۱۳۹۴ اسفند ۱۸, سه‌شنبه

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Il faut que je te dise, mon fils : être un grand journaliste suppose du sacrifice et de l’artifice. J’aurais préféré que tu restes petit, car dans ce métier du calibre, plus on couche, plus on grandit et plus on grandit, plus on se couche. Crois-moi, mieux vaut garder ta ligne et ta taille : le grand a ciré trop de pompes pour tenir droit et le moyen a pompé trop de cire pour dégraisser.



Des écoles – du cru et du crétin – t’enseigneront les belles théories et les bonnes pratiques. Il faut absolument les apprendre car tu ne les appliqueras jamais. Si tu ne les connais pas, tu risqueras de faire ton travail sans t’en rendre compte. Or un grand journaliste ne fait jamais ce qu’il faut, même par accident…

Tu peux aussi tenter ta chance en frappant aux portes des rédactions. Ton père connaît-il un patron de crasse, un Macron de presse, une huile bien huilée, une crème à beurrer ? Mince, j’oubliais : ton père, c’est moi.

En fait, le grand média est bête comme feuille de chou : pour le pénétrer, il faut juste qu’il te pénètre. Rassure-toi mon fils, guère de promotion canapé : sous les plumes des canards boiteux, coucher ne paye même pas la mine. Non, tu dois te faire prendre la conscience, par devant et derrière, en long, large et travers.

Ça pique même moins qu’il ne paraît. Avec un peu de temps, tu prendras du goût et du galon. Car la conscience n’est jamais bien qu’un élastique qui se tire à la petite semaine. Quand elle est professionnelle, elle a souvent une queue qui raidit sous sa clause.

Écrire ? Penses-tu ! Si les grands journalistes savaient écrire, ils seraient certainement médecins.

Sache-le, sous les voiles noirs et les cols blancs de la direction, tu devras tomber le stylo autant que le pantalon. Ferme la braguette de ton orgueil et dégrafe les jupes de tes oreilles, mon fils ! Le grand journaliste n’écrit pas, il écoute ce qu’on lui dit d’écrire : deux doigts pour se la mettre et dix oreilles pour se soumettre.

Évite donc de donner ton avis. Au pire, donne-le à ton chien… Hé, rassure-moi, mon fils : ton animal n’est pas un de ces chiens de garde qui discourent en bande et débandent en cour dans les salons feutrés de la République ?

Qui toutou qui lèche qui molosse qui mord, ce chien à laisse et tiroir-caisse jappe, jacte, jase, bref il aboie. Si c’est le cas, musèle-le !

« Et la liberté d’expression ? » Tu veux rire : le reporter sans frontière a fini baisé à Béziers !

Déontologie ? Écris « déhontologie », ça sonne plus juste. Reporter ?

Rapporteur ! Présentateur ? Présentoir ! Commentateur ? Comenteur !

Sur le terrain, ne va pas plus loin, ton article est déjà à l’impression ; si tu as de la chance, pour gonfler ton égo, il est même signé par toi. Mais qu’importe. En vérité ou en mensonge, ce qui compte n’est pas ce que tu mets dans le torchon mais ce que tu fais avaler. Une petite intox bien déglutie pèse plus lourd qu’une grande info mal léchée. Les lecteurs ne sont pas des buses ? Fiche-t’en.

Convaincs-les que ce sont des buses et tu seras un grand journaliste.

C’est ainsi qu’on a détruit l’Afghanistan, l’Irak et la Libye, pas encore la Tunisie, l’Égypte ou l’Iran, presque l’Algérie, la Syrie ou la Palestine. C’est ainsi que le Qatar est le professeur des droits de l’homme, l’Arabie saoudite le défenseur de la paix et Israël le protecteur des citoyens. N’oublie jamais, mon fils : la seule info qui compte n’est pas celle que tu sors mais celle que tu rentres. À coups de mots, de faux et de trop s’il le faut.

Pour ce faire, les unes des grands médias te livrent régulièrement leurs astuces. Le « qui tue qui », effet d’optique qui a réussi à faire passer les terroristes algériens pour les militaires du régime et a même eu sa déclinaison chimique en Syrie.

