۱۳۹۴ مهر ۱, چهارشنبه

eTurquie : entre conflits et élection

|
23 septembre 2015
Article en PDF : Enregistrer au format PDF

Le 20 Juillet 2015, plus d’une centaine de militants du SGDF (groupe de jeunes communistes en Turquie), en majorité des jeunes donc, sont visés par un attentat suicide à la bombe, dans le centre culturel de la Ville de Suruç à la frontière syrienne. Ces militants prévoyaient de se rendre à Kobané, dans le but d’aider à reconstruire la ville en grande partie détruite par les assauts des Djihadistes.



Cet attentat d’une rare violence a provoqué la mort de plus de 30 militants et en a blessé une centaine de plus. Les autorités ont attribué l’attaque au groupe État Islamique, et ce dans un contexte où la police turque mène des opérations d’arrestation de membres ou de sympathisants de l’EI dans plusieurs villes turques. Mais de son côté L’EI n’a toujours pas à ce jour revendiqué l’attentat, qui est le premier acte terroriste sur le territoire turc.

De plus, beaucoup de personnes émettent des doutes sur l’origine de cet acte et impliquent l’état turc.

Cet attentat va entraîner une escalade dans la violence et de vives réactions : Le mercredi 22 Juillet, le PKK qui désigne l’État turc comme étant responsable de cet attentat à cause de son jeu trouble vis à vis de l’organisation État Islamique, mène une expédition punitive dans la ville de Ceylanpinar et abat 2 policiers qui collaboraient avec Daesh.

En effet, le gouvernement turc a souvent été mis en cause pour ses rapports plus que suspects avec l’État Islamique : refus d’aide aux résistants kurdes de Kobané alors que toute la coalition internationale faisait pression sur le pouvoir turc, grande facilité de transit pour les djihadistes entre la Turquie et la Syrie, refus de laisser aux États-Unis la base d’Inçirlik pour bombarder l’EI, etc.

Vient s’ajouter à cela le fait que, le 9 mai 2015, le journal Cumhuriyet (important journal en Turquie) publie des images et une vidéo montrant des camions du MIT (service de renseignement turc) transportant des armes à destination de l’EI, ce qu’avait toujours démenti l’AKP (parti islamiste « modéré » en place en Turquie).

Le jeudi 23 Juillet, le gouvernement annonce qu’un accrochage entre les forces de l’EI et l’armée aurait causé la mort d’un soldat turc. Le lendemain dans la matinée, des F16 vont bombarder 3 positions de l’EI en Syrie.

De nombreux médias titrent alors que la Turquie prend enfin clairement position contre Daesh, et c’est en effet ce que laissait penser la situation, mais, très vite, c’est-à-dire dès le lendemain du raid contre L’EI, les raids ne visent plus Daesh mais les forces kurdes qui résistent seules sur le terrain face aux djihadistes depuis plus d’un an. Les raids se font beaucoup plus violents et nombreux que face à l’EI, et ce dans le nord de la Syrie et de l’Irak, alors que face à Daesh, l’armée turque n’avait pas daigné franchir la frontière…

Dans le même temps, il semblerait que le gouvernement turc se soit attiré (davantage encore) les faveurs des puissances occidentales, notamment avec l’ouverture de la base américaine d’Inçirlik sur le territoire (ce que la Turquie avait toujours refusé, base qui présente un enjeu stratégique important pour les USA).

En effet, alors que depuis des mois la coalition internationale présentait avec raison les Kurdes comme étant la seule réelle barrière face à Daesh, et que les Kurdes avaient le soutien des pays occidentaux (exemple : livraisons d’armes des États-Unis), la France, les États-Unis et l’OTAN ont tous déclaré leur soutien à l’Etat turc après les raids de l’armée turque contre les bases du PKK et les déclarations se sont succédées pour souligner le droit de la Turquie à lutter contre le « terrorisme ».

Toutes ces attaques de l’armée turque envers les forces kurdes n’ont rien d’étonnant puisqu’environ un mois avant l’attentat de Suruç et l’escalade qui s’en suivit, le Président turc Erdogan avait déclaré qu’il ne laisserait jamais un Etat kurde se former à sa frontière et que la Turquie ferait tout ce qui était en son pouvoir pour l’en empêcher. Pendant ce temps, l’armée mobilisait des milliers d’hommes et de véhicules à la frontière turco-syrienne.

