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18 novembre 2015
Le 21 novembre 1995, un accord conclu sur la base étatsunienne de Dayton (Ohio) mettait fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Vingt ans plus tard, si le pays a quasiment disparu des écrans des téléviseurs, il continue à vivoter dans le moule de l’accord, officiellement signé le 14 décembre à Paris.
Dessin par Chapatte
Une des particularités de l’accord de Dayton est qu’il n’a pas été signé par les trois factions qui se sont âprement combattues pendant trois années et demie. Si le président internationalement reconnu du pays, le Bosniaque Alija Izetbegovic, l’a bien signé au nom de sa communauté, les factions serbe et croate bosniennes (1) ont été représentées par les présidents de deux pays voisins, certes impliqués dans le conflit, le Serbe Slobodan Miloševic et le Croate Franjo Tudjman.
Tous les trois sont morts au cours des années suivantes, mais seul Miloševic a été inquiété de son vivant par le Tribunal pénal international (TPI) mis en place par l’ONU pour juger les criminels de guerre d’ex-Yougoslavie : renversé en 2000, extradé l’année suivante, il est mort en détention en 2006. Par contre, il fallut attendre leur décès, respectivement en 1999 et 2003, pour que le même tribunal annonce que Tudjman et Izetbegovic étaient sur le point d’être inculpés. Parmi les autres invités de marque du TPI figurent Radovan Karadžić et Ratko Mladi, anciens chefs politique et militaire des Serbes bosniens, actuellement en jugement, après des années de cavale.
L’accord de Dayton a transformé la Bosnie-Herzégovine, république centrale de l’ex-Yougoslavie, en une sorte de confédération de deux entités (2) : une « fédération » croato-musulmane et une « république » serbe (Republika Srpska, RS), largement autonomes. Parmi les compétences laissées à l’autorité centrale, basée à Sarajevo, figurent notamment la politique étrangère et une armée nationale formée, après un solide dégraissage, à partir des trois armées qui s’étaient combattues pendant la guerre.
Un conseil des ministres et une présidence collégiale – obligatoirement formée d’un Bosniaque, d’un Serbe et d’un Croate – complètent les attributs de la souveraineté bosnienne. Mais une grande partie des compétences revient aux deux entités, dont la coopération demeure minimale et empreinte d’une profonde méfiance. Le problème se complique encore avec la « fédération », elle-même divisée en dix « cantons », attribués soit aux Bosniaques, soit aux Croates.
En outre, un « Haut Représentant international », prévu par Dayton, peut imposer des lois et démettre des responsables élus, ce qu’il fit abondamment jusqu’il y a une dizaine d’années, allant jusqu’à destituer un président de la RS. Enfin, une force armée de l’Union européenne, EUFOR Althea, assure une présence militaire internationale dans le pays. Actuellement forte de 600 hommes, elle a une fonction essentiellement symbolique, loin des 55.000 soldats de l’OTAN déployés immédiatement après la guerre.
Malgré les milliards d’aide internationale déversés surtout dans l’immédiat après-guerre, l’économie bosnienne n’a jamais décollé. Par exemple, l’usine VW de Sarajevo, qui employait des milliers de travailleurs avant la guerre, a repris quelques activités en 1998, mais a définitivement fermé ses portes dix ans plus tard.
Ceci est essentiellement dû à une transition manquée entre le socialisme autogestionnaire yougoslave d’avant-guerre et le modèle capitaliste imposé par la communauté internationale. En outre, l’économie bosnienne était profondément intégrée à celle de la Yougoslavie, que ce soit au niveau de la production ou des débouchés, ce qui n’est que très partiellement le cas aujourd’hui, bien que la Croatie et la Serbie demeurent deux des principaux partenaires commerciaux du pays.
Ceci explique les catastrophiques indicateurs socio-économiques du pays : troisième pays d’Europe ayant le plus mauvais index du développement humain du PNUD, surpassé uniquement par la Moldavie et l’Albanie (3) ; taux de chômage dépassant les 43 % de la population active, soit le troisième plus important, mais au niveau mondial cette fois, uniquement dépassé par Djibouti et la RD Congo (4). Dans ce contexte, de nombreux Bosniens ne survivent qu’en ayant recours aux petits jobs de l’économie grise ou grâce aux sommes envoyées par les centaines de milliers d’entre eux établis en Europe occidentale et en Amérique du Nord depuis la guerre. Cet exode n’a nullement cessé, affectant maintenant surtout les jeunes diplômés.