Le « c’est lui qui a tué », capable de créer un assassin preuves à l’appui pour l’assassiner sans preuves : Ceaucescu s’en souvient encore. Le « file-moi ta légende » qui glisse une image glacée d’archives dans un fait brûlant d’actualité, très pratique pour réchauffer les refroidis.

Le « prouve-moi que j’ai raison » qui actionne le gode intellectuel ou la sucette du plateau, pseudos réputés vibrants de l’expert.

Le « complote-moi mon complot » ou l’art de devenir la victime de son propre complot pour accuser les faux complotistes d’avoir comploté.

Le « prends-en plein la gueule », autre nom de l’info en boucle qui, à force de tourner dans ta télé, finit par s’installer dans ton salon…

Voilà mon fils, si tu suis mes conseils, à l’antenne ou sur le papier, tu deviendras un grand journaliste, accrédité donc à crédit, et peut-être même un petit peu plus : écrivain, dirigeant d’entreprise, philosophe, patron de club, réalisateur, femme de ministre, chef de parti politique, amateur de cocktail, éleveur de clébards, éditeur et accessoirement milliardaire…

Du menu fretin certes, mais il te restera toujours une vieille carte de presse pour te curer le gras ou te gratter le cul.

Source : Tribune parue dans le dossier "Les Faussaires de l’info", extrait de la revue Afrique Asie, mars 2016
من حق دارم که طلب کنم
که طلب کنم یک وجب جا
درصف فقیرترین
کارگران ودهقانان !
اگر فکر میکنی اینها است برای اسم وسود
بیا رفیق
به انضمام کلآم دیگران
قلم من هم برای تو
بفرما
بگیر
وخود ات بنویس !
«مایاکوفسکی»
به مناسبت ۸ مارس ( روز زن ) و شعری از 