Nous savons donc aujourd’hui que ces soldats mobilisés n’étaient pas destinés à combattre Daesh mais le peuple kurde. Rappelons que ces raids contre les forces kurdes ont causé en un mois la mort de plus de 700 combattant(e)s et ont fait des centaines de blessés (d’après une source gouvernementale turque), alors que dans le même temps l’EI n’aurait eu à déplorer qu’un mort à cause des raids turcs. A noter qu’en plus des militants du PKK, l’armée turque prend régulièrement pour cible des civils, environ 70 auraient été exécutés depuis le massacre de Suruç. Il est évident que « l’entrée en guerre » de la Turquie face au terrorisme sans cesse clamée par Erdogan, mettant sur le même plan le PKK et Daesh, a été bien plus utile à l’État Islamique et à Erdogan, qui a perdu sa majorité parlementaire, qu’à une soit disant lutte contre le terrorisme.

Les enjeux électoraux

Ce contexte de guerre et de répression est à mettre en lien avec les enjeux strictement politique d’Erdogan et de son parti, l’AKP.

En effet, le 7 Juin les élections législatives sont une catastrophe pour Erdogan, premier ministre de 2003 à 2014 et président depuis 2014, qui comptait sur ces élections pour garder son emprise sur la politique du pays. L’AKP a perdu sa majorité parlementaire absolue (résultat de 40,7 %) que le parti détenait depuis 2002.

Cet échec a été causé, entre autres, par l’ascension fulgurante du HDP, parti progressiste et pro-kurdes, qui a obtenu lors de ces élections 13% des suffrages, dépassant ainsi les 10 % nécessaires pour entrer au gouvernement et privant l’AKP de sa majorité absolue.

Le gouvernement en place avait alors 60 jours pour former une coalition avec l’un des partis d’opposition, perspective défavorable à l’AKP. En cas d’échec de la formation d’une coalition, le recours restant est de nouveau l’appel aux urnes pour des élections législatives anticipées.

L’entrée en guerre de la Turquie avec le PKK, malgré un processus de paix en cours depuis 2013, survient pendant que le gouvernement cherche à former une coalition, apparemment de plus en plus impossible après le refus des deux principaux partis d’opposition (extrême droite, le MHP et centre gauche, le CHP). La perspective de nouvelles élections semble alors de plus en plus être la finalité évidente et, avant même une annonce officielle, certaines chaînes de télévision ne se gênent pas pour diffuser des sondages orientés en faveur d’Erdogan sur la question : «  Est-ce que l’AKP aurait la majorité absolue si de nouvelles élections avaient lieu ? »

Les assauts de l’armée turque contre le PKK et les ripostes de celui-ci ont permis à l’AKP de lancer une vaste campagne de propagande contre le PKK et le HDP en forçant l’amalgame entre le PKK qui a une très mauvaise image auprès de la population turque et le HDP, et entre le PKK et Daesh.

L’AKP considère que le PKK et l’EI sont deux organisations terroristes et qu’il n’y a aucune différence entre les deux, foulant au pied ainsi toutes les revendications légitimes du PKK, qui sont une conséquence des répressions subies au cours de l’histoire par les populations kurdes en Turquie et encore actuelles.

Les médias dominants turcs se sont mis à marteler l’idée que c’est le PKK qui a mis fin au cessez le feu alors que la cause est clairement due aux décisions déplorables d’Ankara. Les funérailles des soldats turcs sont tous les jours sur-médiatisées et ces soldats sont présentés comme des « martyrs morts pour la nation ». Ce qui vient alourdir encore le matraquage faisant passer le PKK pour une organisation terroriste ayant pour seul but de semer la terreur.

Dans ce contexte, l’AKP s’est lancé dans une grande campagne contre le HDP, que le gouvernement montrait comme la frange électorale du PKK au mépris de toute vérité, dans le but évident de salir l’image du HDP auprès de la population. Tout cela par le biais du classique matraquage médiatique et le lancement d’une enquête judiciaire contre Selahatin Dermitas ( leader du HDP ) sous le prétexte de troubles à l’ordre public pour des « faits » remontant à 2014. Il est évident que ces poursuites sont une réaction au succès inattendu du HDP sur le plan électoral.

Les affrontements de l’armée et de la police avec le PKK, le DHKP-C (gauche révolutionnaire turque) et le MLKP (parti marxiste léniniste de Turquie), permet à Erdogan de se positionner, lui et son parti, comme seul capable de gérer les tensions internes du pays et de montrer l’opposition comme responsable de ces tensions. Tout cela dans l’espoir de reconquérir la majorité absolue qui lui est absolument nécessaire pour encore une fois amplifier son pouvoir, ce qu’il n’a cessé de faire durant ses mandats successifs. Sans compter le fait que, si l’AKP n’obtient pas la majorité absolue, Erdogan devra rendre compte de ses dérives autoritaires.

