5 janvier 2016
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Les propositions pour sortir de la situation prennent essentiellement quatre axes essentiels : la révision des Accords, la monnaie souveraine, la monnaie commune africaine et la monnaie binaire. Le présent article présente de manière synthétique ces quatre solutions, avec leurs avantages et leurs limites.
Le CFA ouvre les économies qui l’utilisent au-delà des limites optimales, empêchant la régulation des déficits commerciaux et le développement d’une industrie locale. Il s’agit là d’une importante limite qui paralyse les politiques économiques des pays concernés et vient ajouter une contrainte supplémentaire sur des pays déjà fortement affectés par des pénalités multiples : marché local segmenté, faible industrialisation, etc.
I. La Révision des Accords Monétaires
La révision des Accords Monétaires vise à modifier certains paramètres du fonctionnement de la Zone franc. C’est la solution vers laquelle se dirigent spontanément les pouvoirs publics des pays de la Zone, la France et les Banques Centrales qui ont en charge la gestion de cette monnaie. Il semble que cette position soit aussi, pour la majorité, celle des économistes universitaires.
Les propositions de modifications techniques portent essentiellement sur deux points. Le premier est la réduction des réserves obligatoires à déposer au Trésor français.
Cette solution récurrente, puisqu’ayant déjà eu lieu en 1972, propose par exemple de passer de 50% à 35% des recettes en devises. Toutefois, nonobstant le seuil de 50% officiellement fixé, les réserves déposées dépassent largement ce seuil, laissant suggérer un potentiel de ressources oisives, volontiers imputées à la mauvaise gouvernance des dirigeants africains de la Zone.
En fait, c’est une mauvaise lecture des choses : il faut toujours avoir à l’esprit qu’étant une monnaie-devise, le CFA physique (billets et pièces) n’est émis qu’en contrepartie de ces réserves. En effet, ces réserves constituent un impératif de garantie de la France et celle-ci ne peut garantir des sommes situées au-delà de ces réserves, d’où l’identité absolue entre le volume de la monnaie centrale et les réserves.
Autrement dit, ce sont ces réserves qui garantissent les billets et pièces qui circulent dans la Zone. Réduire les réserves, c’est automatiquement réduire cette monnaie centrale et par ricochet réduire la masse monétaire, autrement dit, la liquidité de l’économie. D’un point de vue technique, il n’y a aucun avantage à réduire le stock de réserves gardées par le Trésor français.
La seconde proposition est l’assouplissement de l’arrimage à l’Euro. Cette mesure s’impose notamment à cause d’un Euro qui obère la compétitivité des économies africaines, d’où l’intérêt d’un taux de change flottant permettant d’ajuster les balances courantes.
Mais une telle mesure enlèverait tout intérêt au CFA dont elle signifierait la mort de fait. En effet, à quoi serviraient alors les devises stockées par la France si la valeur de la monnaie qu’elles sont censées garantir peut fluctuer indépendamment de ce stock ? Toute fluctuation du CFA autour de l’Euro supposerait donc le décrochage de cette monnaie du stock qui la garantit et on ne voit pas logiquement comment la Zone Franc pourrait survivre à une telle mesure, ni sur quoi on pourrait logiquement la fonder.
En définitive, il n’existe pas de réforme de la Zone Franc susceptible de réduire la contrainte qu’elle fait peser sur les économies africaines. C’est un système intrinsèquement irréformable et c’est ce qui fonde l’intérêt des autres solutions.
II. La Monnaie Souveraine
La solution de la monnaie souveraine consiste, pour les pays de la zone Franc , à adopter leur propre monnaie, à l’exemple du Ghana. L’Accord Monétaire qui lie 15 Etats africains à la France a prévu des révisions, voire des dénonciations, et des pays comme la Guinée, la Mauritanie, Madagascar ou le Mali en sont d’ailleurs sortis, même si ce dernier est revenu. Il n’existe donc pas d’entrave juridique particulière à ce qu’un pays dénonce cet accord et prenne l’initiative de créer sa propre monnaie.
