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17 septembre 2015
Quel impact pourrait avoir le rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis ? Obama a-t-il renoncé au désir historique de l'impérialisme US de renverser le gouvernement cubain ou s'agit-il d'un simple changement de tactique ? La normalisation de ces relations pourrait-elle affecter le modèle révolutionnaire cubain ? Spécialiste de Cuba et auteur du récent ouvrage "Cuba : parole à la défense !", Salim Lamrani répond à nos questions.
Dans votre nouveau livre à paraître ce mois-ci (septembre 2015) intitulé "Cuba : parole à la défense", vous interrogez dix personnalités de renom proche de Cuba tel que Eusebio Leal ou encore Alfredo Guevara. Après l’annonce du rétablissement des relations diplomatiques et commerciales entre Cuba et les Etats-Unis, quelle est l’opinion générale quant à l’avenir de la Révolution Cubaine, de ses institutions, de son modèle social et des réformes économiques annoncées ? Doit-on craindre désormais une forme d’impérialisme économique et culturel des Etats-Unis à l’égard de Cuba ?
Cuba a toujours déclaré être disposée à normaliser ses relations avec les Etats-Unis à condition que celles-ci se basent sur trois principes fondamentaux : l’égalité souveraine, la réciprocité et la non-ingérence dans les affaires internes. Il convient de rappeler que dans le conflit entre La Havane et Washington, l’hostilité est unilatérale. Ce sont les Etats-Unis qui imposent des sanctions économiques obsolètes, cruelles et inefficaces et qui martyrisent le peuple cubain depuis 1960. Ce sont les Etats-Unis qui ont envahi militairement Cuba en avril 1961. Ce sont les Etats-Unis qui ont menacé Cuba de désintégration nucléaire en octobre 1962. Ce sont les Etats-Unis qui financent une opposition interne à Cuba pour obtenir un changement de régime. Ce sont les Etats-Unis qui émettent des programmes de radio et de télévision illégaux et subversifs à destination de Cuba dans le but de déstabiliser la société. Enfin, ce sont les Etats-Unis qui mènent une guerre politique, diplomatique et médiatique contre Cuba.
Cuba, de son côté, n’a jamais agressé les Etats-Unis de son histoire. Au contraire, dès 1959, Fidel Castro avait fait part de sa volonté à entretenir des relations cordiales et apaisées avec Washington. En guise de réponse, les Etats-Unis ont appliqué à l’égard de Cuba une politique de brutalité inouïe.
La décision prise par le Président Barack Obama de rétablir les liens diplomatiques avec Cuba, avec l’ouverture d’ambassades à Washington et La Havane, constitue un pas positif dans le processus de normalisation des relations avec Cuba. La question est de savoir s’il s’agit là d’un changement stratégique, c’est-à-dire si Washington a décidé de renoncer à son objectif de détruire la Révolution cubaine et d’accepter enfin la réalité une Cuba souveraine et indépendante, ou bien d’un simple changement tactique, c’est-à-dire le remplacement d’une politique basée sur la violence, la menace et le chantage par une approche plus douce basée sur le dialogue et la séduction, mais avec toujours le même objectif de faire de Cuba une nation satellite. Ma conviction profonde est qu’il s’agit d’un simple ajustement tactique car les Etats-Unis sont dans l’incapacité psychologique d’accepter la réalité d’une Cuba libre et émancipée de la tutelle étasunienne. Mais les Cubains sont lucides et préparés comme le montrent les conversations de Cuba, parole à la défense !
Ernesto Guevara a un jour annoncé "Toute notre action est un cri de guerre contre l’impérialisme et un appel vibrant à l’unité des peuples contre le grand ennemi du genre humain : les Etats-Unis". Que signifie cette phrase aujourd’hui en 2015 alors que Washington et La Havane viennent de rouvrir leurs ambassades respectives ?
Le Président Raúl Castro a été très clair à ce sujet. Le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis ne signifie pas le renoncement de Cuba à son projet de société ou à sa politique étrangère internationaliste et solidaire vis-à-vis des peuples du Tiers-monde et des déshérités de la planète. La politique intérieure et la politique étrangère de Cuba sont des compétences exclusives du peuple cubain et ne sont pas négociables. Cuba ne négocie ni sa liberté, ni son indépendance, ni sa souveraineté. Cuba continuera à soutenir toutes les causes justes qui revendiquent l’émancipation du genre humain et tendra une main généreuse et fraternelle aux écrasés, aux révoqués et aux humiliés, avec pour objectif d’atteindre la « pleine dignité de l’être humain », pour reprendre une expression du Héros national José Martí. Cuba, fidèle aux idéaux du Che Guevara, continuera à « trembler d’indignation » chaque fois qu’une injustice sera commise à travers le monde. Le peuple cubain est par essence anti-impérialiste. Cela fait partie de son idiosyncrasie. Néanmoins, il n’est pas anti-américain. Au contraire, il a une sympathie naturelle pour le peuple des Etats-Unis.