C’est ainsi que le 21 Août, Erdogan confirme l’évidence en annonçant la tenue d’élections législatives anticipées le 1er novembre 2015. Il pourra donc retenter sa chance au suffrage en profitant comme à son habitude de la peur de la population et de l’instabilité de la société turque. Victoire qui lui permettrait via une réforme de la Constitution d’étendre son pouvoir, ce dont l’a empêché la défaite du 7 juin.

[Notons que les sondages sont suivis de près par les investisseurs étrangers qui craignent que le parti pro Kurde soit la cause d’une instabilité politique qui nuirait à leurs intérêts, leur soutien vas donc à l’AKP, signe pour eux d’une sécurité sur le plan politique]

Une stratégie qui n’est plus suffisante ?

Malgré ce que laissent penser certains médias turcs, la stratégie de l’AKP pourrait ne pas être suffisante pour reconquérir l’électorat turc.

Les dérives autoritaires incessantes d’Erdogan ont nui à son image, la population voit clairement la différence entre ses discours lors du début de son premier mandat où il prônait le pluralisme, la diversité et se présentait comme un parfait démocrate et ses derniers discours qui stigmatisent les minorités et dénoncent des prétendus complots contre lui.

Le gouvernement n’a d’ailleurs pas hésité à enchaîner les purges sous prétexte de complot contre l’État : dans l’armée, avec l’affaire « Ergenekon », et plus récemment parmi les hauts responsables de la police, d’importants bureaucrates et hommes d’affaires en raison de leur proximité avec Feytullah Gullen (ancien allié du Président turc, devenu son « grand ennemi ») ou leur adhésion à ses idées.

Censure et poursuites contre les journalistes gênants (la Turquie est l’un des pays au monde comptant le plus de journalistes emprisonnés), interdiction fréquente des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, il n’y a plus grand chose qui étonne la population….

Tout cela confirme le ressenti d’une part croissante de la population, voyant les agissements d’Erdogan comme les dérives autoritaires d’un homme se radicalisant et qui ne veut pas abandonner son emprise sur la vie politique du pays.

En effet, les décisions d’Erdogan engendrent de plus en plus un ras le bol populaire, notamment la reprise du conflit avec le PKK. Les familles des soldats turcs dénoncent de plus en plus l’utilisation de jeunes enrôlés de force dans l’armée pour leur service militaire comme de « chair à canons » au service des intérêts de l’AKP.

Malgré tout, les dirigeants de l’AKP osent enchaîner les déclarations plus honteuses les unes que les autres : « Quelle joie pour sa famille que le jeune soldat soit mort en martyr » a déclaré Erdogan lors de funérailles militaires.

Le comble de l’hypocrisie est atteint lorsque le ministre de l’énergie Taner Yildiz a déclaré il y a une semaine que lui aussi voulait mourir en « martyr ». « Ceux qui disent « je souhaite mourir en martyr » alors qu’ils se baladent dans les palais avec 30 gardes du corps, n’ont qu’à aller là-bas », au front » lui répond un lieutenant-colonel, au cours des obsèques de son jeune Frère, avant d’accuser l’AKP d’être responsable de la reprise du conflit avec le PKK. Depuis lors, l’homme fait l’objet d’une enquête de l’armée… Il est en effet difficile de s’en prendre impunément à l’AKP en Turquie.

Même au sein de l’armée, beaucoup se rendent compte des manèges politiques d’Erdogan et de son parti. Le peuple ne leur assure plus un soutien aussi infaillible qu’auparavant. Nous pouvons espérer que les élections anticipées du 1er novembre seront le théâtre d’un échec mérité et attendu pour l’AKP et le début d’une nouvelle ère dans la politique turque libérée de la domination d’Erdogan, de son autoritarisme et de ses répressions envers le peuple kurde.

Dans quelques mois, j’aurai 20 ans. Je pourrai être appelé pour le service militaire turc obligatoire, même si je suis franco-turc, et même si je n’ai jamais résidé là-bas. Dans quelques mois, si les autorités turques le décident, je vais devoir soit servir de chaire à canon pour un gouvernement fasciste, soit ne plus aller en Turquie au risque d’être envoyé en prison ou au service militaire forcé.

Source : JCLille

هیچ نظری موجود نیست: