16 décembre 2015
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Hillary Clinton ne pouvait pas perdre cette occasion. Après les résultats des élections à l'Assemblée Nationale du Venezuela le 6 décembre dernier, la candidate aux prochaines élections à la présidence de la Maison Blanche vient de rappeler à ceux et celles qui ne l'avaient pas encore compris combien le soutien des Etats-Unis à l'opposition vénézuélienne est une question cruciale et stratégique.
Après avoir dépassé en estimations l’Arabie Saoudite, le Venezuela est désormais la première réserve mondiale en ressources pétrolières. Autant imaginer à quel point les Etats-Unis aspirent à renverser un gouvernement trop indépendant qui a nationalisé la principale entreprise d’extraction du pays, PDVSA, pour destiner une partie de ses ressources aux programmes sociaux en matière d’éducation, de santé et de logement. Seulement dans ce dernier domaine, le gouvernement de Nicolas Maduro vient d’inaugurer, début décembre, le logement social numéro 900.000 de la "Mision Vivienda".
Sous la direction de Hugo Chavez, le Venezuela a en effet repris sa souveraineté nationale et son impact a été notable sur les événements régionaux pendant plus d’une décennie. Le message était clair : l’Amérique Latine et les Caraïbes ne sont plus la "cour arrière" des Etats-Unis. Mais la manne de l’or noir vénézuélien, dont l’accès par la mer permettrait de disposer d’un avantage essentiel à l’économie du voisin du Nord en réduisant le temps de l’acheminement de cette ressource stratégique depuis le Moyen Orient, est trop tentante pour l’impérialisme. C’est ainsi que peuvent s’expliquer les récentes déclarations de Mme Clinton :
"le peuple du Venezuela a besoin de tout notre soutien dans l’hémisphère, en particulier de celui de nos amis d’Amérique Latine. Il est nécessaire qu’ils se prononcent en faveur de la démocratie, qu’ils défendent les droits de l’homme dans ce pays. C’est tragique de voir à quel point ce pays, le plus riche de l’Amérique Latine, l’un des plus riches du monde en matière de ressources, est mal géré et à quel point les gens ont été opprimés et malmenés au cours des 15 dernières années...Donc, il faut soutenir le peuple du Venezuela. Et certainement je vous soutiendrai, et nous formons des vœux pour que ces élections soient le début d’un processus de récupération de la démocratie et pour que des opportunités pour le peuple du Venezuela puissent être créées (...)".(1)
Des déclarations qui ont le mérite de la clarté et qui ne doivent rien au hasard, puisque cette préoccupation pour le pétr... oups ! c’est à dire, pour les droits de l’homme, a été partagée par le général John Kelly qui s’est dit, lui aussi, inquiet pour la situation économique au Venezuela, préoccupé par la situation à tel point qu’il dit "passer 40 secondes par jour à penser au Venezuela", "déplorer l’inflation de son économie" et "prier pour son peuple, parce qu’il souffre terriblement". Le général Kerry semble donc souhaiter, en bon samaritain, le bien-être des Vénézuéliens et est même "prêt à intervenir si on le lui demande". (2)
Les récentes déclarations d’Hillary Clinton font écho à celles du Sécrétaire d’Etat John Kerry du 8 décembre, où il "exhorte le Consejo Nacional Electoral (CNE) de publier les résultats électoraux". Le président Maduro répond ironiquement "il doit se réveiller le matin et penser qu’il gouverne le Venezuela. Un gouverneur spécial pour le Venezuela (...). Mais vous vous croyez qui, monsieur ? Le CNE est le Pouvoir électoral de la République bolivarienne du Venezuela, et il est autonome. Que Dieu nous protège de ne plus jamais devenir la colonie d’autrui. Et encore moins, d’être la colonie de cette élite qui gouverne Washington." (3)
Si la candidate à l’élection présidentielle de 2016, Mme Clinton, l’actuel Secrétaire d’Etat John Forbes Kerry et le général de l’armée John Kelly peuvent encore se permettre de donner des leçons des droits humains au Venezuela sans craindre la moindre réaction du "monde civilisé", c’est sans doute parce que tout ce beau monde n’a pas tiré le bilan de l’ingérence des USA et de ses crimes dans le monde, particulièrement en menant l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak et en soutenant financièrement des groupes de mercenaires en Irak, en Libye et en Syrie.