En fait, le maintien du CFA apparaît davantage lié à l’habitude, la peur de l’inconnu et le syndrome de l’orphelin, les Africains y trouvant une sorte de totem commun qu’il faut ménager après le départ de leur mère. On peut ajouter le doute largement partagé sur la capacité des dirigeants politiques à gérer une monnaie et la faible mobilisation des économistes nationaux, notamment universitaires, sur le sujet. Mais peut-être le plus simple consiste à examiner l’intérêt d’une monnaie nationale. Il faut savoir que toute monnaie nationale est assujettie à deux exigences contraires :
1. La stabilité : la première qualité d’une monnaie est sa stabilité dans le temps. Cette qualité est nécessaire pour les trois missions instrumentales de la monnaie qui sont l’étalon de mesure (un étalon ne change pas du jour au lendemain), un instrument d’échange (qui doit être fiable) et un instrument d’épargne (on n’épargne plus lorsque la valeur de l’épargne peut se dégrader à vue d’œil).
Les pays développés stabilisent leur monnaie par leur puissance productive. Ils contrôlent leur système intérieur qui produit l’essentiel des biens manufacturés qu’ils consomment et, en plus, ils contrôlent les matières premières à travers leurs multinationales, les rapports coloniaux qu’ils ont pu établir et le fait qu’ils en soient des débouchés exclusifs.
Les choses changent pour un pays technologiquement dépendant. Du fait que ses approvisionnements viennent essentiellement de l’extérieur, il ne peut stabiliser sa monnaie qu’en l’alignant sur une monnaie étrangère, généralement celle de la puissance avec laquelle il commerce en priorité. Autrement dit, il doit accepter que sa monnaie ne soit qu’une variante locale de la monnaie internationale qui lui sert de socle. C’est pour cette raison que certains pays optent pour la monnaie-mère, en la spécifiant avec le nom de la nationalité : livre égyptienne, dollar zimbabwéen (le pays de Robert Mugabe a adopté le Yuan chinois comme monnaie nationale fin 2015), peso cubain, etc.
La monnaie nationale apparaît alors comme un sous-multiple de la monnaie dont elle copie ouvertement le nom, mais aussi un engagement à ne pas se décrocher de cette valeur. D’autres pays opteront pour un nom local, mais la démarche restera la même. De ce point de vue, le Naira aurait pu s’appeler « dollar nigérian » que cela ne changerait rien à son mode de fonctionnement.
2. La Flexibilité : Cependant, une monnaie nationale est confrontée à une autre exigence opposée à la stabilité. C’est sa flexibilité par rapport aux monnaies étrangères, c’est-à-dire la possibilité de modifier son taux de change. La flexibilité va s’imposer chaque fois que le pays importe plus qu’il ne vend. Il accumule alors des déficits dans sa balance courante, ce qui se traduit concrètement par des dettes qu’il devra bien payer un jour car les autres pays ne sont pas ses esclaves et n’ont pas à lui donner leurs biens sans contrepartie. Pour éviter cette situation, le pays doit dévaluer sa monnaie. La dévaluation rend les importations plus chères, ce qui réduit leur volume et limite la saignée des devises. En même temps, elle permet aux entreprises locales de gagner en compétitivité et d’import-substituer certains biens initialement importés et rendus trop chers par la dévaluation.
Comme on le voit, la stabilité et la flexibilité sont deux exigences impérieuses mais antagoniques qui s’imposent à toute monnaie nationale, et cet antagonisme va soumettre la gouvernance monétaire à très rude épreuve. La contradiction se résout facilement si une dévaluation de faible ampleur a un grand impact dans la production locale. Par exemple, une dévaluation de 10% donne une importante possibilité aux entreprises locales de rattraper leur déficit de compétitivité par rapport à leurs rivales étrangères. Dans ce cas, le pays gère son développement à travers des opérations permanentes de dépréciation-appréciation de sa monnaie qui lui permettent de stabiliser son équilibre extérieur tout en évitant d’importantes fluctuations des prix. Mais il s’agit là d’une circonstance assez exceptionnelle qui ne concerne que les pays dont l’industrie est déjà assez diversifiée pour réagir à de petits mouvements de change de la monnaie nationale.
