Ce qui a été écrit par des juristes français en 1984 reste la « vérité » pour la plupart d’entre eux en 2013. La grande crainte est toujours la même : « la guerre des pauvres contre les riches » (p. 131). L’avenir, c’est l’Europe, qui peut prétendre jouer le rôle d’interlocuteur privilégié du Tiers Monde (p. 153). M. Touraine ajoute dans son ouvrage cité de 1995 (p. 303) que « la souveraineté des États n’impose pas de permettre l’oppression au nom de la souveraineté »… Il y a dans la doctrine dominante depuis la fin des guerres coloniales (la France, au nom de la souveraineté, se refusait à toute ingérence dans l’affaire algérienne) un consensus « anti-souveraineté » permanent.

(5) Un certain nombre de clubs, d’associations privées réunissant des hommes d’affaires, des journalistes, des politiques et des intellectuels, tissent des liens, créent des réseaux d’influence, harmonisant les positions. On peut citer en France, par exemple, le club « Le Siècle » rassemblant 400 membres influents qui fixent l’ordre du jour et les orientations générales que doit suivre la société française.

(6) Par exemple, on peut effacer le caractère illicite d’un acte lorsqu’il produit un résultat davantage en accord avec « l’intention de la règle et plus moral que ce qui aurait suivi si aucune action n’avait été entre­prise ». (Cf. P. M. Martin, « Ingérable ingérence », in Regard critique sur quelques (r)évolutions récentes du Droit, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1995).

(7) Voir par exemple la réaction des Facultés de droit françaises à l’encontre des universitaires contestant la légalité des interventions en Yougoslavie, en Côte d’Ivoire ou en Libye.

Source : Investig’Action

30 mars 2016
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Ainsi, l’Union Européenne vient de signer avec la Turquie cet « Accord de la honte ». Qui en fait supprime le droit d’asile, un droit fondamental pourtant garanti par l’article 14 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays. »



Le troc du siècle ! En échange de six milliards d’euros cédés à Ankara, on leur refile nos réfugiés politiques, on les charge du sale boulot (les prisons turques sont très réputées) et on se débarrasse des Droits de l’Homme ! Clairement, c’est une « bonne affaire » puisqu’un million de réfugiés sont arrivées en Europe en 2015. Du point de vue comptable, un réfugié vaut donc six euros. Pas cher pour une puissance qui prétend donner au monde entier des leçons sur les droits de l’homme !

Tout ceci, nous le devons au bordel semé – par les interventions occidentales ! – en Irak, en Afghanistan, en Libye et en Syrie. Or, ce « marché des réfugiés » a encore de belles perspectives de croissance tant que l’Occident s’acharnera à décider à la place des nations puisqu’Obama a dit récemment : « Le ‘leadership américain’ implique de forcer la main des Etats qui ne font pas ce que nous voulons qu’ils fassent » . Et puisqu’on ne cesse pas d’utiliser des terroristes pour déstabiliser des Etats (« Les USA ont créé Al-Qaida », a reconnu Hillary Clinton ). Bref, on peut estimer beaucoup plus élevé encore le nombre d’êtres humains qui seront obligés de fuir la guerre et le terrorisme.

Bien sûr, nos politiques ressortent l’habituel argument « Nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde. » Eh bien, il ne fallait pas commencer par la créer en essayant de voler le pétrole… Pardon, « éliminer les armes de destruction massive » ! Ou « combattre le terrorisme » (joli résultat !). Ou « apporter la démocratie » (avec l’aide des Saud, Qatar et Erdogan !).

Il y aurait pourtant une solution simple et honnête : dire non aux USA et quitter l’Otan qui apporte la souffrance partout où elle intervient. Accepter des relations sur pied d’égalité avec toutes les nations. Appliquer la Charte de l’ONU qui interdit l’ingérence et la guerre. Bref, respecter le droit.

Apparemment, c’est trop cher pour nos grandes « démocraties » !

Source : Investig’Action


B'Tselem בצלם

Israeli military bombs training camp; two children killed in their beds

Published: 
 30 Mar 2016
At about 2:30 A.M. on 12 March 2016, Israeli air force planes made an air strike on the Gaza Strip. According to the IDF Spokesperson, the planes attacked a training camp belonging to the military branch of Hamas in the a-Sayfa area of Beit Lahiya, which is in the northern Gaza Strip. The attack was launched in retaliation for the firing of a rocket into Israel. No Hamas military branch operatives were injured in the attack.
The gaping hole in the roof of the Abu Khusah family home. Photo by Muhammad Sabah, B’Tselem, 12 March 2016.
The gaping hole in the roof of the Abu Khusah family home. Photo by Muhammad Sabah, B’Tselem, 12 March 2016.
The IDF Spokesperson failed to mention that the attack also hit the home of the Abu Khusah family, which is situated about 50 meters away from the base, alongside other homes. Their home was struck by a block of stone or concrete that, propelled by the force of the blast, went through the roof. The family of eight had been living in a makeshift shack constructed partially from tin and asbestos, after their home was destroyed some 18 months ago in Operation Protective Edge. Yasin, 10, was killed on the spot; his sister Israa died of her injuries later that day. Their brother Ayub, 12, sustained a minor head wound, and their 5-year-old sister Ikram suffered very slight injuries.
Salman Abu Khusah, 45, Yasin and Israa’s father, spoke with B’Tselem field researcher Muhammad Sabah and recounted the events of the night his children were killed:
Salman Abu Khusah. Photo by Muhammad Sabah, B’Tselem, 29 March 2016.On Friday, 11 March 2016, my six children were sleeping together in their room as usual. Everything was completely normal and I didn’t notice any particular problems. At about 2:30 A.M. I woke up and felt as if an earthquake was shaking the house. As soon as I opened my eyes I felt the dust, and then came debris and sand and I couldn’t see anything.
I heard the children shouting in the next room. I ran over immediately and saw them lying in their beds, covered in blood. I telephoned for an ambulance right away. I was in shock and couldn’t look at my children injured and covered in blood. After I called for an ambulance, I just stood there unable to do anything, not even to think. Some neighbors and relatives arrived and tried to give the children first aid. One neighbor took Yasin and another took Israa. Then an ambulance came and took Ayub, who is 12, and Ikram, who is 5, who were also injured.
I went to the Indonesian Hospital in the Tel a-Za’tar neighborhood in the east of Jabalya. Yasin was in very bad shape. After a few minutes he was pronounced dead of a serious head injury. Israa was transferred to the ICU at a-Shifaa Hospital in Gaza City. She had bleeding on the brain and was in critical condition. She was pronounced dead at midday.
Israel’s longstanding policy of air strikes on the Gaza Strip reflects decision makers’ inconceivable disregard for the lives of the people living there. Israel is duty-bound to do everything in its power to avoid injury to civilians. Yet despite repeated civilian fatalities and casualties, Israel refuses to change its policy and continues to adopt a distorted and far-reaching interpretation of the provisions of international humanitarian law in order to justify its position. This policy is unlawful and immoral.
In this instance, the attack was carried out in circumstances that were completely under Israel’s control, including the time and location of the strike. Accordingly, if there was in fact any justification for such an attack, other than its symbolic value, the military should have ensured that only the facility itself would be hit, and that civilians living in the vicinity – whose presence was or ought to have been known to those planning the strike – would come to no harm. Having failed to do so, the decision makers in both the military and political echelons bear liability for the children’s death.