پروین اعتصامی 


پيشه‌اش جز تيره‌روزي و پريشــــــاني نبود


زندگي و ‌‌‌‌‌‌مــرگش اندر کنج عزلت‌ مي‌گذشت

زن چه بود آن روزها، گــــر زان که زنداني نبود

کس چو زن، انـــدر سياهي قرنها منـــزل نکرد


کس چو زن، در معبــــد سالوس قــرباني نبود

در عدالتخانـــه‌ي انصاف، زن شاهـــد نداشت

در دبستان فضيــــلت، زن دبستـــــــاني نبود


دادخواهيهــــاي زن مي‌مانــد عمري بي‌جواب


آشکارا بـــــــود اين بيـــــداد، پنهـــــــاني نبود


بس کسان را جامه و چوب شباني بود، ليک


در نهـــادِ جمله گـــرگي بود، چــوپاني نبود


از بــــــراي زن به ميــــــدان فــــراخِ زنــــدگي


سرنوشت و قسمتي، جز تنگ ميــداني نبود


نـــــور دانش را زچشم زن نهـــان مي‌داشتند


اين نـــدانستن ز پستي و گرانجـــــــاني نبود


زن کجــا بافنــده مي‌شــد بي‌نخ و دوک هنــر


خــــرمن و حاصل نبـــود آنجا که دهقاني نبود


ميـــوه‌هاي دکّـــه‌ي دانش فراوان بــــود ، ليک


بهـــــر زن هــــرگز نصيبي زين فـــــراواني نبود


در قفس مي‌آرميد و در قفس مي‌داد جان


در گلستان، نام از اين مـــــرغ گلستاني نبود


بهـــــر زن، تقليـــد تيه فتنه و چــــاه بلاست


زيرک آن زن کاو رهش اين راه ظلماني نبود


آب و رنـــگ از علم مي‌بايست شــــرط برتري


بـــــــــا زمـــــرّد ياره و لعل بـــــــدخشاني نبود


جلوه‌ي‌صد ‌‌‌پرنيان ،‌ چون‌يک قباي ‌ساده نيست


عزت از شايستگي بود، از هوســــــراني نبود


ارزش پوشنده، کفش و‌ جامـــــه را‌ ارزنده کرد


قــــدر و پستي، با گـــراني و بـــــه ارزاني نبود 


ســــادگي و پاکي و پرهيز، يک يک گــــوهرند


گــــــوهر تابنـــــده، تنهـــــا گوهـــــر کاني نبود


از زر و زيور چه سود آنجا که نادان است زن


زيـــــور و زر، پــــرده‌پـــــوشِ عيب ناداني نبود


عيب‌ها را جامه‌ي پرهيز پوشانده‌ست و بس


جامـــــه‌ي عجب و هـــوا، بهتر ز عرياني نبود



زن سبکساری نبیند تا گـرانسنگ است و پاک


پـــــــاک را آسیبی از آلــــــوده دامـــــــانی نبود


زن چو گنجور است‌و عفت،گنج و حرص‌و ‌آز،دزد


وای اگـــــــر آگـــــه از آیین نگهبـــــــــــانی نبود


اهـــرمن بر سفره‌ی تقو ی نمی‌شد میهمــــان


زان که می‌دانست کان جا، جای مهمانی نبود


پا بــــــه راه راست بایــــد داشت، کاندر راه کج


تـــــوشه‌ای و رهنمـودی، جــــز پشیمانی نبود


چشم و دل ر ا پـــرده می‌بایست، امـا از عفاف


چــــــادر پـــــــوسیــــــده، بنیاد مسلمانی نبود


خسروا، دست تـــــوانای تــــو، آسان کــــرد کار


ورنـــــــه در این کـــار سخت امیــد آسانی نبود


شه‌نمی‌شد گر‌در این گمگشته کشتی‌ناخدای


ســــاحلی پیـــــدا از این دریــای طوفانی نبود


بایـــد این انـــوار را پروین بـــــه چشم عقل دید


مهــــــر رخشان را نشایــــد گفت نــورانی نبود
8 mars 2016
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Les femmes qui veulent se racheter et s’éloigner du chemin tracé par Ève, doivent posséder mérites et qualités que saint Paul, cet apôtre de Jésus pour qui de nombreuses femmes allument des cierges et prient, a défini ainsi : obéir, servir et se taire… Au profit des Adam, évidemment. Mais certaines Ève ne l’entendaient pas ainsi… (Extrait de la préface au livre Latines, belles et rebelles)



Et Dieu créa l’homme « à son image », dit la mythologie catholique dans la Bible. C’est-à-dire qu’il le créa homme et parfait. Et il l’appela Adam.

Le voyant si esseulé dans l’immensité du Paradis, il prit une de ses côtes et en façonna un être au physique quelque peu différent du sien. Il lui dit que c’était une femme et qu’elle s’appelait Ève. Dieu avait dans l’idée de donner à sa photocopie terrestre quelqu’un qui le distrairait, lui ferait la conversation. Le Tout-Puissant ne trouvait pas distingué que sa créature passe son temps à dresser perroquets, chiens, chimpanzés ou tous autres animaux qui déambulaient là-bas.

Dieu avertit Adam et sa côte qu’ils pourraient profiter de tout et goûter à tout, sauf à un fruit qui leur était interdit. Dieu savait qu’Adam ne lui désobéirait jamais. Mais avec Ève, c’était une autre histoire, car il ne l’avait pas faite « à son image ». Elle était simplement humaine et donc, imparfaite. Dieu, malgré son « infinie connaissance  » du futur, n’avait pas prévu ce qui allait se passer au Paradis.

Ève arriva dans ce monde, heureuse, jouissant de tout. Elle s’amusait avec les animaux et même avec Adam, lorsque celui-ci le lui permettait. Ce qui arrivait très rarement, car étant parfait, il était donc sage. Comme elle était curieuse et désireuse d’apprendre, elle découvrit que son fruit n’était pas le même que celui de son compagnon. Adam ne s’en était même pas rendu compte. La sagesse ne lui avait pas permis de remarquer ce genre de détails.

Et tandis qu’elle explorait son propre corps, elle remarqua que son fruit était la source d’agréables sensations. Cela lui donna à penser : si ce fruit lui procurait du plaisir, pourquoi ce monsieur grisonnant, barbu, aux yeux clairs, à la peau blanche et qui dissimulait presque tout son corps derrière un nuage disait-il qu’il était interdit ?

Ce qu’Ève ne pouvait pas savoir, c’est que Dieu ignorait l’imperfection. Et qu’en matière de femmes, il en savait encore moins, puisqu’il n’en avait jamais eu. Il ne pouvait savoir combien la peau était sensible.