Quant aux autres pays dont le système productif n’a pas les capacités d’agir, ils n’ont que deux destins possibles :
soit le pays tente désespérément de combattre les déficits courants à travers une spirale de dévaluations, auquel cas la valeur de la monnaie se délite ;
soit le pays prend acte que la politique monétaire n’a aucun effet et recourt plutôt à l’austérité, ce qui est exactement la situation qu’impose le CFA.
En définitive, l’adoption d’une monnaie souveraine pour un pays qui n’a pas d’industrie aboutit toujours soit à une destruction de la monnaie si le pays s’acharne à jouer sur la politique monétaire, soit à une situation d’austérité permanente analogue au CFA.
La mise en place d’une monnaie souveraine dans un pays comme le Cameroun par exemple ne peut pas être une solution dans sa situation économique actuelle. Déjà, l’énorme dévaluation de 50% du CFA en 1994 avait certes réduit les importations et restaurer les équilibres, mais le système productif n’avait nullement réagi pour remplacer les importations par la production locale. Bien au contraire, face à la baisse du pouvoir d’achat, les Camerounais ont répondu par des importations toujours massives de biens davantage dégradés : brocante européenne plus usée encore, pacotille chinoise plus mal faite encore, rebus de riz venant de Thaïlande et destiné aux animaux, etc.
III. La Monnaie Commune Africaine
La troisième solution est la mise en place d’une monnaie souveraine, mais à l’échelle de l’Afrique. Initiée dès les Indépendances par les panafricanistes, elle constitue l’un des thèmes les plus actifs et, au Cameroun, elle connaît une résonnance particulière avec l’action d’Hubert KAMGANG autour duquel se sont réunis d’autres économistes nationaux ou étrangers.
La Monnaie Commune a l’avantage de s’appliquer à l’échelle d’un gigantesque continent d’un milliard d’habitants, disposant d’importantes richesses et donc de marges importantes d’ajustements internes pour équilibrer ses déficits extérieurs et maintenir le cours de sa monnaie. De plus, du fait de cette taille, le continent africain pourrait plus rapidement développer une industrie compétitive pour produire une bonne partie des produits manufacturés, limitant ainsi les besoins d’alignement de sa monnaie sur les monnaies extérieures.
De ce point de vue, la Monnaie Commune serait une bonne solution, si elle n’était malheureusement confrontée à d’importantes difficultés opérationnelles pour sa mise en œuvre. Tout d’abord, le projet date de 1963 et revient sporadiquement sous la forme de quelques conférences médiatisées, mais sans véritable avancée. Seul, feu le Président Kadhafi a marqué une grande volonté à le matérialiser, mobilisant à cet effet d’importantes ressources, mais après sa mort le projet a repris son caractère essentiellement médiatique.
Mais au-delà de cette absence de volonté se pose le problème plus fondamental du type d’association des Etats requis pour cette monnaie commune. Techniquement, une telle initiative ne fonctionne qu’à l’intérieur d’une fédération, le pouvoir fédéral se chargeant alors de rééquilibrer les déficits des divers Etats fédérés par des transferts ou des opérations d’aménagement du territoire. L’expérience des pays européens en fournit l’illustration : nonobstant le niveau de vie très élevé, les intercommunications intenses et la petitesse géographique de l’UE, l’usage de l’Euro, monnaie commune appliquée à des Etats souverains, n’a pas permis d’éviter des crises sévères à quelques-uns d’entre eux, l’exemple le plus récent étant la Grèce. Une situation inenvisageable avec une fédération.
