5 avril 2016
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Paradigme le plus ancien dans l’analyse des relations internationales, le réalisme plonge ses racines dans une longue tradition, vieille de plus de vingt-cinq siècles. Partant du postulat que les forces politiques représentent des puissances rivales en lutte permanente, des philosophes aussi classiques que Thucydide, Machiavel, Hobbes ou Rousseau ont conclu à l’inévitabilité des guerres. Quelles sont les causes et les mécanismes de ces dernières ? Comment les sociétés humaines peuvent-elle connaître malgré tout une certaine stabilité, voire une certaine paix ? Comment construire pour un temps un équilibre entre plusieurs unités politiques alors même qu’un chaos permanent domine ? Ces précurseurs ont placé au cœur de leur réflexion cette approche désenchantée dont se réclameront plus tard les membres de l’école réaliste.
"(...) Apparue dans les universités américaines de la côte Est aux lendemains de la première guerre mondiale, la théorie réaliste s’est constituée en réaction à l’idéalisme et au moralisme wilsonien.
Le théologien américain Reinhold Niebuhr et l’historien britannique Edward Carr ont joué, à cet égard, un rôle tout à fait déterminant et fondateur qui a fait d’eux des précurseurs incontournables. Menant tout au long de l’entre-deux-guerres une critique acerbe contre le wilsonisme, ils ont notamment souligné l’impéritie emblématique de la Société des nations devant les menées bellicistes des régimes autoritaires et l’attentisme dommageable des démocraties. Ils ont plus particulièrement analysé, en termes de realpolitik et de rapports de force, la politique étrangère des principales puissances de l’époque et montré la rationalité politique des guerres.
Or, cette approche capitale s’est révélée à l’époque aussi lucide que pertinente pour comprendre l’imminence de la deuxième guerre mondiale. Ces deux politistes ont ainsi réussi à décrédibiliser l’utopisme qui régnait alors. Ce faisant, ils ont permis à l’analyse réaliste de bénéficier d’une large reconnaissance et d’une aura scientifique qui n’a cessé de croître dans les années suivantes. Mais évoquer l’existence d’une théorie réaliste ne signifie pas pour autant que nous soyons en présence d’un corpus monolithique et homogène, loin s’en faut.
Nous verrons au contraire dans la suite de cet ouvrage que les auteurs s’en réclamant ou s’y rattachant ont produit des œuvres très différentes, voire parfois en opposition. Il n’en reste pas moins cependant que ce paradigme témoigne d’une grande cohérence et s’articule autour de quelques concepts clés qui se retrouvent, au fil du temps, au cœur même de ses questionnements sans cesse renouvelés. Pour les réalistes, les puissances politiques se trouvent structurellement en situation de rivalité.
S’inspirant de Thucydide, Machiavel, Hobbes ou encore Rousseau, des précurseurs pour lesquels la guerre apparaît inévitable ( chapitre 1 ), les théoriciens contemporains entendent se départir de toute approche normative et morale afin d’analyser la politique internationale telle qu’elle est, plutôt que de prescrire ce qu’elle devrait être.
Reprenant le paradigme hobbesien, ils lui empruntent la dichotomie interne / international. À la société qui peut échapper au désordre des violences privées grâce à l’État — le Léviathan —, ils opposent l’international exclusivement composé d’unités politiques, à savoir pour l’essentiel d’acteurs étatiques ( à partir du seizième siècle ) en proie aux guerres. Ces derniers ne connaissent en effet que l’anarchie et demeurent constam- ment menacées par le chaos, d’autant plus que toute perspective de contrat fait à jamais défaut.
Selon Hans Morgenthau, Henry Kissinger ou bien encore Raymond Aron, les relations interétatiques sont condamnées à rester plongées dans un état de nature parce que, sur le plan international, il n’existe aucune autorité politique qui soit supraétatique. Dès lors, la politique internationale, structurée par le conflit entre entités souveraines, résulte de la conduite diplomatico-stratégique des États. Une conduite fondée, pour Morgenthau, sur l’intérêt national défini en termes de puissance. (...)"
Cet article est un extrait de l’ouvrage "Théorie des conflits internationaux" (1. Les réalistes), Editions Liber, 2015.
On discerne quatre grands cadrages théoriques qui permettent d’analyser les conflits internationaux et d’en rendre compte dans toute leur complexité : le réalisme, le paradigme marxiste, le transnationalisme et le constructivisme. C’est au premier d’entre eux que ce livre est consacré. Si la théorie réaliste plonge ses racines dans la tradition philosophique la plus ancienne, vieille de plusieurs siècles, elle garde aujourd’hui encore une forte présence dans l’ensemble des sciences sociales.
La première partie de l’ouvrage est dédiée à ses précurseurs ( Thucydide, Machiavel, Hobbes, Rousseau, Clausewitz, Niebuhr, Carr et Wight ) ; la seconde étudie l’oeuvre de ses principaux représentants ( Morgenthau, Kissinger, Schelling, Aron, Gilpin, Bull, Waltz, Krasner ).
Par-delà les spécificités de chacun des théoriciens, l’auteur souligne la grande cohérence de cette matrice explicative, qui s’articule autour de quelques notions clés : l’intérêt, la dialectique paix / guerre, la puissance, le chaos, les alliances. Autant de concepts qui se retrouvent, au fil du temps, au coeur même de questionnements sans cesse renouvelés.
Table de matières
Première partie - Une rivalité entre puissances
Chapitre 1 L’inévitabilité des guerres
Thucydide
Nicolas Machiavel
Thomas Hobbes
Jean-Jacques Rousseau
Chapitre 2 La rationalité politique des guerres
Carl von Clausewitz
Reinhold Niebuhr
Edward Carr
Martin Wight
Deuxième partie Un équilibre entre puissances
Chapitre 3 La gestion diplomatico-stratégique des guerres
Hans J. Morgenthau
Henry A. Kissinger
Thomas Schelling
Raymond Aron
Chapitre 4 Les coûts de la sécurité internationale
Robert Gilpin
Hedley Bull
Kenneth Waltz