C’est ainsi que de rires en chatouillements et autres baisers, Ève mena Adam au péché. Celui-ci qui allait, le nez au vent, ne put résister à la tentation. Ève lui fit perdre la tête. C’est en commençant à dévorer la pomme qui se cachait entre les jambes d’Ève qu’Adam se rendit compte qu’il valait mieux être humain que parfait. La Bible ne le dit pas, mais ils eurent tant de plaisir qu’ils se sentirent au paradis.

Dieu savait que cela arriverait. Malgré cela, il fit irruption, « fou de rage ». Et il les expulsa du Paradis. C’était la première fois qu’il ressentait cela, même si, le temps passant, il prit l’habitude de provoquer tempêtes et fléaux, et d’infliger des souffrances aux hommes qui lui désobéiraient. Aux pauvres, en particulier. Un comportement extrêmement étrange chez quelqu’un s’auto-définissant comme parfait.

Et il punit aussi le couple. Adam dut partir travailler, afin de gagner sa vie « à la sueur de son front ». Ève fut condamnée à enfanter dans la douleur : une décision plutôt sadique.

Optimiste et pleine d’intelligence puisqu’elle était femme et imparfaite, Ève démontra à Adam que puisque pécher était si délicieux, autant continuer. Par conséquent, ils passèrent leur temps à se donner du plaisir et à faire des enfants. À leur tour, ceux-ci, suivant l’exemple parental, commirent le péché entre frères et soeurs, et le monde se peupla.

Le véritable problème pour les Ève surgit lorsque « quelqu’un » raconta aux Adam qu’ils résultaient d’une invention directe de Dieu.

Et que c’était à cause d’elles qu’ils devaient travailler tous les jours. Voilà comment, sans l’ombre d’une preuve, les hommes se crurent représentants de Dieu face aux femmes, avec le droit de donner des ordres et de décider.

On atteignit le point culminant avec l’apparition de la Bible, dans laquelle beaucoup d’hommes avaient écrit que les femmes leur devaient obéissance et soumission, car Dieu le leur avait dit. Dès les premières pages de l’Ancien Testament, Ève est persécutée, pour avoir « péché ».

Innocent III fut pape de 1198 à 1216. À sa demande, deux « idéologues  » allemands rédigèrent le Malleus Maleficarum, le guide théologique et juridique de l’Inquisition. Ils y affirmèrent, sans contestation possible, que le « harem de Satan » était rempli de sorcières. Par la suite, les curés brûlèrent des milliers de femmes, accusées du même péché qu’Ève, sur des bûchers de bois vert. Ce qui fut ratifié dans ce texte : « Toute sorcellerie procède de la luxure, qui chez les femmes, est insatiable ».

Bénies soient-elles, alors !

Durant presque sept siècles, de 1234 jusqu’au début du xxe siècle, les « représentants de Dieu » à Rome interdirent aux femmes de chanter dans les églises. Pour quel motif ? Parce qu’elles étaient impures et qu’elles portaient en elles le péché d’Ève.

Un peu avant, Honoré II, pape de 1124 à 1130, avait émis la sentence suivante : « Les femmes ne doivent pas parler. Leur lèvres portent le stigmate d’Ève, qui causa la ruine des hommes ». Sans doute est-ce pour cela que l’on continue de leur dénier le droit de dire la messe. Ou par peur qu’elles ne la rénovent ou ne l’améliorent.

Peut-être Honoré s’était-il inspiré des affirmations de saint Jean Chrysostome, qui vécut entre les années 347 et 407 de notre ère : « Lorsque la première femme parla, elle engendra le péché originel ». Saint Jérôme déclara que toutes les femmes sont « perverses ». Saint Bernard affirma que les femmes « sifflent comme des serpents ».

Saint Thomas d’Aquin, l’un des principaux philosophes et théologiens de l’Église catholique, idolâtré par des millions de femmes, entreprit de grandes réflexions, pour finir ainsi : « La femme est un mâle manqué. Un être produit par le hasard : seul l’homme a été créé à l’image de Dieu ». Un autre « Docteur » et « Père » important de l’Église romaine, saint Jean Damascène, a écrit : « La femme est une ânesse entêtée, un terrible ver dans le coeur de l’homme, fille du mensonge, sentinelle de l’enfer. »