Or, l’Afrique est formée d’Etats indépendants, politiquement segmentés et économiquement divergents. Le niveau de vie est très faible, les interconnexions en transport et en communication pratiquement inexistantes. L’instauration d’une Monnaie Commune dans un ensemble aussi hétéroclite ne peut qu’aggraver la situation des pays les plus faibles, sans la possibilité de les redresser avec leur monnaie nationale, ni de bénéficier des transferts compensatoires d’une fédération. Dans ces conditions, la Monnaie Commune devrait davantage s’inscrire comme une composante du projet plus général d’un Etat Fédéral Africain.
4. La Monnaie binaire
La monnaie binaire est une solution qui fait cohabiter, à l’intérieur d’un même système productif, une monnaie majeure totalement convertible, comme le CFA, avec une monnaie mineure dont le pouvoir d’achat est réduit aux produits locaux. Concrètement, il s’agit clairement de créer, à côté du CFA, une monnaie locale inconvertible représentant 20% de la masse monétaire.
Techniquement, la monnaie binaire participe de la catégorie des monnaies complémentaires répandues en Europe tels que le WIR en suisse, le Chimgauer en Bavière, le Ries en Belgique, l’Ithaca aux USA ou le Palmas au Brésil. La différence essentielle est qu’à l’inverse de ces expériences citoyennes et localisées, la monnaie binaire a un caractère institutionnel et national.
L’efficacité de la monnaie binaire repose sur le raisonnement suivant : lorsqu’un Camerounais par exemple veut acheter des vêtements, il va presque à coup sûr vers la friperie européenne ou les habits chinois, car ceux-ci sont moins chers ou plus perfectionnés que les vêtements produits au Cameroun. Comme tous les vêtements se vendent en CFA, les produits camerounais sont battus, et le développement d’une industrie nationale de l’habillement devient impossible.
Mais, si le même Camerounais disposait en même temps du CFA normal et du CFA local, il serait obligé de consacrer le CFA local aux produits locaux et par suite, aux habits camerounais car il ne peut rien acheter à l’étranger avec cet argent. Comme il est déjà habillé, il ne trouvera plus intérêt à importer des vêtements ; il dépensera donc son CFA normal qui est convertible à l’achat des biens difficiles à produire localement, du fait de leur technicité et de leurs coûts.
Ainsi, la monnaie binaire nettoie le marché intérieur de biens importés d’un niveau technique faible, au profit d’une production locale très diversifiée portant sur l’agroalimentaire, l’ameublement, l’outillage, l’habillement, les médicaments génériques et l’électroménager, n’accueillant que les produits importés de haut niveau technique. De ce fait, elle déclenche un cercle vertueux du développement impossible autrement dans un pays sous-développé comme le Cameroun.
La technique de la monnaie binaire est peu coûteuse et facile à mettre en place, elle peut prendre plusieurs formes, y compris la forme d’une monnaie citoyenne, créée et gérée par des associations. On peut donc concevoir plusieurs formules pour les pays de la zone Franc. La formule la plus intéressante est la Monnaie-Trésor : elle consiste simplement à donner aux obligations du Trésor un pouvoir monétaire sur les biens locaux.
Les Obligations du Trésor qui sont des reconnaissances de dettes que l’Etat peut émettre au cours des emprunts obligataires ou lors de la titrisation de sa dette (Obligations à Coupons Zéro). Elles disposent d’un délai de règlement où l’Etat est obligé de racheter sa dette et, entretemps, l’Etat paie des intérêts au bénéficiaire. Mais si ce titulaire a besoin d’argent frais, il doit aller vendre son obligation au marché financier, généralement avec une décote.
La Monnaie-Trésor consiste à supprimer l’étape de la vente au marché financier et à utiliser directement ces obligations comme de la monnaie lorsqu’il s’agit de biens locaux. Ainsi, une telle obligation permettrait de régler directement une facture d’électricité ou des frais d’hospitalisation, exactement comme s’il s’agissait du CFA lui-même.
