L’implication du changement climatique dans les révoltes “arabes”
Existe-il un rapport de cause à effet entre le changement climatique et les vagues de protestations populaires ayant survenu dans des pays du moyen orient et d’Afrique du nord? Une littérature grandissante sur le sujet semble le confirmer.
La concentration de CO2 et autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère ne cesse d’augmenter provoquant le réchauffement climatique. Elle a pour source principale la combustion des hydrocarbures, la déforestation et l’exploitation agricole intensive et a pour conséquences l’augmentation de la survenue et de l’impact des sécheresses, des inondations et des cyclones (par exemple, l’ouragan Patricia est l’ouragan le plus intense jamais observé dans l’hémisphère ouest 1).
Le contexte mondial
Selon un rapport publié par “The Center for Climate & Security“, le prix du blé qui se négociait à 4 $ le boisseau en Juillet 2010 avait atteint 8.50-9 $ en Février 2011 en conséquence des conditions météo défavorables à travers le monde 2 . Quelques exemple: la Chine, plus grand producteur et consommateur de blé dans le monde est passé par des périodes de grande sécheresse en 2011. Des séries de mesures ont été prises par le gouvernement Chinois par crainte de mauvaises récoltes de céréales. Parmi ces mesures, l’achat de blé sur le marché internationale 3. Le Canada, deuxième plus grand exportateur de blé après les Etats-Unis a vu ses récoltes baisser à peu près au quart après des précipitations record au printemps 2010. Peu après, les feux de brousse couplés à la sécheresse ayant touché la Russie (4ème plus grand exportateur de blé, représentant 14% du commerce mondial) ont fait baisser les récoltes de blé annuelles à 60 millions de tonnes contre 97 millions en 2009. Par crainte de pénuries locales et de la hausse des prix, la Russie avait imposé des restrictions sur les exportations de blé, d’orge et de seigle. A partir de janvier 2011, les récoltes Américaines ont également été endommagées par plusieurs tempêtes.
L’impact sur la Syrie
De 2007-2010, la Syrie a été touchée par la sécheresse la plus sévère jamais enregistrée 4. Selon un rapport de 2011 réalisé conjointement par le Centre arabe pour l’étude des zones et terres arides et les Nations Unies, les quatre provinces les plus touchées (Hassaké, Raqqa, Alep ou Halab, et Dier ez-Zor) étaient les principales productrices de blé, elles représentaient à elles seules 75% de la production totale de blé en Syrie. Dans un pays ou le secteur agricole employait jusqu’à 40% de la main d’œuvre et qui représentait 25% du produit intérieur brut, les conséquences d’une telle catastrophe étaient désastreuses 5. La détérioration des cultures et la désertification des terres a poussé 1.5 millions de Syriens des régions rurales agricoles à l’exode vers les centres urbains 6. Selon une enquête de terrain réalisée en 2011 dans des villages touchés, la plupart des maisons s’étaient vidées : moins de 10% étaient occupées (principalement par des personnes âgées et des enfants). Les hommes jeunes parcouraient des milliers de kilomètres en quête de travail, en Syrie ou même au Liban et en Jordanie, tandis que les femmes allaient chercher du travail dans la partie occidentale du pays 5.
Selon le représentant de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en Syrie à l’époque, M. Ben Yahia, les autorités Syriennes ont fourni des efforts “considérables” pour remédier à cette catastrophe : distribution de paniers alimentaires aux personnes affectées, leur dispense de payement des taux d’intérêt ou la modification des échéances de remboursement des prêts…7 Hélas, ces solutions ponctuelles étaient insuffisantes face à la gravité de la situation.
En conséquence de la mauvaise gestion gouvernementale des ressources naturelles (favorisation de pratiques agricoles non durables, comme les subventions des cultures de blé et de coton très demandeuses en eau et l’encouragement des techniques d’irrigation inefficaces) et des changements démographiques (échec dans la prise en charge de population locale déplacée ainsi que de l’afflux important de réfugiés Irakiens après l’invasion Américaine de 2003) 8, les tensions sociales étaient à leur apogée fin de l’année 2010. Peu de temps après, les manifestations éclatèrent.