Mais si Ève a envoyé les femmes au bûcher, Marie, la Vierge, a essayé de les en sortir. Il y a à peu près mille ans, l’Église la reconnut comme un symbole de pureté, pour avoir été enceinte sans perdre sa virginité. Le responsable ? Dieu lui-même, sous la forme d’un ange, ou d’une colombe. L’interprétation n’est pas très claire. Dieu a fait cela, alors même qu’il avait déjà dicté une loi : « Tu ne désireras pas la femme de ton prochain ». Maria était mineure, récemment mariée avec un humble charpentier. Malgré le fait qu’il ait porté les cornes les plus grandes et les plus insolentes de l’histoire de l’humanité, jamais personne n’a trouvé à y redire. Peut-être est-ce depuis ce temps que beaucoup de « représentants de Dieu » se sont consacré à séduire des enfants. Marie devint doublement pure lorsque Pie IX, en 1854, révéla qu’elle avait été « conçue sans péché ».

Donc, les femmes qui veulent se racheter et s’éloigner du chemin tracé par Ève, doivent posséder mérites et qualités que saint Paul, cet apôtre de Jésus pour qui de nombreuses femmes allument des cierges et prient, a défini ainsi : obéir, servir et se taire… Au profit des Adam, évidemment.

Mais certaines Ève ne l’entendaient pas ainsi…

Source : En Guise de Préface du livre Latines, belles et rebelles, Le Temps des cerises éditeurs, Paris 2015

*A propos de l’auteur

Journaliste et écrivain colombien, Hernando Calvo Ospina est réfugié politique en France. Il est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages tous traduits dans plusieurs langues, dont Colombie, derrière le rideau de fumée : Histoire du terrorisme d’État (Le Temps des Cerises, 2009) et Tais-toi et respire ! Torture, prison et bras d’honneur (Bruno Leprince, 2013). Il écrit notamment dans Le Monde diplomatique et a participé à la réalisation de documentaires pour ARTE et la BBC.

8 mars 2016
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Joyeuses réjouissances pour le 8 mars...



A peine tièdes, les bûchers sur lesquels furent immolées les dernières charrettes des Albigeois et des Cathares, commencèrent d’être instruits les procès en sorcellerie. *

Ils flambèrent de nouveau.

Deux siècles durant.

Les exécutions se pratiquaient en place publique, on venait de loin pour profiter de l’aubaine. Pour que ne soient pas trop incommodés les spectateurs, les bourreaux assaisonnaient le petit bois avec des herbes, les chairs brûlées dégageaient un fumet âcre et persistant.

Des centaines de milliers de femmes, le genre masculin fut très peu représenté, servirent de torches humaines et accompagnèrent de leur hurlement puis de leur grésillement la Renaissance qui vit naître et mûrir la rationalisme cartésien.

Le Moyen Age s’achevait, bientôt l’Amérique fut atteinte par des vaisseaux mus par le vent. L’Europe avait trouvé son Pérou et son Argentine et y puisait son or et son argent.

Les réseaux de circulation des métaux précieux s’étaient disloqués en faveur du flux transatlantique qui inonda le continent.

Cette fausse richesse monétaire a inondé un continent qui manquait de force de travail.

La peste de 1345-1349 avait amputé sa population de plus de son tiers. Le remodelage du paysage agricole avec le système des « enclosure » interdisait aux paysans pauvres l’usage des communaux pour le pâturage des bêtes et une culture vivrière d’appoint avait jeté sur les routes des vagabonds, des travailleurs itinérants et des chapardeurs.

La faim tenaillait les ventres et le régime alimentaire de très carné et abondant au Moyen Age se restreignit à la consommation aléatoire de pain et de produits de glanage.

En lisère de village, près des bois, vivaient de vieilles femmes seules, souvent veuves, et très pauvres. Elles rôdaient, mendiaient leur pitance et maugréaient quand lui étaient refusés le quignon de pain ou le morceau de beurre réclamés par son estomac vide.

Elle connaissait les vertus de certaines plantes, pouvait concocter des philtres, guérissait des plaies et à l’occasion fabriquait des anges en faisant passer des grossesses inopportunes. La conquête des ‘Indes occidentales’ s’était soldée par une inflation des prix des denrées de première nécessité. L’Etat et l’Eglise sont intervenus sur le corps des femmes en légiférant, punissant l’infanticide et la contraception de la peine capitale.

