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28 décembre 2014
L’Allemagne n’échappe pas aux accès de fièvre nationalistes et identitaires qui surgissent dans de si nombreux États membres sur fond de crise du modèle actuel de construction européenne. Un mouvement « patriotique contre l’islamisation de l’Occident », dont l’un des centres névralgiques se situe à Dresde et qui agrège identitaires, néonazis ou membres du parti d’extrême droite anti-euro (AfD), parvient à mobiliser tous les lundis des milliers de personnes dans la rue. Un décryptage de Bruno Odent publié dans L'Humanité.
Dans plusieurs villes du pays, d’ouest en est, de Düsseldorf à Dresde en passant par Cologne et Rostock, des manifestations à l’appel d’un mouvement de Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida) prennent une ampleur de plus en plus préoccupante. « Nous sommes le peuple », scandent régulièrement les manifestants à l’occasion de ces rendez-vous convoqués symboliquement tous les lundis, comme ceux qui ébranlèrent, il y a vingt-cinq ans, le régime de l’ex-RDA. Les organisateurs, tous issus du marigot des groupuscules ouvertement racistes, anti-islam, néonazis et nostalgiques du Reich, ont trouvé là le moyen de sortir du périmètre étroit de leurs chapelles brunes respectives pour entraîner une partie de la population.
Le nationalisme prolifère sur le terreau du « modèle allemand »
Dresde semble être devenue l’un des principaux épicentres du mouvement. Ils étaient 15 000 dans les rues de la capitale du Land de Saxe lundi dernier (soit 5 000 de plus que le lundi précédent). Le refus d’une Überfremdung (submersion étrangère), fondée sur la psychose d’être englouti par la culture, la religion des étrangers, est l’instrument privilégié de ces joueurs de flûte. Dans le défilé de Dresde, des croix peintes aux couleurs de l’Allemagne côtoient des slogans pour « la défense de l’âme occidentale de l’Europe », « chrétienne depuis l’Antiquité ». Et les appels fusent pour barrer la route d’un islam repoussoir, soigneusement amalgamé à la barbarie de Daesh en Syrie et en Irak. « Nous vivons les prémices d’une guerre civile mondiale », hurle l’un des manifestants.
L’efficacité du maniement de ces peurs, présentant les immigrés comme une cinquième colonne dans une « guerre des civilisations » remise au goût du jour, ne tient pas à un afflux relatif de réfugiés ou de demandeurs d’asile. L’Allemagne, en pleine crise démographique, est certes l’un des États de l’UE qui accueillent le plus de migrants sur son territoire. Mais ces derniers ne constituent que 2,5% de la population du Land de Saxe. Et les musulmans en représentent seulement 0,1%. En fait les arguments xénophobes de Pegida font mouche auprès d’une partie de la population parce que celle-ci est massivement fragilisée par l’insécurité sociale. Ce qui alimente une crainte diffuse de se faire « voler par les immigrés » l’emploi ou les divers dispositifs d’allocations sociales. Le nationalisme prolifère ainsi sur le terreau du « modèle allemand » de régression sociale.
Si Pegida se présente sous les traits d’un rassemblement « extraparlementaire », le parti d’extrême droite anti-euro, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), est à la manœuvre en coulisse. Lui, qui a fait son entrée en juin au Parlement européen et vient de faire irruption avec plus de 10% des voix dans les parlements de Saxe, du Brandebourg et de Thuringe, participe, voire appelle aux rassemblements de Pegida. Comme Hans-Thomas Tillschneider, dirigeant saxon de l’AfD, co-instigateur d’une « plate-forme patriotique » sur Internet.
La chancelière Angela Merkel a réagi en déclarant que si le droit de manifester était constitutionnel, il n’y avait « pas de place pour la haine et la calomnie de personnes qui viennent d’autres pays ». Le problème, c’est que depuis des mois l’aile bavaroise de son parti chrétien-démocrate, la CSU, mène campagne contre le « tourisme social » (sic) dont se rendraient coupables les étrangers. « Ceux qui trichent, à la porte » fut ainsi l’un de ses slogans vedettes de la campagne européenne de la CSU au printemps dernier.
Ce positionnement était censé contenir la concurrence exercée à droite par l’AfD. Résultat : le parti nationaliste progresse de scrutin en scrutin. L’Europe officielle a joué elle-même un très mauvais rôle dans ce dossier. La Cour européenne de justice a en effet conforté les chasseurs de « touristes sociaux » allemands. Par un jugement en faveur d’un office pour l’emploi germanique (l’Humanité du 13 novembre 2014), elle vient de couper largement l’accès à l’aide sociale des ressortissants étrangers venus d’autres pays de l’UE. Ce jugement a comblé d’aise les nationalistes partout en embuscade, leur revendication nauséabonde en faveur de la « préférence nationale » se trouvant, de fait, juridiquement validée. L’Europe et l’Allemagne ont besoin de changer radicalement de modèle.
Source : L’Humanité
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