Une étude de 2015 6 , démontre un lien direct entre cette sécheresse ayant touché la Syrie entre 2007 et 2010 et les révoltes du peuple Syrien. En outre, l’analyse montre une plus grande probabilité de survenue de la sécheresse pendant ces 3 années (2-3 fois plus de chance) pour cause d’interférence humaine dans le changement climatique, comparé à la variabilité naturelle seule. Donc non seulement le changement climatique est lié à la révolte du peuple Syrien, mais en plus il s’agirait d’un changement climatique induit par l’homme.
Quel lien avec les autres révoltes arabes?
Les pays du MENA sont les pays les plus dépendants aux importations d’aliments que partout ailleurs dans le monde. Selon l’hebdomadaire britannique “The Economist” 9, la plupart des pays arabes importent la moitié de leur alimentation de l’étranger et rien qu’entre 2007-2010, les importations céréalières ont augmenté de 13%. Par ailleurs, la spéculation alimentaire sur les denrées de base exercée par les marchés financiers, principalement le “Chicago Mercantile Exchange” (CME), empire la situation. Avec une telle dépendance, toute diminution de l’offre mondiale résultant de la baisses des exportations principalement des Etats-Unis et de la Russie et de la hausse des importations de la Chine, implique une forte hausse des prix et de graves impacts économiques sur ces pays. Comme il a été prouvé dans d’autres contextes, le lien entre la hausse des prix alimentaires et l’instabilité politique est établi 10,11.
Entre 2008-2010, l’Egypte, plus grand importateur de blé dans le monde, a vu les prix locaux des denrées alimentaires augmenter de 37% 9. Au cours des six derniers mois de l’année 2010, ce pays n’a reçu que 1,8 millions de tonnes de blé en provenance de Russie contre 2.8 millions de tonnes en 2009 pendant la même période 12. Ainsi, même lorsque la sécheresse ou les inondations frappent d’autres pays, la population Egyptienne qui dépend de produits alimentaires de base importés fait face à la volatilité des prix. Les Egyptiens n’affrontent pas seulement la faim, mais ils subissent également la destruction des cultures et du bétail à cause du changement climatique. L’élévation du niveau de la mer au niveau du Delta du Nil a obligé les familles agricoles à évacuer leurs maisons à plusieurs reprises au cours des dernières années 13.
Ce n’est donc pas anodin si le slogan de la révolution égyptienne de 2011 était : “عيش حرية عدالة اجتماعية” (Pain, liberté, égalité sociale). Rappelons que par le passé, ce pays a déjà vu une “Intifada du pain” en 1977 suite à la hausse des prix des denrées alimentaires de base. En 2008, la Jordanie, le Bahreïn, le Yémen et le Maroc ont tous vécu des protestations ayant un lien avec la nourriture. L’Algérie et la Tunisie n’ont pas été épargnées. La répression violente des manifestants qui protestaient contre le chômage et la hausse des prix alimentaires par la police avait laissé plusieurs morts 14.
Toutefois, , pour ne pas tomber dans une analyse monolithique “climato-centrique”, il est important de remettre les choses dans un contexte général de mauvaise gouvernance, de corruption, de pauvreté, de chômage, de mal logement et d’autres facteurs socioéconomiques spécifiques à chaque pays. Tous ces facteurs ne peuvent être pris en compte dans les études statistiques citées. C’est précisément la critique principale de ces travaux: au sein de la communauté scientifique, deux groupes s’opposent 15. D’un côté il y a les chercheurs qui étudient chaque conflit en détail et qui sont appelés les “qualitatifs” (en anglais quals) et de l’autre côté, les “quantitatifs” (quants), qui utilisent les méthodes statistiques pour étudier la corrélation entre climat et conflits. Le premier groupe insiste sur le fait que les conflits sont très complexes et les méthodes quantitatives ne peuvent inclure tous les facteurs dans leurs modèles d’études.
Des causes du changement climatique
Cette critique fera le bonheur des “climato-sceptiques”, mais jusqu’à quand le monde continuera à faire la politique de l’autruche? Au delà de l’échec des gouvernements dans le combat et l’adaptation au changement climatique, les pays industrialisés tels que les Etats-Unis et l’Union européenne ont une grande part de responsabilité dans ce qui arrive puisque ce sont les pays qui consomment la plus grande quantité d’énergies fossiles. Bien qu’ils ne représentent que 20% de la population mondiale, les pays développés produisent plus de 70% des émissions depuis 1850 16. Qui paye les frais? sûrement pas les pays riches et cela n’ira pas en s’améliorant: une étude récente montre que 11 des 17 pays dont les émissions de GES sont faibles ou modérés sont des pays extrêmement vulnérables à l’impact négatif du changement climatique. Inversement, parmi les 36 pays les plus pollueurs au monde, 20 seront les moins vulnérables à l’impact future du changement climatique 17.