Des documents (4) attestent également que ce ne fut personne d’autre que Mme Clinton qui donna, en 2009, l’ordre de renverser le Président du Honduras Manuel Zelaya par un coup d’état, comme "vengeance" pour avoir osé rejoindre l’Alba créée par Hugo Chavez. Mais aussi parce que deux semaines auparavant, à San Pedro Zulia, eut lieu la réunion de l’Organisation des Etats Américains (OEA), où les sanctions à l’égard de Cuba en vigueur depuis les années 60 furent levées sous l’initiative du Président Mel Zelaya. Hillary Clinton explique que ce fut à la sortie de cette session qu’elle eut l’idée d’ordonner le renversement du président du Honduras.
Comme le démontre brillamment Diana Johnstone dans son livre récent "Hillary Clinton, la Reine du Chaos" (5), la candidate à la Maison Blanche sait pertinemment que, pour avoir ce poste, il faut prouver qu’une femme peut elle aussi devenir une cheffe de guerre. Et c’est cela qui explique son parcours dans les années 90 en tant que "Première dame" et épouse de William Clinton, dans la promotion du féminisme et des droits de l’homme dans les pays du Sud. Une caution nécessaire pour s’adapter à la nouvelle ère caractérisée par la toute-puissance de l’empire états-unien. En effet, depuis la guerre de Yougoslavie, un changement profond fut opéré par les élites USA à travers l’actualisation des objectifs de l’OTAN, ce qui permit de "reformuler" le droit international et de pervertir les notions les plus élémentaires d’aide humanitaire, en les mettant au service de la puissante industrie d’armement. Une fois l’URSS disparue, les Etats-Unis et l’Europe seraient convaincus de leur supériorité morale et de leur modèle économique, bref, ce qui fut résumé comme la "fin de l’histoire". Rien ne les empêcherait désormais de défendre leurs intérêts en s’appuyant sur le principe du "Right to Protect". C’est à dire le droit de décider de quel gouvernement il convient de renverser, de continuer à perfectionner leur technologie de guerre (comme les drones) et d’intervenir dans les pays du Sud trop indépendants, mais de façon respectable aux yeux de l’opinion publique.
Finalement, le "Décret Obama" du 9 mars 2015, déclarant le Venezuela comme étant une "menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité des Etats-Unis", prend toute sa signification en écoutant les responsables militaires et politiques du pays qui a le plus utilisé les armes chimiques au monde et n’a pas hésité à tester deux bombes nucléaires sur la population civile des villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki. Sans doute faut-il se rappeler aussi son rôle dans les années 60 et 70 dans l’arrivée au pouvoir des dictatures militaires en Amérique Latine à travers la politique de l’ancien Secrétaire d’Etat Henry Kissinger.
Les escadrons de la mort formés par la CIA au Salvador, le bombardement de la population civile dans les quartiers d’un petit pays comme Grenade sont autant de démonstrations de la légitimité avec laquelle Hillary Clinton ose aborder le sujet des droits de l’homme. Sans parler du fait qu’elle a avoué elle-même que son pays a été à l’origine de la création du réseau terroriste Al Qaeda lorsque Brezinski a mis au point la stratégie consistant à entraîner et financer les moujahidins qui partiraient faire une "guerre sainte" contre un gouvernement hostile puisque du côté de l’URSS à l’époque de la guerre froide. Enfin, on a retrouvé la même stratégie dans le soutien aux rebelles libyens et syriens, dépeints par la propagande "occidentale" comme étant les nouveaux "freedom fighters" (6) des "héros" capables de réaliser le rêve du "chaos constructeur" de l’ancienne Secrétaire d’Etat de l’administration Bush, Condolezza Rice. (7)
Qu’a-t-on appris des mensonges des Bush et cie., et de ses conséquences en Irak et en Syrie, avec les retombées prévisibles qui ont eu lieu d’abord dans ces mêmes pays, puis à Madrid, à Londres, et ensuite en Egypte, en Tunisie, au Liban, au Nigéria, enfin à Paris ou à Bamako ? Eh bien que, de façon invariable, ce sont toujours les peuples qui paient le prix de chaque guerre, sans distinction de religion, pour les intérêts de quelques-uns.
