|
19 décembre 2014
En ces temps de violence systématique et généralisée dans l'Etat latino-américain, un membre d’Investig’Action a pu s’entretenir avec Idolina Gallardo, défenderesse des Droits de l’Homme et sœur de Damian Gallardo, prisonnier politique et de conscience au Mexique.
Pouvez-vous nous expliquer le cas de votre frère Damian ?
Mon frère Damian Martinez et moi-même sommes professeurs de l’Etat d’Oaxaca. Le 18 mai 2013 Damian a été arrêté illégalement avec 12 autres personnes accusées d’être membres d’un gang de séquestreurs. Dans les faits, son arrestation s’est produite quand l’opposition à la réforme de l’Education était dans sa phase la plus intense. Elle s’est accompagnée d’une campagne de dénigrement contre tout le mouvement démocratique dans le milieu professoral, qui a une longue histoire d’activisme social et de défense des Droits de l’Homme. De ce fait, ce fut un coup porté contre la Coordination Nationale des travailleurs de l’Education et contre le regroupement de la mobilisation sociale. Dès sa jeunesse, Damian a été un militant et un défenseur des peuples indigènes. Il a aussi fait partie des comités pour la libération d’autres prisonniers politiques. Il a constamment participé à la conception de propositions d’éducation communautaire et populaire. Nous pensons que c’est cela qui fut la raison pour laquelle il est devenu un objectif de l’Etat.
Comment s’est déroulée son arrestation ?
Au départ nous ne savions rien, nous ne savions même pas où il se trouvait. Les personnes qui l’avaient arrêté ne portaient pas d’insigne de Police. Par conséquent, nous avons introduit un recours en garantie de droits pour disparition de personne, non-communication, torture et risque fondé de perdre la vie. Il a dû passer une période de 30h pendant lesquelles il a été complètement impossible d’entrer en communication avec lui. Ensuite, nous nous sommes rendu compte qu’il était détenu au District Fédéral, dans la Sous-procuratie Spécialisée en recherche sur la Délinquance Organisée (SEIDO). Là-bas, les obstacles étaient totaux lui fournir une défense à laquelle il avait droit, déjà que comme locuteur d’une langue indigène, il lui était impossible d’avoir un avocat de confiance, et qui parle la même langue. Quand finalement il a pu faire une déclaration en présence de son avocat- et il nous en coûta beaucoup de parvenir à le rencontrer- c’est quand Damian a dénoncé la torture. Tous les autres prisonniers, qui étaient défendus par des avocats commis d’office par l’Etat, ont fait leurs déclarations sous la torture.
De quoi les accusait-on ?
On a accusé Damian, ainsi que d’autres personnes, d’être ceux qui ont mené à bien la séquestration des neveux du président du Conseil entrepreneurial au Mexique. Mais à aucun moment il n’a été dit QUI portait cette accusation ni quelles étaient les preuves contre eux. Le jour-même de leur arrestation, la chaine nationale de télévision a présenté leur identité, avec les photographies de chacun d’eux, et mettant en évidence que certains d’entre eux appartenaient à la Coordination Nationale des travailleurs de l’Education. L’objectif était de créer un rejet de la part de la société civile envers le mouvement des professeurs. Il s’agissait de délégitimer la lutte qui avait été menée jusque-là. Ils ont affirmé qu’ils avaient arrêté une bande de kidnappeurs, que cela se savait et qu’ils avaient la certitude qu’ils allaient réaliser d’autres enlèvements, et c’est ainsi qu’ils les présentaient devant la société. Il n’y a pas eu respect de la présomption d’innocence, ils ont seulement mis en avant la culpabilité.
De quelle manière ont-ils pu légitimer ces accusations ? Quel rôle ont tenu les médias ?