Par ailleurs, les problèmes structurels et institutionnels de la Bosnie, résultant directement de l’architecture mise en place à Dayton, minent le développement du pays. D’une part, alors qu’elle était souvent considérée, par son caractère multiethnique, comme une « mini-Yougoslavie », on peut se demander s’il était logique que les grandes puissances insistent pour maintenir la Bosnie-Herzégovine en tant qu’Etat unifié, alors qu’elles ont toléré, voire activement soutenu (5), le démantèlement de la « grande » Yougoslavie. Et ce d’autant plus que cette république a connu la guerre la plus sanglante d’ex-Yougoslavie (6) et, peut-être, d’Europe depuis la Deuxième guerre mondiale (7).
D’autre part, le fonctionnement de l’Etat central est handicapé à la fois par la limitation de ses prérogatives au profit des deux entités et par un système hautement bureaucratique de prise de décision, dépendant du bon vouloir des principaux partis de chaque communauté.
Or, chaque communauté continue de défendre ses intérêts propres. Pour simplifier, sur le plan institutionnel, les Bosniaques souhaitent amender Dayton pour permettre davantage de centralisation et faire jouer leur majorité numérique, tandis que les Serbes, au contraire, insistent pour un respect littéral de l’accord et le maintien de l’autonomie de leur entité.
Enfin, les Croates sont profondément mécontents d’être réduits à un rôle minoritaire au sein d’une « fédération » de plus en plus musulmane et voient avec angoisse leur nombre se réduire d’année en année. Leur alliance avec les Bosniaques et leur incorporation dans la « fédération » ont été imposées, par l’Accord de Washington de 1994, par les Etats-Unis qui souhaitaient mettre un terme aux combats entre les deux communautés et les unir contre les forces serbes. Après la guerre, une grande partie de la population croate, surtout de Bosnie centrale, a émigré vers la Croatie voisine. Aussi, nombreux sont les Croates de Bosnie à ne voir de salut qu’en la création d’une troisième entité, ayant les mêmes pouvoirs que l’entité serbe. Si les Bosniaques ne veulent pas entendre parler d’une telle option, il en va de même avec Zagreb qui, jusqu’à présent, est toujours restée fidèle aux principes des accords de Dayton et de Washington.
Une situation similaire prévaut dans les relations entre Belgrade et la RS. Face aux rodomontades autonomistes, voire sécessionnistes, de Milorad Dodik, président de l’entité depuis 2010, la Serbie lui a toujours rappelé que, en signant Dayton, Miloševic s’était porté garant de l’intégrité territoriale de la Bosnie, ce qui n’empêche pas le développement de « relations spéciales », essentiellement culturelles et économiques, entre Belgrade et la RS.
Sonnant comme un rappel à l’ordre aux oreilles de Dodik, une session commune des gouvernements serbe et bosnien s’est tenue, début novembre, à Sarajevo. Par ailleurs, tout soutien aux visées autonomistes de Dodik et, a fortiori, toute idée de rattachement de la RS à la Serbie affaibliraient la position de Belgrade de respect absolu de l’intégrité territoriale des Etats, fondement légal de son refus de reconnaître l’indépendance autoproclamée du Kosovo. Ainsi, malgré des relations étroites avec Moscou, la Serbie n’a pas reconnu le rattachement de la Crimée par la Russie et soutient l’intégrité territoriale ukrainienne.
Une des particularités de l’accord de Dayton est qu’il n’a pas été signé par les trois factions qui se sont âprement combattues pendant trois années et demie. Si le président internationalement reconnu du pays, le Bosniaque Alija Izetbegovic, l’a bien signé au nom de sa communauté, les factions serbe et croate bosniennes (1) ont été représentées par les présidents de deux pays voisins, certes impliqués dans le conflit, le Serbe Slobodan Miloševic et le Croate Franjo Tudjman.