La principale réforme est de lui conférer les mêmes coupons que le CFA, avec des billets de 500, 1000, 2000, 5000 et 10.000 FCFA.
Fonctionnement de la Monnaie-Trésor : La Monnaie-Trésor apparaît du point de vue financier, comme les obligations du Trésor et, du point de vue économique, comme un système de bons d’achat.
En tant qu’obligation du Trésor, l’Etat s’oblige à les rembourser à échéance en payant les intérêts dus. Cette précaution obligera l’Etat à être très prudent dans leur émission. Mais en même temps, c’est un pouvoir d’achat que l’Etat peut récupérer à travers ses impôts et ses autres recettes, ce qui lui permet d’éteindre directement ses dettes.
Le système est conçu de manière à rendre le recyclage des titres en Monnaie-Trésor plus attractif que leur conservation à échéance. Cette attractivité est obtenue, non seulement à travers des taux d’intérêt et un terme judicieusement choisis, mais aussi à travers le volume de transactions utilisant cette seconde monnaie. D’où la nécessité d’une plateforme de biens et services stratégiques où le pouvoir libératoire est obligatoire et équivalent à la valeur faciale de la monnaie-Trésor.
Cette plateforme comprend d’abord toutes les recettes publiques, et notamment les impôts, les factures des hôpitaux, les frais de scolarité, le péage ou les amendes. S’y ajoutent les services d’hôtels à participations publiques, les loyers de l’organisme national en charge des logement sociaux comme la SIC au Cameroun, le transport urbain, le transport ferroviaire, la poste, le téléphone, les services de la Télévision, de la radio nationales ainsi que des biens stratégiques sur lesquels l’Etat a une certaine emprise, tels que l’électricité, l’eau, les tôles, le ciment, le fer à béton, les produits en aluminium, l’huile de palme, le sucre, le pétrole, le gaz, etc.
Apports de la Monnaie-Trésor : La Monnaie-Trésor dispose d’un grand nombre d’avantages parmi lesquels :
-la compatibilité avec les engagements internationaux : la Monnaie-Trésor vient du fait qu’elle s’intègre harmonieusement dans le paysage des instruments financiers du pays, sans le moindre bouleversement ; elle reste compatible avec les règles de la BEAC, de la CEMAC, de la BCEAO et de l’UEMOA puisqu’il ne s’agit que d’un système de bons d’achat. Elle ne viole aucun engagement vis-à-vis de l’Accord de Partenariat Economique et de l’OMC.
-la sécurité : la Monnaie-Trésor est assurée d’une garantie absolue, puisqu’il s’agit des obligations du Trésor, c’est-à-dire, des engagements que l’Etat prend pour rembourser les créanciers à échéances et en CFA. Ces engagements sont encadrés par des mécanismes prudentiels et la BEAC par exemple. L’Etat ne peut donc pas les émettre en désordre, sans tenir compte des risques que lui-même court.
-le coût : le seul coût de la Monnaie-Trésor se réduit à l’émission de ces titres dont le volume maximum représente 20% de la masse monétaire. Ce volume est suffisant pour nettoyer les 15 pays de la zone Franc de tous ces bibelots qui aspirent la substance productive ;
-la souplesse : comme toutes les expériences de monnaies complémentaires, la Monnaie-Trésor est réversible car, si des problèmes importants surgissent, il suffirait de la retirer ; elle est également divisible, ce qui permet son expérimentation à l’échelle d’une région ou d’un secteur d’activité.
Impacts de la Monnaie-Trésor : Les principaux effets immédiats de la Monnaie-Trésor sont les suivants :
-le règlement de la dette de l’Etat : la dette intérieure de l’Etat est directement titrisée, sous la forme des Obligations à Coupon Zéro que les bénéficiaires impatients vont utiliser comme monnaie. Celle-ci finit par atterrir, au cours de sa circulation, dans les caisses de l’Etat, entraînant automatiquement l’annulation de la dette publique en CFA puisque personne ne se présentera plus à échéance pour la réclamer.