Malgré les signes d’ouverture à l’œuvre à la Maison Blanche sur le sujet cubain, de nombreuses questions épineuses restent en suspens notamment celle de l’embargo économique et de Guantanamo. Que peut-on attendre du rétablissement des relations entre les deux pays sur ces sujets qui cristallisent encore de fortes tensions ?
Il est en effet indispensable de lever les sanctions économiques imposées aux Cubains depuis 1960 car elles constituent à la fois le principal obstacle au développement du pays mais également à la pleine normalisation des relations bilatérales. Ce sujet est également abordé dans le livre. Le blocus affecte toutes les catégories de la population cubaine, à commencer par les plus vulnérables, les femmes, les enfants et les personnes âgées. Il a également un impact dans tous les secteurs. Loin de constituer une simple question bilatérale, cet état de siège est condamné par l’ensemble de la communauté internationale qui l’a condamné en octobre 2014, pour la 23ème année consécutive avec une majorité écrasante de 188 pays contre 2 (Etats-Unis et Israël). Dans mon ouvrage précédent, Etat de siège, je rappelle le caractère extraterritorial des sanctions, car celles-ci s’appliquent à tous les pays du monde. Ainsi, l’entreprise allemande Mercedes ne peut pas exporter ses voitures vers les Etats-Unis si elles contiennent un seul gramme de nickel cubain. De son côté, La Havane ne peut importer aucun produit sur le marché international qui contiendrait plus de 10% de composants étasuniens. Cuba ne peut pas renouveler sa flotte aéronautique à l’heure où le tourisme se développe de façon exponentielle en acquérant des avions auprès du fabriquant européen Airbus car ils contiennent tous plus de 10% de composants étasuniens.
Le Président Barack Obama a lancé un appel au Congrès afin qu’il lève les sanctions économiques. C’est un pas positif. Néanmoins, la marge de manœuvre de la Maison-Blanche est grande car seuls quelques aspects des sanctions nécessitent l’accord du Congrès. Obama dispose de toutes les prérogatives présidentielles nécessaires pour montrer par des actes forts sa volonté de pacifier les relations avec Cuba. Ainsi, à titre d’exemple, La Maison-Blanche pourrait parfaitement élargir le nombre de catégories des citoyens étasuniens autorisés à se rendre à Cuba, légaliser le commerce bilatéral entre les entreprises des deux pays, permettre à Cuba d’acquérir sur le marché international des produits contenant plus de 10% de composants étasuniens, autoriser l’importation de produits fabriqués dans le monde à partir de matières premières cubaines, consentir à la vente à crédit de produits non alimentaires à Cuba, et accepter que l’île de la Caraïbe utilise le dollar dans ses transactions commerciales et financières avec le reste du monde. Aucune autorisation du Congrès n’est nécessaire pour cela.
Guantanamo, que les Etats-Unis occupent illégalement depuis 1902, constitue également un point de friction. En effet, suite à l’intervention étasunienne de 1898 dans la guerre d’indépendance cubaine, Washington avait imposé l’intégration de l’amendement Platt à la nouvelle Constitution, sous peine de maintenir indéfiniment l’occupation militaire de l’île. Cet appendice législatif, qui faisait de Cuba un protectorat sans véritable souveraineté, stipulait, entre autres, que Cuba devait louer aux Etats-Unis une partie de son territoire pour une durée de 99 ans renouvelables indéfiniment… à partir du moment où l’un des deux camps y était favorable. Suite à l’abrogation de l’amendement Platt en 1934, la base navale de Guantanamo a été maintenue pour la modique somme de 4 000 dollars par an. Depuis le 1er janvier 1959, le gouvernement cubain refuse de percevoir la rétribution annuelle et exige la dévolution du territoire. A ce jour, Washington refuse toute idée de retrait de Guantanamo.
Vous qui connaissez bien la société cubaine, que pouvez-vous nous dire sur le ressentiment du peuple cubain à l’égard de ces nombreux changements qui s’annoncent ? Certains craignent-ils de voir les nombreuses conquêtes de la révolution telles que l’éducation, la santé, la culture être remis en cause par les réformes à venir ?
Les Cubains n’ont aucune inquiétude au sujet de l’actualisation du modèle économique car ils en sont les auteurs. Comme l’illustrent les conversations de ce livre, cette réforme économique est le fruit d’une large consultation populaire. Il faut savoir que Cuba est une démocratie participative. Au total, près de 9 millions de Cubains ont assisté à l’une des 163 000 réunions organisées pour débattre du projet avec un total de 3 millions d’interventions. Le document original comprenait 291 points, desquels 16 ont été intégrés à d’autres, 94 ont été maintenus intacts, 181 ont été modifiés et 36 ajoutés pour un total comprenant au final 311 points. Le projet de départ a ainsi été modifié à 68% par les citoyens et a été adopté le 18 avril 2011 lors de la tenue du VIIème Congrès du Parti communiste cubain par les mille délégués représentant les 800 000 militants. Il a ensuite été soumis au Parlement cubain, qui l’a approuvé en session plénière le 1er août 2011. Comme le rappelle Ricardo Alarcon, Président du Parlement cubain de 1993 à 2013, interviewé dans le livre, « je ne suis pas sûr que les gouvernements qui ont appliqué des mesures d’austérité drastiques, qui ont réduit les budgets de la santé et de l’éducation, qui ont augmenté l’âge de départ à la retraite, en raison de la crise systémique néolibérale qui touche de nombreuses nations aient demandé l’avis des citoyens sur les changements profonds qui affectent désormais leur quotidien ».