Tous les trois sont morts au cours des années suivantes, mais seul Miloševic a été inquiété de son vivant par le Tribunal pénal international (TPI) mis en place par l’ONU pour juger les criminels de guerre d’ex-Yougoslavie : renversé en 2000, extradé l’année suivante, il est mort en détention en 2006. Par contre, il fallut attendre leur décès, respectivement en 1999 et 2003, pour que le même tribunal annonce que Tudjman et Izetbegovic étaient sur le point d’être inculpés. Parmi les autres invités de marque du TPI figurent Radovan Karadžić et Ratko Mladi, anciens chefs politique et militaire des Serbes bosniens, actuellement en jugement, après des années de cavale.
L’accord de Dayton a transformé la Bosnie-Herzégovine, république centrale de l’ex-Yougoslavie, en une sorte de confédération de deux entités (2) : une « fédération » croato-musulmane et une « république » serbe (Republika Srpska, RS), largement autonomes. Parmi les compétences laissées à l’autorité centrale, basée à Sarajevo, figurent notamment la politique étrangère et une armée nationale formée, après un solide dégraissage, à partir des trois armées qui s’étaient combattues pendant la guerre.
Un conseil des ministres et une présidence collégiale – obligatoirement formée d’un Bosniaque, d’un Serbe et d’un Croate – complètent les attributs de la souveraineté bosnienne. Mais une grande partie des compétences revient aux deux entités, dont la coopération demeure minimale et empreinte d’une profonde méfiance. Le problème se complique encore avec la « fédération », elle-même divisée en dix « cantons », attribués soit aux Bosniaques, soit aux Croates.
En outre, un « Haut Représentant international », prévu par Dayton, peut imposer des lois et démettre des responsables élus, ce qu’il fit abondamment jusqu’il y a une dizaine d’années, allant jusqu’à destituer un président de la RS. Enfin, une force armée de l’Union européenne, EUFOR Althea, assure une présence militaire internationale dans le pays. Actuellement forte de 600 hommes, elle a une fonction essentiellement symbolique, loin des 55.000 soldats de l’OTAN déployés immédiatement après la guerre.
Malgré les milliards d’aide internationale déversés surtout dans l’immédiat après-guerre, l’économie bosnienne n’a jamais décollé. Par exemple, l’usine VW de Sarajevo, qui employait des milliers de travailleurs avant la guerre, a repris quelques activités en 1998, mais a définitivement fermé ses portes dix ans plus tard.
Ceci est essentiellement dû à une transition manquée entre le socialisme autogestionnaire yougoslave d’avant-guerre et le modèle capitaliste imposé par la communauté internationale. En outre, l’économie bosnienne était profondément intégrée à celle de la Yougoslavie, que ce soit au niveau de la production ou des débouchés, ce qui n’est que très partiellement le cas aujourd’hui, bien que la Croatie et la Serbie demeurent deux des principaux partenaires commerciaux du pays.
Ceci explique les catastrophiques indicateurs socio-économiques du pays : troisième pays d’Europe ayant le plus mauvais index du développement humain du PNUD, surpassé uniquement par la Moldavie et l’Albanie (3) ; taux de chômage dépassant les 43 % de la population active, soit le troisième plus important, mais au niveau mondial cette fois, uniquement dépassé par Djibouti et la RD Congo (4). Dans ce contexte, de nombreux Bosniens ne survivent qu’en ayant recours aux petits jobs de l’économie grise ou grâce aux sommes envoyées par les centaines de milliers d’entre eux établis en Europe occidentale et en Amérique du Nord depuis la guerre. Cet exode n’a nullement cessé, affectant maintenant surtout les jeunes diplômés.
Par ailleurs, les problèmes structurels et institutionnels de la Bosnie, résultant directement de l’architecture mise en place à Dayton, minent le développement du pays. D’une part, alors qu’elle était souvent considérée, par son caractère multiethnique, comme une « mini-Yougoslavie », on peut se demander s’il était logique que les grandes puissances insistent pour maintenir la Bosnie-Herzégovine en tant qu’Etat unifié, alors qu’elles ont toléré, voire activement soutenu (5), le démantèlement de la « grande » Yougoslavie. Et ce d’autant plus que cette république a connu la guerre la plus sanglante d’ex-Yougoslavie (6) et, peut-être, d’Europe depuis la Deuxième guerre mondiale (7).