-la régulation du budget de l’Etat : la Monnaie-Trésor permet à l’Etat de régler tous ses engagements à échéances, par émission automatique de la Monnaie-Trésor en cas de déficit de la Trésorerie.
-une politique monétaire originale et nouvelle : la Monnaie-Trésor donne la possibilité aux pays de la zone Franc de mener une politique monétaire originale. Il peut équilibrer la balance courante, sans recourir à la dangereuse dévaluation compétitive qui peut basculer dans une spirale récurrente et détruire la monnaie, mais en jouant simplement sur la modification des deux masses monétaires. Par exemple, pour réduire le déficit actuel, il suffit de retirer une partie de CFA normal en lui substituant une quantité équivalente de Monnaie-Trésor.
-une protection économique impossible à fracturer : à l’opposé des autres formules de protection, le titulaire de la Monnaie-Trésor ne peut rien faire d’autre que l’utiliser pour les biens locaux, ce qui génère un marché captif totalement hermétique et capable de faire survivre une industrie nationale viable, au milieu de la compétition la plus rude et la plus irrégulière. Contrairement à la monnaie souveraine, cette monnaie a une efficacité même en l’absence d’une économie compétitive.
-une nouvelle politique de subvention agricole : l’Etat peut subventionner massivement le secteur agricole, notamment en soutenant les prix et en les stabilisant, malgré les cours extérieurs. Il suffirait ainsi de financer le supplément du prix en Monnaie-Trésor, ce qui est impossible avec le CFA qui a tendance à sortir et à déstabiliser l’équilibre du système.
-une politique de relance par la consommation : la situation actuelle d’un pays utilisateur de franc CFA comme Cameroun par exemple ne lui permet pas d’agir sur la demande, en augmentant les salaires des agents publics, ou en restaurant la bourse aux étudiants, car l’effet immédiat serait le déversement de cet argent à l’extérieur en achats de riz thaïlandais, de jouets chinois ou de vieux vêtements européens. La Monnaie-Trésor permet de mener une telle politique, qui se révèle si importante pour la relance de l’économie, car le pouvoir d’achat ainsi distribué est bloqué au profit des entreprises locales.
-les engagements extérieurs cessent d’être une préoccupation : l’un des plus grands apports de la Monnaie-Trésor est de contourner les menaces identifiées par l’Accord de Partenariat Economique, ainsi que les autres engagements de l’OMC, tout en respectant scrupuleusement les engagements. De même, la Monnaie-Trésor qui n’est qu’un système de bons d’achat est parfaitement compatible avec la Zone CFA et les mécanismes de fonctionnement de la BEAC et de la BCEAO.
En définitive, l’émission de la Monnaie-Trésor entraîne l’amélioration de la liquidité de l’économie en même temps qu’elle crée un pouvoir d‘achat additionnel qui présente l’avantage d’être captif c‘est-à-dire de ne pouvoir s’écouler à l’extérieur. La conséquence est une amélioration considérable de la compétitivité des PME/PMI locales qui entraîne l’augmentation de la production locale. Tous les secteurs industriels ne réclamant pas une technologie trop évoluée deviennent viables et peuvent prospérer : habillement, outillage, petits engins motorisés, médicaments génériques, industries de montage, industries légères, etc.
En outre, les économies d’échelle qui imposent une taille minimale pour certaines unités industrielles n’agissent plus de manière radicale : des petites brasseries ou des petites cimenteries incapables de résister à la compétition internationale fleurissent sur tout le territoire.
Les simulations confirment que la Monnaie-Trésor permettrait au Cameroun d’atteindre rapidement une croissance supérieure à 8% pendant plus de vingt-cinq ans, sans déficit commercial.
* Ancien chargé d’Etudes au Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire, économiste, auteur de : Une Voie de Développement de l’Afrique, la Monnaie Binaire, Editions du CAES, 2010.
Source : Journal de l’Afrique no.17, Investig’Action