Les théories des économistes, les mercantilistes, considéraient qu’une démographie soutenue était une source de la richesse des nations. Il fallait extirper ce savoir-faire ancestral de régulation des naissances et disparurent alors les sages-femmes, des ‘docteurs’ en médecine masculins ont eu alors à gérer l’obstétrique à la place des matrones trop complaisantes à l’égard de grossesses dissimulée.

En 1487 parut le Marteau des sorcières, Malleus Maleficarum, ouvrage de démonologie de référence qui inspirera les Inquisiteurs dans la conduite de la condamnation sans autre preuve que les aveux, obtenus sous la torture. Abolie par le pape Nicolas Ier en 866, elle fut heureusement rétablie par le pape Innocent IV en 1252 pour lutter contre l’hérésie.

Sa rédaction* * a permis de colliger des opinions de théologiens, juristes et médecins qui vont constituer une doxa, un ensemble de croyances qui vont constituer des faits indéniables et impossibles à interroger. C’est également un prototype de droit pénal applicable partout dans le Royaume, unification de principes juridiques d’Etats centralisés en formation.

Le style est de la plus pure rhétorique scolastique, les énoncés sous forme de questions et de réponses comportant des contradictions logiques et trempées dans une misogynie qui en est le socle. « Femina vient de Fe et minus, car toujours elle a et garde moins de foi. ».

Ainsi se constituait le prolétariat et se réalisait une accumulation ‘primitive’ du capitalisme naissant.

Une fois privatisés les biens communaux et disloquée la solidarité villageoise malgré nombre de révoltes paysannes et de jacqueries qui ont ébranlé le système plus d’une fois, les salaires des hommes furent abaissés alors que les femmes n’y avaient pas accès.

Elles ont contribué gratuitement à la reproduction de la force de travail.

D’emblée, le capitalisme naissant européen fut mondialisé

En Amérique conquise et plus ou moins pacifiée, par les armes, les populations furent soumises et contraintes de travailler comme esclaves dans les mines, les plantations et dans les ‘obrajes’, ateliers de confection artisanale. Du sucre était produit, de l’or était extrait et des textiles tissés quasiment gratuitement.

Les missionnaires furent très vite là, dès 1508, pour conforter les Rois catholiques dans l’exploitation et bientôt l’extermination des aborigènes.

Ils étaient polygames, se promenaient nus à peine revêtus d’un pagne, ignoraient la valeur marchande de leur production traditionnelle, ils étaient donc bestiaux et/ou diaboliques.

C’est entre 1550 et 1630 que l’Europe a allumé le plus de bûchers et simultanément à son entreprise d’élimination par le feu de vieilles femmes, reconnues comme l’Autre Absolu à une société en mutation tétanisée par la peur, elle étendait son pouvoir d’éradication des sociétés traditionnelles dans les colonies. L’Indigène est à la fois le bon sauvage et habité par le diable. La rupture écologique induite par l’arrivée des conquérants venus de la mer a produit chez les Indiens une mortalité qui a amputé leur population de 90% de son effectif.

Un autre prolétariat allait être importé depuis l’Afrique qui va connaître à cette occasion un dépeuplement considérable. Avec quatre victimes "collatérales" pour un esclave arrivé à destination, le continent noir a perdu 100 millions d’habitants entre le 16ème et le 19ème siècle. (1) L’Africain, fruit du commerce triangulaire n’est pas considéré comme un être humain. Cependant, il est demandé aux femmes africaines de se reproduire pour multiplier le matériel servant de main-d’œuvre ici aussi quasi-gratuite. Ainsi put se consolider les assises du capitalisme en phase d’accumulation première.

Le colon esclavagiste va se soucier des tenues vestimentaires des indigènes amérindiennes comme de celles qui survivent au voyage transatlantique et qu’il débarque des cales.

Recouvrir leur nudité est un impératif civilisateur

Il ne les humanisait pas entièrement cependant puisqu’elles étaient d’essence inférieure tout en étant un objet sexuel toujours disponible pour leur propriétaire.

Le déplacement des populations qui perdent leurs repères spatiaux est accompagné d’une extirpation de leur mode de vie antérieur, jusque dans la manière de recouvrir les corps.

En Europe, où les déplacements des populations ont succédé à la privatisation des communs, les procès en sorcellerie ont été le moyen spectaculaire, effrayant de la désappropriation des savoirs féminins sur leur corps, rendu irréversible par la rupture de la chaîne de transmission de cette science empirique millénaire.