Écoutons maintenant Hugo Chavez, le promoteur de la paix et du monde multipolaire, répondre avec sa clairvoyance et sa sincérité habituelles aux successives coalitions des va-t-en-guerre d’hier et d’aujourd’hui comme François Hollande, Manuel Valls, Laurent Fabius, David Cameron, Barack Obama ou Hillary Clinton, qui n’ont cessé de soutenir financièrement et militairement ceux qu’ils affirment aujourd’hui vouloir combattre par les bombes :
"Combien de problèmes doit affronter la France en ce moment ? Qu’en est-il du chômage en France... ? Le chômage, les entreprises en faillite, les banques qui pillent leurs peuples ...Bien sûr, la France n’est pas le pire des cas ... il y a l’Espagne, le Portugal, qui sont les pires cas, la partie la plus pauvre de cette Europe-là.(...) En un demi-siècle la prétendue UE n’a pas réussi à avoir une stratégie qui élimine ou réduise les grandes asymétries entre une Europe riche et une Europe pauvre, souffrant de la crise. Le gouvernement français devrait être davantage préoccupé des problèmes de la France comme le changement climatique, la pauvreté, la faim, etc. Pourquoi poursuit-elle alors cette politique étrangère impériale qui consiste à renverser les gouvernements parce qu’ils ne plaisent pas à quelqu’un ? C’est ce qui s’est passé avec la Libye. Nous reconnaissons le gouvernement syrien et, qui voulez-vous qu’on reconnaisse sinon ? les terroristes, ceux qui lancent des bombes ? C’est triste de constater que des gouvernements européens reconnaissent les terroristes, se réunissent avec des terroristes et leur envoient de l’argent et des armes. Espérons que les peuples d’Europe puissent se réveiller ! S’il y a des problèmes en Syrie, c’est aux Syriens de les résoudre, et pas aux groupes terroristes infiltrés." (8)
Les faits ont, encore une fois, donné la raison à Chavez. Les plans de l’impérialisme états-unien et leur stratégie consistant à piller les ressources des pays du Sud ne peuvent pas fonctionner toujours à la perfection. Même si les techniques derrière les révolutions de couleurs et la promotion d’une société civile prête à promouvoir la conception de la démocratie et les droits de l’homme à l’"american way of life" se sont beaucoup perfectionnés ces dernières années en particulier à travers le rôle essentiel de la propagande des médias, la machine de guerre tombe souvent en panne face à la résistance des peuples. Et au Venezuela, même si la stratégie de déstabilisation économique semble avoir remporté une bataille importante après les résultats des élections du 6 décembre dernier, elle ne pourra pas détruire si facilement les acquis de la révolution bolivarienne.
Notes :
3) En contacto con Maduro, 9 décembre 2015, Cuartel de la Montana, Caracas.
4) "We strategized on a plan to restore order in Honduras and ensure that free and fair elections could be held quickly and legitimately, which would render the question of Zelaya moot.", Hillary Clinton, Hard Choices. Simon & Schuster, 2014. Lire aussi l’article de Mark Weisbrot : Hard choices : Hillary Clinton admits role in Honduran coup aftermath
6) "(...) To watch the courageous Afghan freedom fighters battle modern arsenals with simple hand-held weapons is an inspiration to those who love freedom. Their courage teaches us a great lesson—that there are things in this world worth defending."
7) "(...) Condoleezza Rice appelle de ses voeux le « chaos constructif » pour implanter la démocratie dans les Etats arabes de la région, en proie au totalitarisme. L’expression est ténébreuse... L’administration américaine privilégie-t-elle la poursuite des massacres pour mieux détourner les richesses naturelles du pays, et en premier lieu le pétrole, sans éveiller les soupçons ? " ;