Ce fut une farce, de la part des médias au service de l’Etat. Cela faisait un petit temps que nous avions remarqué que quand une information faisait référence aux professeurs, l’information était amplifiée avec de grands espaces dans les journaux, dans les nouvelles à la télévision, créant un sentiment de méfiance dans la population envers le mouvement des professeurs. Mais lorsque mon frère et les autres prisonniers furent arrêtés, il y eut une diffamation terrible, non seulement d’eux-mêmes, mais de tout le mouvement qu’ils représentaient. Non seulement on présentait les professeurs comme des paresseux, ne passant leur temps que dans les actions de mobilisation et les marches, mais aussi on les présentait comme des criminels. Ils faisaient comprendre que les gens des communautés confiaient leurs enfants à des kidnappeurs. Une véritable campagne de lynchage s’est mise en place contre les professeurs.
Pouvez-vous nous donner un exemple de cette manipulation médiatique ?
Il y a quelque chose qui a fort attiré mon attention et qui est resté gravé dans ma mémoire. Quand Damian a dénoncé la torture, le jour suivant est apparu un titre dans le journal « La Razon », prétendant que mon frère était le leader de la bande. Résultat étonnant : lui étant le seul à pouvoir développer sa déclaration initiale, c’est contre lui qu’ils se sont jetés.
Idolina Gallardo, entourée de ses parents
Quelles ont été les conséquences de cette campagne de propagande politique et médiatique ?
Il est difficile de se battre contre cela, parce qu’ils essayent de nous stigmatiser et de discréditer ce que nous dénonçons, qui sont les actes de torture et la violation des Droits de l’Homme. Mais le cas de Damian n’est pas un cas isolé. Au départ du cas de mon frère, nous nous avons commencé à nous intéresser à d’autres cas qui étaient présentés comme s’il s’était agi de vols, d’assassinats, alors qu’en réalité il y avait en fait une opposition à tel type de projet, quand ils se mettaient à contester ce que l’Etat voulait. Tous les opposants aux réformes de l’énergie, aux réformes agraires, aux entreprises éoliennes, l’opposition à des projets miniers, tous les militants sociaux et défenseurs des Droits de l’Homme, de la terre, etc, ont été taxés d’être des criminels et des bandits de droit commun. Les syndicats et les mouvements sociaux qui nourrissent une forte opposition sont conscients du problème, parce qu’ils ont souffert du même genre d’attaques, et que leurs dirigeants ont été emprisonnés. Mais l’objectif actuel n’est pas seulement les dirigeants, mais aussi les gens de la base. C’est une manière d’avertir et de faire peur à quiconque voudrait s’impliquer dans un mouvement social. Le message que l’Etat envoie dans ce genre de cas est : « Voilà ce qui t’attend si tu t’engages ».
Combien de prisonniers politiques y a-t-il au Mexique et quelle est leur situation ?
Une information récente émise par une organisation mexicaine des Droits de l’Homme, le « Comité Cerezo », a calculé qu’il y avait 175 personnes arrêtées pour motif politique entre 2013 et 2014. Mais je pense que le chiffre est bien plus important. Du fait que pour l’Etat mexicain le terme « prisonnier politique » n’existe pas, il n’y a aucun reconnaissance de ce fait. La plus petite opposition, aussi minime qu’elle puisse être, a fait l’objet de représailles. Et pas seulement de la Police au niveau fédéral, mais aussi au niveau local. La violation systématique des Droits de l’Homme par l’Etat mexicain n’est pas quelque chose de neuf. C’est un phénomène récurrent depuis des décennies.
Quelles perspectives de libération des prisonniers politiques existe, et parmi eux, celle de votre frère Damian ?