Les conquêtes de la Révolution sont sacrées pour les Cubains. L’actualisation du modèle économique ne remet nullement en cause l’accès universel et gratuit à l’éducation, à la santé, à la culture, à la protection sociale ou à la retraite.
Depuis plus de quinze ans et l’arrivée au pouvoir de gouvernements progressistes en Amérique latine, les Etats-Unis ont perdu beaucoup d’influence et se retrouvent aujourd’hui isolés dans le sous-continent notamment à cause du blocus économique criminel contre l’île caribéenne. Ce rétablissement des relations entre les Etats-Unis et Cuba est-il un moyen pour Washington de redorer son blason en Amérique du Sud ? Quel impact cette nouvelle politique envers Cuba entraînera-elle dans le processus d’intégration latino-américain dont Cuba a toujours été à l’avant-garde comme avec l’ALBA ?
Il est indéniable que Washington est isolé en Amérique. Du Canada à l’Argentine, le seul pays à ne pas disposer de relations diplomatiques, consulaires et commerciales normales avec Cuba sont les Etats-Unis. Même les plus fidèles alliés tels que la Colombie ou le Honduras s’opposent aux sanctions économiques. La Maison-Blanche se trouvait dans l’obligation politique de modifier sa politique hostile avec Cuba, car elle nuisait à ses propres intérêts.
Je ne crois pas que le processus de normalisation des relations entre Washington et La Havane affectera l’intégration latino-américaine pour au moins trois raisons. D’abord, l’intégration continentale va dans le sens de l’histoire et l’Amérique latine vit un changement d’époque. Ensuite, la politique étrangère de Cuba n’est pas négociable. Enfin, Cuba n’abandonne jamais ses amis fidèles.
Comme sur beaucoup de thèmes de politique internationale, l’Union Européenne a très souvent suivi les positions du département d’Etat des Etats-Unis et notamment sur la question cubaine. Après l’annonce du dégel entre la Havane et Washington, de nombreux responsables européens dont le président François Hollande se sont empressés de se rendre sur l’île pour montrer des signes d’amitiés avec le gouvernement cubain. Maintenant que les Etats-Unis ont changé de cap quant à leur politique envers Cuba, doit-on attendre la même chose de l’Europe ? Quelle sera selon vous la nouvelle diplomatie de l’UE envers le gouvernement cubain ?
Il est vrai que la politique étrangère de l’Union européenne est subordonnée à celle des Etats-Unis et cela est profondément regrettable. L’Europe est une puissance économique mais un nain politique et diplomatique, incapable d’adopter une politique constructive, rationnelle et indépendante vis-à-vis de Cuba. Certains pays tels que l’Espagne et la France ont remis en cause cet alignement et ont demandé au reste de l’Europe d’adopter une nouvelle approche et de mettre un terme à la Position commune en vigueur contre Cuba depuis 1996 qui constitue le principal obstacle à la normalisation des relations entre les deux entités. Cuba est à la fois la porte d’entrée de l’Amérique latine et le référant moral du continent qui a su traduire les aspirations des peuples du Sud à la souveraineté et à l’indépendance.
Dans un de vos ouvrages intitulés "Cuba : ce que les médias ne vous diront jamais", vous critiquiez le traitement médiatique mensonger, idéologiquement engagé, partial fait par les médias dominants à l’égard de Cuba. D’autres pays de la région notamment le Mexique, le Paraguay ou encore la Colombie où les droits de l’homme, la démocratie et les libertés sont systématiquement bafoués bénéficient, eux d’un silence médiatique que l’on pourrait qualifier de honteux ; Comment expliquez-vous cette acharnement médiatique à géométrie variable ? La situation des droits de l’homme, de la démocratie, des libertés individuelles concernant Cuba est-elle aussi catastrophique comme aime à nous le décrire les médias dominants ?
Les médias dominants, soumis aux puissances d’argent et chiens de garde de l’ordre établi, n’ont que faire des droits humains et de la démocratie. Si c’était le cas, Cuba serait considérée, à juste titre, comme la référence du Tiers-monde d’une société aux ressources limitées mais capable de défendre les mêmes droits pour tous et de protéger les plus faibles. Ce que l’on ne pardonne pas à la Révolution cubaine est d’avoir remis en cause l’idéologie dominante, d’avoir rejeté l’accumulation au profit du partage, d’avoir choisi la solidarité au lieu de l’égoïsme, d’avoir préconisé le collectif au détriment de l’individualisme et surtout d’avoir placé place l’humain au centre de son projet de société en procédant à une répartition équitable des richesses. C’est pour cela que les médias refusent de donner la parole à la défense !
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