Sécurité nationale: y aura-t-il une révolution de la politique étrangère US ?
- 10 Nov 2016
Dès le début de sa campagne présidentielle, Trump avait été malmené par l’establishment de la Sécurité nationale qui le jugeait incapable de diriger, dangereux, incompétent et ignorant. Ces critiques ont été réunies dans une lettre du 8 août signée par cinquante anciens officiers de la Sécurité nationale, dénonçant une éventuelle présidence de Trump. Sa propre équipe de sécurité nationale a également été sévèrement ridiculisée par les médias de l’establishment, depuis la Nouvelle République et ses « Bouffons de la cour Trump », dépeints comme « une indésirable galerie d’exclus et d’opportunistes, des has-been et des sans avenir, des fêlés et des vendeurs de complots », jusqu’au Who? et ses « top experts confondus par des conseillers à Donald Trump » en passant par le New York Times. Trump a répondu à la lettre, indiquant que ce sont ces mêmes personnes qui nous ont apporté deux décennies de guerre — et son conseiller Sam Clovis a ironiquement remarqué que l’équipe de la Sécurité nationale est composée de personnes qui « travaillent pour gagner leur vie ».
Mettant de côté ces réprimandes, le faux pas le plus flagrant de Trump vis-à-vis de la sécurité nationale est sa remise en question du paradigme russophobe. Ce paradigme a dominé la politique étrangère américaine depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’établissement de la loi de Sécurité nationale de 1947. La contestation de Trump a amplifié encore son prétendu orgueil jusqu’à soulever la question de l’OTAN — et sa contemplation de la fin de sept décennies d’occupation de l’Europe par les Etats-Unis (« Nous ne pouvons pas nous le permettre »). De telles perspectives échappent à toute l’histoire de l’establishment de la Sécurité nationale qui, depuis la fondation du Conseil national de sécurité (CNS), a cherché à contenir ses anciens Alliés (la Russie puis la Chine) et à maintenir l’hégémonie US sur le continent européen.
Bien sûr, Trump pourrait répondre que le conflit d’Obama avec la Russie distrait de la guerre contre le terrorisme, en particulier dans son incarnation actuelle avec Daesh. Trump envisage la Russie et les États-Unis travaillant en tandem pour vaincre le terrorisme — et partageant le butin de guerre à travers des contrats immobiliers, pétroliers et la reconstruction d’infrastructures. Trump aurait bien sûr sa guerre contre l’islam radical, mais elle se mènerait aux côtés de la Russie. Si la présence de Carter Page et de Michael Flyn dans son équipe de sécurité nationale nous dit quelque chose, c’est que Trump ne voit pas la Russie comme une menace, mais comme un partenaire potentiel dans les affaires géopolitiques et internationales. Trump a des intérêts commerciaux importants en Russie et au Moyen-Orient et approche le long conflit de cette décennie à partir d’un paradigme de sécurité pour les affaires. En effet, Trump est allé jusqu’à suggérer aux États-Unis de laisser Poutine vaincre Daesh tout seul. « Qu’est-ce que ça peut nous faire ? »
Il ressort clairement de l’intensité de sa réaction au faux pas de Trump que l’establishment de la Sécurité nationale ne tolérera pas d’écart par rapport au scénario officiel. Depuis ses débuts dans le creuset de l’anticommunisme, le NSC — notamment par le biais de ses organisations de substitution, comme la CIA et le FBI — a mené une guerre continue, sur le plan international et national, contre les menaces supposées à l’hégémonie mondiale des Etats-Unis. La Russie a toujours été perçue comme la plus grande menace pour une Pax Americana. Le CNS a projeté dès le début une stratégie de domination à pleine échelle, agissant par interférence politique, changement de régime, assassinat, propagande culturelle, guerre psychologique et répression politique intérieure. Cette pléthore d’actes est connue sous le nom de guerre froide et c’est la Russie (ainsi que ses partisans potentiels) qui continue d’être la cible principale de la stratégie globale de sécurité nationale des États-Unis.
De ce point de vue, ce n’est pas un hasard si George W. Bush, un ancien directeur de la CIA, a envahi le Moyen-Orient alors que l’Union soviétique (membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU) vacillait vers l’effondrement. Avec la Turquie, alliée de longue date de l’OTAN, le Moyen-Orient était le saint Graal de la domination militaire et économique mondiale ainsi que du confinement voire de la destruction de la Russie. Avant même que la poussière ne retombe en Irak, Bill Clinton avait entrepris l’expansion de l’OTAN vers l’est, l’alliance militaire se trouvant maintenant aux abords de la frontière russe.