L’intérêt acharné du colonisateur pour le vêtement de la femme colonisée s’est poursuivi.

La colonisation du Maghreb, la plus durable par la France de pays musulmans, a vu se multiplier des incitations au dévoilement de la femme arabe.

La soustraction du corps de la femme à sa visibilité dans l’espace public devait être révoquée, exactement comme la nudité de l’Amérindienne devait être dissimulée.

L’objectif inavoué, conscient ou non, est la maîtrise du corps des femmes, dépositaire de la tradition et sa transmettrice, la destruction de l’ordre symbolique de la société et son éclatement.

Toute une littérature occidentale a développé ce parti pris de considérer le voile qui couvre la chevelure des femmes, utilisé par l’ensemble du monde méditerranéen depuis des millénaires, comme un symptôme de soumission des femmes à un ordre patriarcal réactionnaire.

Mais on trouve l’affirmation que le recouvrement des cheveux féminins est le signe de la soumission légitime de la femme à l’homme chez Saint-Paul dans l’épitre aux Corinthiens, ce qui a alimenté l’inconscient collectif européen jusqu’à maintenant. Elle a la consistance d’une hypocrisie sans nom ou au moins d’un aveuglement sur le traitement des femmes en terre européenne dont le moindre des signes est l’inégalité des salaires pour un travail égal avec les hommes et le régime de la double peine, subir le patron et le compagnon.

Depuis le temps révolu des colonies, les femmes arabes se sont déshabillées, puis rhabillées.

Un bon nombre de filles et de petites filles de femmes arabes « émancipées » n’ont trouvé aucun bénéfice à porter la minijupe dessinée par des couturiers hommes qui n’aiment pas les femmes. Elles ont renoué avec un passé dans lequel elles puisent du sens et ont reposé un fichu sur leur tête tout en rallongeant leur robe.

Dans cette France d’ancienne monarchie absolue (cujus regio ejus religio) où le sujet est tenu d’adopter la religion y compris dans son paraître d’un souverain - lequel reste à définir- cet écart à la norme est insupportable. Le souverain aux contours peu précis s’apparente à la main invisible du Marché, celle-ci dicte la consommation et l’aspect de la majorité par toutes sortes de vecteurs.

L’hystérie développée autour de trois jeunes filles qui ont refusé d’ôter leur couvre-cheveux à Creil en 1989 a bien sûr d’autres fondements. En aucun cas, il n’y avait contravention à la séparation de l’Eglise, à qui fut retirée en 1905 la responsabilité de l’Instruction publique, et de l’Etat qui est devenu depuis indifférent aux pratiques religieuses, mais non hostile.

Tout un mouvement de circonscription de la population immigrée musulmane, anciennement colonisée, s’est dessiné, la confinant dans des territoires de plus en plus étroits. Sa simple présence devenait criminelle. Le contrôle au faciès humiliant et pluri-quotidien en a été, et continue de l’être, la marque insigne.

Les provocations se sont depuis multipliées

Les caricatures du Jylland Posten, quotidien danois de droite aux compromissions passées avec les Nazis avérées, concoctées entre le rédacteur de publication sioniste notoire Rose Flemming et Daniel Pipes, seraient restées ignorées de tous si un émissaire n’avait été envoyé dans toutes les capitales arabes pour déclencher une réaction.

Elles n’avaient rien d’humoristique. Le prophète de l’Islam était représenté avec une bombe dissimulée dans sa coiffe, faisant de tout musulman un terroriste.

Depuis, ce message est relayé, amplifié par les canaux enchevêtrés des medias mainstream.

On savait depuis longtemps que tout Palestinien, l’occupant ne le désigne que par la langue qu’il parle, l’Arabe, est un terroriste.

Depuis 2001, c’est tout Musulman qui est terroriste.

Au point qu’est enseigné aux militaires étasuniens au cours de leur formation que le voile porté par la Musulmane est bien un signe de terrorisme passif. (2)

Comme à la fin du Moyen Age, une définition d’un Nous sans homogénéité de classe ni d’intérêt s’opère au travers de l’exclusion d’une minorité diabolisée.

Diabolisée car elle indique où doit s’effectuer la séparation d’avec un groupe sans pouvoir politique ni économique qui se distingue par un accoutrement trop pudique. Tout un processus discursif sophistique est élaboré pour accuser cette exposition coupable de compromettre les "Valeurs" Républicaines.

Et comme pour les sorcières, un dispositif législatif complexe et sans cesse remis à jour a été élaboré pour punir. Une inflation médiatique remarquable par une intensité et une durée disproportionnées par rapport au nombre des femmes en causes est entretenue, signifiant le besoin de cimenter une société prétendument mise en péril par un épiphénomène. Bien sûr, d’autres forces la dilacèrent, et l’impuissance des gouvernements nationaux par rapport aux puissances de l’argent concrétisées dans des centres supranationaux en est une qui la cisaille et la déchiquette efficacement.

Les arguments exhibés dans ce Marteau nouveau en sorcellerie ne sont pas exempts de contradictions. Pour sauver les jeunes filles de la Loi obscène Du Père (comme l’écrit Lacan) qui les soumet, rien de mieux que les exclure de l’école publique et de les rejeter dans une sphère privée où elles risquent à coup sûr d’être gagnées aux vertus du libéralisme libertin.

La nécessité de désigner une cible chargée de tous les péchés est de nouveau inscrite dans le cours d’un capitalisme arrivé à une phase de crise elle-même mondialisée.

C’est à l’échelle planétaire que se dressent les buchers pour vaincre le Diable.

Le terrorisme et l’islamisme

L’Inquisition chassait les sorcières pour leurs crimes fantasmés pendant que l’institution ecclésiastique plongeait dans une corruption qui préparait sa confrontation avec la Réforme. L’Islam est criminalisé alors que les régimes théocratiques les plus réactionnaires, bons partenaires commerciaux, se voient attribués des Légions d’honneur. Il est professé que l’impératif est de faire reculer dans une guerre promise à être interminable le terrorisme "islamiste" et abattre des régimes laïcs par le truchement de bandes de terroristes fabriquées à cette intention.

La torture est réhabilitée comme moyen d’assurer la sécurité pour l’obtention d’aveux.

Les assassinats extrajudiciaires, étendus depuis l’enclave sioniste en Palestine, sont devenus la norme.

Les drones, forme impersonnelle d’assurer les crimes d’Etat, dispensent la mort en Afghanistan, au Yémen, en Somalie. Les F16 crachent leur feu sur Gaza.

Le Mali, la Libye, le Tchad, la Syrie et peut-être bientôt l’Algérie.

Leur justification est dans le New York Times et ses produits dérivés. (3)

Des millions de millions de dollars sont absorbés dans des programmes tel le Clarion Project (4) et les Pamela Geller, Franck Gafney et autres Caroline Fourest bénéficient de fonds à peine secrets pour ‘instruire’ et condamner.

Voilà comment je suis devenue la nouvelle sorcière à rôtir.

L’escadron de la mort que dirigeait Alvaro Uribe, frère de l’ancien Président colombien, portait le nom de ‘Douze apôtres’.(5) Qui pourrait prétendre que la guerre menée contre les syndicalistes et les opposants politiques était d’ordre religieux ?

Badia Benjelloun, 6 mars 2016

* En 1233, le pape Grégoire IX confia la charge de combattre l’hérésie cathare aux frères prêcheurs, futurs Dominicains, bien content de se débarrasser de cette manœuvre sur un ordre monastique. Les derniers bûchers cathares datent de 1329.

** On en connaît au moins l’un des auteurs, Henry Institoris. Type de message contradictoire :
"Le sorcier est dépravé par son péché. La cause n’en est pas le Diable, mais la volonté humaine. Le péché procède de son libre arbitre. Or le Diable ne saurait mouvoir le libre arbitre…
Les démons peuvent remuer les esprits et les humeurs intérieures. On appelle leurs victimes des ‘saisis’, des possédés, car les démons les possèdent...
Il y a comme un défaut dans la formation de la première femme, puisqu’elle a été faite d’une côte courbe, c’est-à-dire d’une côte de la poitrine, tordue et opposée à l’homme.
Il découle aussi de ce défaut que comme un être imparfait, elle trompe toujours.

Notes :
(5) https://en.wikipedia.org/wiki/Clari...

Source : Investig’Action