JONAS OPPERSKALSKI POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Chez les ultraorthodoxes d’Israël, des jeunes filles en rupture en quête d’une liberté chèrement payée

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Publié le 02 avril 2021 à 15h00 - Mis à jour le 05 avril 2021 à 19h48

Evidemment, elles y étaient. Deux courtes ombres tapies à l’écart des flammes. Avital* et Hodaya* n’ont rien manqué des émeutes contre le confinement qui ont emporté leur ville à la fin janvier. Deux nuits durant, ces adolescentes de 16 et 17 ans ont observé leurs voisins, de jeunes hommes d’ordinaire si sages, dresser des barrages contre la police à Bnei Brak, « capitale » des juifs ultraorthodoxes en Israël.

Serrés en grappes épaisses dans les rues de cette banlieue de Tel-Aviv, les étudiants des yeshivot, les écoles religieuses, en manteaux et chapeaux noirs, ont contraint un policier, isolé de son unité, à sortir son arme en pleine rue et à tirer un coup de semonce en l’air. Ils ont incendié d’immenses bennes à ordures et un bus. Le chauffeur a manqué se faire lyncher, aux cris de « C’est un Arabe ! ». C’était faux : il était juif et ne remettra plus les pieds ici.

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Face à ce spectacle, Avital et Hodaya sont demeurées prudentes : elles sont nées dans cette ville et connaissent les règles, strictes, qui la régissent. Elles ne se sont pas mêlées aux émeutiers, tous des hommes, membres pour certains des sectes les plus extrémistes de leur communauté. Elles se sont gardées des shomrim, les « gardiens », ces défenseurs des bonnes mœurs qui séparent garçons et filles se frôlant de trop près. Mais, durant ces deux nuits brûlantes, elles ont exorcisé leur ennui avec les autres.

Des filles en couleurs dans un royaume en noir et blanc

Depuis le début de l’épidémie due au coronavirus, il y a plus d’un an, et jusqu’à ce que le vaccin ne commence à libérer Israël, en mars, Avital a refusé, comme ces jeunes gens, de s’enfermer chez elle. Un trois-pièces avec ses parents et neuf frères et sœurs. Les haredim – ceux qui « tremblent » devant Dieu – sont l’une des communautés les plus pauvres d’Israël. Leurs familles sont nombreuses et les logements exigus. « C’est à devenir folle », dit-elle. Avec sa copine Hodaya, elles étaient ravies que la jeunesse haredi rappelle à la police que les confinements, chez eux, n’étaient plus possibles. C’est un point d’entente, l’un des derniers, entre elles et leur ville, où les rabbins sont seuls maîtres.

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Avital et Hodaya sont en rupture. Membres d’une bande de filles que nous avons suivies depuis octobre 2020, elles ont un pied dans leur communauté, un autre dans la rue. Un tiers de leurs amies sont fugueuses ou ont été mises dehors par leurs parents pour des vétilles : un trait d’eye-liner mal effacé, un smartphone caché sous un oreiller. Elles sont la honte de leur famille. Dans ce royaume de Dieu en noir et blanc, elles s’affichent avec des ongles rouge vif et pailletés, des piercings à la langue et aux narines et des traits de maquillage en virgule au coin des yeux. Leurs tee-shirts sont colorés et serrés, une feuille de cannabis en métal argenté pend au cou d’Avital, petite brune menue, qui mâchonne ses mèches blondes en baillant. Autant de défis à leur communauté, les haredim, héritiers d’écoles religieuses centenaires d’Europe centrale et orientale.

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