Si la Russie s’est opposée à la deuxième guerre du Golfe et à la guerre en Libye, elle s’était tenue en marge du Moyen-Orient. Jusqu’à son intervention en 2015 en Syrie. Les racines cette intervention russe résident dans les dangers que présente un changement de régime en Syrie, surtout depuis le coup d’État orchestré par les États-Unis en 2014 en Ukraine. Ce qui est en jeu pour la Russie, c’est la sécurité de ses marchés européens du gaz et du pétrole. Sécurité qu’elle voit menacée par les États-Unis et ses alliés.
D’un côté, le Qatar, l’Arabie Saoudite et Israël cherchent à changer de régime en Syrie pour construire des gazoducs à destination de l’Europe. D’autre part, les États-Unis bouleversent les chaînes d’approvisionnement russes — via la crise ukrainienne et le régime de sanctions européen — pour déstabiliser la Russie et les relations russo-européennes. À ce titre, la Crimée est significative, car elle est un carrefour de distribution primaire pour l’Europe, un statut menacé par le coup d’État. La réunification de la Crimée avec la Russie a eu lieu directement dans le contexte du conflit syrien en réponse aux stratégies globales de contention et de déplacement des marchés étasuniens. D’autres pressions ont été exercées sur la Russie par la déflation des prix du pétrole par le gaz de schiste et la contrebande du pétrole de Daesh.
La stratégie américaine en Syrie s’est tragiquement métastasée en une politique de « destruction de la nation », de procuration, de guerre par mercenaires, de déstabilisation, de balkanisation et de nettoyage ethnique (la « crise des réfugiés »). La Syrie a été horriblement sacrifiée sur l’autel de l’obsession que la Sécurité nationale US fait de la Russie.
Si bien que la question de Trump, « Qu’est-ce que ça peut nous faire ? », expose clairement pourquoi l’establishment de la Sécurité nationale a condamné sa candidature dans des termes aussi caustiques. Pour cette élite, permettre à Poutine de gagner en Syrie impliquerait non seulement d’accepter Assad, mais aussi d’offrir à la Russie une présence permanente dans la région. Or, exclure et repousser la Russie a toujours été l’objectif des États-Unis. Et la russophilie de Trump est un défi direct envoyé à l’establishment de la Sécurité nationale dans son plan d’éjecter Poutine hors d’Europe.
Trump a toutefois remporté l’élection et il est sur une trajectoire de collision directe avec l’establishment de la Sécurité nationale. Évidemment, Trump fait un révolutionnaire peu probable. Il n’a jamais dit qu’il remettrait en cause la Loi sur la Sécurité nationale de 1947. D’ailleurs, aucun président ne l’a fait. Cela signifie qu’il acceptera son appareil sombre et ses méthodes bureaucratiques. En effet, il soutient l’augmentation de la surveillance de la NSA, l’expansion des dépenses militaires, l’activisme de la CIA, le piratage téléphonique du FBI, etc. En fait, Trump suggère simplement une cible différente pour que les affaires tournent comme d’habitude, en nous rappelant notre dernier cycle de propagande, la « guerre contre le terrorisme ».
Toutefois, Trump n’a jusqu’à présent pas réussi à articuler l’ensemble d’un rapprochement russe dans le contexte d’une nécessaire glasnost étasunienne — c’est-à-dire une déconstruction de l’État de la Sécurité nationale. La campagne électorale aura été marquée par le vol en éclats de tabous imposés de longue date (souvenons-nous de l’opposition de Sanders à la CIA ou de son soutien aux sandinistes et à Cuba) ainsi que par la campagne de divulgation par WikiLeaks de documents gouvernementaux sensibles et dommageables. Durant cette campagne, Trump n’a pas saisi l’opportunité d’établir une vision crédible pour une réforme radicale ou même une révolution. En effet, il a été heureux de soutenir simultanément l’état de surveillance NSA et Wikileaks — et sans ironie !
Trump n’a pas encore articulé une vision cohérente d’un monde coopératif et multipolaire, ce qui implique d’inviter les citoyens ordinaires à exiger un changement radical du concept de sécurité nationale d’une part et de la place des États-Unis dans le monde d’autre part. Si elle ne conteste pas le NSC, l’insurrection de Trump se révèlera comme une simple distraction à la tâche urgente de trouver une voie de sortie hors du labyrinthe de l’Empire. Dans sa naïveté, la « révolution » de Trump ne servirait qu’à consolider l’impunité incontestée de l’État de la Sécurité nationale.
Si Trump est sérieux, il fera une critique cohérente de la Sécurité nationale US et de la catastrophe constitutionnelle que représente la Loi sur la Sécurité nationale. Si Trump est sérieux, il bravera la Loi sur la sécurité nationale.
Source originale: Counterpunch
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