La contribution des facteurs anthropiques au changement climatique est maintenant admise dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et il existe un consensus au sein de la communauté scientifique qui dit que si l’augmentation de la températures moyenne mondiale dépasse 1,5-2°C (par rapport à l’époque préindustrielle), il sera impératif de réduire les émissions de gaze à effet de serre de 80% en 2020. Malgré des conférences des Nations unies sur le changement climatique qui se tiennent chaque année, force est de constater l’absence d’une réelle volonté politique d’apporter des changements structurels. Contrairement aux discours politiques et à ce que nous avons pu voir dans les unes des journaux à travers le monde, l’accord de la COP21 est loin d’être contraignant. Il ne réussira pas à contenir le changement climatique! (voir notre précédent article: Cop21 : l’accord de la dernière chance…ratée?).
“Se mobiliser et s’organiser pour éviter et stopper la fièvre de la planète!”
Même si le changement climatique n’est pas la raison principale des conflits civils, il reste un facteur aggravant et les décideurs politiques, y compris le président Etasunien Barack Obama, en sont conscients 18. La gravité des catastrophes climatiques dans le monde arabe dépasse largement la capacité des structures institutionnelles à les affronter. Une solidarité internationale s’impose afin de trouver des solutions aux causes profondes de la crise climatique.
Des femmes et des hommes de part le monde luttent pour trouver des solutions au chaos climatique. Par exemple, plus de 330 mouvements sociaux et organisations représentant plus de 200 millions de personnes de par le monde, lancèrent en 2014, dans une déclaration commune, un appel d’urgence sous forme du plan à 10 points suivant: – La prise d’engagements contraignants immédiats pour maintenir l’augmentation de la température globale en deçà de 1,5ºC. – maintenir plus de 80% des réserves connues d’énergies fossiles sous le sol. – Bannir les nouvelles explorations pétrolières et gazières et d’abandonner l’extraction des ressources. – Accélérer la transition vers des énergies alternatives basées sur un contrôle collectif et citoyen. – Promouvoir la production et la consommation de produits locaux et durables. – Transformer les agricultures industrialisées et orientées à l’exportation vers des productions agricoles répondant aux besoins alimentaires locaux basés sur la souveraineté alimentaire. – Appliquer des stratégies de zéro déchets pour le recyclage et l’élimination des déchets ainsi que pour la rénovation des bâtiments. – Améliorer et développer les transports en commun. – Créer de nouveaux emplois qui rétablissent l’équilibre du système Terre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. – Démanteler l’industrie de l’armement et l’infrastructure militaire dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre générées par la guerre, et récupérer les budgets militaires pour promouvoir une paix véritable 19. Malgré la pression de la société civile et les manifestations qui se sont tenues à Paris et ce, malgré l’état d’urgence imposé suite aux attentats du 13 Novembre 2015, les revendications sont ignorées.
Outre l’enjeu citoyen, la lutte contre le changement climatique au MENA constitue un enjeu politique majeur tant pour les gouvernements locaux que pour les gouvernements étrangers : même si les pays les plus pollueurs ne seront pas les plus vulnérables au changement climatique, ils subiront les conséquences de la prochaine crise migratoire climatique qui s’annonce. Selon les conclusions alarmantes d’une nouvelle étude 20, cette région pourrait devenir le terreau d’une conjoncture explosive à l’horizon 2050: les des températures extrêmes combinées à l’instabilité politique et aux difficultés économiques, rendront de larges zones inhabitables.
Sans justice climatique, qui consiste en la reconnaissance de l’occident industrialisé de sa responsabilité historique dans le réchauffement climatique, il n’y aura pas de paix. Elle implique la rupture totale avec le discours ambiant et les fausses solutions promues par les conférences et sommets en grandes pompes qui ne protègent que les pollueurs. La rupture doit se faire également avec le modèle économique désuet, le capitalisme basé sur les énergies fossiles, qui constitue la source du déréglement climatique. Ceci nécessite un réel processus démocratique qui obéi aux lois de la nature et qui garantie le droit des citoyens, non celui des lobbies .
Bibliographie
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Source : Investig’Action (article paru le 30 octobre 2015, version actualisée le 31 mai 2016)
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