Depuis un an et demi, nous nous sommes consacrés à dénoncer la violation des Droits de l’Homme dont Damian est victime, en particulier la torture dont il a été l’objet pendant cette période, fait sur lequel personne ne peut nous dire ce qu’il s’est réellement passé. De façon regrettable, dans notre pays le pouvoir judiciaire n’a pas d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Malgré que la loi n’ait pas été respectée par le Ministère Public et l’accusation, malgré qu’il ait eu de la torture et qu’eux-mêmes reconnaissent qu’il n’y a pas eu de respect des procédures dans ces cas, le système judiciaire continue à mettre des obstacles, et à empêcher la libération des prisonniers. Il s’en tient à ce que l’Etat mexicain décide, se limite à exécuter ses rapports et résolutions de manière partiale, passant sous silence la violation des Droits de l’Homme.
Quelle est votre analyse du cas des 43 étudiants disparus à Ayotzinapa, qui a donné lieu à de nombreuses manifestations dans le monde entier ?
Il est regrettable qu’un évènement aussi douloureux pour nous ait mis à jour la violation systématique des Droits de l’Homme dans notre pays. L’Etat mexicain a toujours été très préoccupé par son image extérieure. L’image qui a été créée était mensongère : un Mexique calme, une démocratie où l’on respectait les Droits de l’Homme, etc. Cependant, le massacre commis contre ces jeunes a remis à l’avant-plan une situation qui a commencé dans les années 60. L’Ecole Normale Rurale à laquelle ils appartenaient a constamment souffert de persécutions durant ces années-là, en raison des réformes de l’Education. L’Etat veut présenter ce cas comme isolé du reste des problématiques présentes au Mexique. Mais tout est lié : les étudiants, comme Damian, étaient aussi en opposition et dénonçaient la réforme de l’enseignement, de laquelle nous étions des victimes. Mais pas seulement eux : les futurs profs et les profs actifs aussi. L’Etat mexicain essaie de s’en laver les mains, affirmant qu’il s’agit d’un acte d’un groupe criminel avec lequel il n’a aucun lien et qu’il condamne. C’est du mensonge. La réalité, c’est que les camarades normaliens ont été persécutés depuis bien longtemps et l’intention pendant toute cette période était qu’ils finissent par disparaître. Et le seul moyen d’y arriver était de les priver de l’approvisionnement qui permettait à ces écoles de fonctionner. Leur disparition répond à l’objectif de les retirer de l’opposition. Ceci est quelque chose que le monde entier doit savoir.
Que peut faire la société civile européenne pour aider à défendre votre frère et les autres prisonniers politiques ?
La solidarité avec la cause des prisonniers politiques est très importante. Le cas de mon frère n’est qu’un cas parmi tous ceux qui existent au Mexique. Pour cette raison, en parlant du cas de mon frère, je m’exprime au nom de toutes les personnes qui n’ont pas l’opportunité que leur voix soit écoutée et leur vérité entendue, et que justice puisse être faite. Les liens économiques entre le Mexique et l’Union Européenne dépendent de l’image que l’Etat mexicain a construite. C’est ce qui compte le plus pour eux. Ils ont accordé plus d’importance au commerce et aux accords globaux qu’ils ont avec l’Union Européenne qu’à la protection des Droits de l’Homme dans notre pays. Une manière d’exercer une pression pour que la justice puisse se tenir dans mon pays, est précisément de conditionner ces accords économiques au respect des Droits de l’Homme pour notre population, comme le prévoient d’ailleurs de fait ces accords. Que ces accords ne soient pas le prétexte pour que toute une population soit bafouée simplement parce qu’elle défend ses droits : sa terre, son eau. Je voudrais que la société européenne ouvre les yeux au-delà du discours officiel que nos fonctionnaires proclament partout dans le monde. Mon pays a beaucoup d’atouts, mais la manière de faire de la politique est très triste, ici. Dans mon pays, la justice n’existe pas pour les pauvres, elle n’existe que pour ceux qui peuvent se la payer. Les criminels les plus importants sont en liberté. Beaucoup d’entre eux sont ceux qui dirigent notre pays.
Source : Investig’Action
Traduction : Collectif Investig’Action
هیچ نظری موجود نیست:
ارسال یک نظر