D’autre part, le fonctionnement de l’Etat central est handicapé à la fois par la limitation de ses prérogatives au profit des deux entités et par un système hautement bureaucratique de prise de décision, dépendant du bon vouloir des principaux partis de chaque communauté.
Or, chaque communauté continue de défendre ses intérêts propres. Pour simplifier, sur le plan institutionnel, les Bosniaques souhaitent amender Dayton pour permettre davantage de centralisation et faire jouer leur majorité numérique, tandis que les Serbes, au contraire, insistent pour un respect littéral de l’accord et le maintien de l’autonomie de leur entité.
Enfin, les Croates sont profondément mécontents d’être réduits à un rôle minoritaire au sein d’une « fédération » de plus en plus musulmane et voient avec angoisse leur nombre se réduire d’année en année. Leur alliance avec les Bosniaques et leur incorporation dans la « fédération » ont été imposées, par l’Accord de Washington de 1994, par les Etats-Unis qui souhaitaient mettre un terme aux combats entre les deux communautés et les unir contre les forces serbes. Après la guerre, une grande partie de la population croate, surtout de Bosnie centrale, a émigré vers la Croatie voisine. Aussi, nombreux sont les Croates de Bosnie à ne voir de salut qu’en la création d’une troisième entité, ayant les mêmes pouvoirs que l’entité serbe. Si les Bosniaques ne veulent pas entendre parler d’une telle option, il en va de même avec Zagreb qui, jusqu’à présent, est toujours restée fidèle aux principes des accords de Dayton et de Washington.
Une situation similaire prévaut dans les relations entre Belgrade et la RS. Face aux rodomontades autonomistes, voire sécessionnistes, de Milorad Dodik, président de l’entité depuis 2010, la Serbie lui a toujours rappelé que, en signant Dayton, Miloševic s’était porté garant de l’intégrité territoriale de la Bosnie, ce qui n’empêche pas le développement de « relations spéciales », essentiellement culturelles et économiques, entre Belgrade et la RS.
Sonnant comme un rappel à l’ordre aux oreilles de Dodik, une session commune des gouvernements serbe et bosnien s’est tenue, début novembre, à Sarajevo. Par ailleurs, tout soutien aux visées autonomistes de Dodik et, a fortiori, toute idée de rattachement de la RS à la Serbie affaibliraient la position de Belgrade de respect absolu de l’intégrité territoriale des Etats, fondement légal de son refus de reconnaître l’indépendance autoproclamée du Kosovo. Ainsi, malgré des relations étroites avec Moscou, la Serbie n’a pas reconnu le rattachement de la Crimée par la Russie et soutient l’intégrité territoriale ukrainienne.
Un référendum prélude à une nouvelle guerre ?
Ceci n’a pas empêché la RS de maintenir son projet de référendum remettant en cause à la fois le rôle de la communauté internationale (8) et de la justice bosnienne. Prévu le 15 novembre avant son report de dernière minute, le scrutin devait permettre aux citoyens de l’entité de dire s’ils soutiennent « les lois anticonstitutionnelles et non-autorisées imposées par le Haut Représentant de la communauté internationale, particulièrement les lois imposées relatives à la cour et au bureau du procureur de Bosnie-Herzégovine ».
Si la manière dont la question est formulée est bien entendu biaisée, cette dernière reflète une profonde insatisfaction de la population serbe, qui estime que les affaires de crimes de guerre traitées par la justice « nationale » bosnienne trainent en longueur ou sont trop facilement classées quand les victimes sont serbes. On ignore si la « suggestion » du Premier ministre de Serbie, Aleksandar Vučić, de « reconsidérer » le référendum est à l’origine de son report.
Logiquement, la communauté bosniaque de RS, actuellement environ 10 % de la population l’entité, a appelé au boycott du référendum. Cependant, si elle ravive les tensions interethniques, on aurait tort de dramatiser à outrance cette initiative. Certains observateurs internationaux, tel James Lyon, ancien directeur du Crisis Group et collaborateur du « Haut représentant », vont jusqu’à prétendre qu’elle serait le prélude à une nouvelle guerre (9). S’il est vrai que l’étincelle de la dernière guerre a été effectivement un référendum, exigé par la Communauté européenne et portant sur l’indépendance de cette république alors yougoslave, le contexte a profondément changé depuis 1992.
D’une part, depuis la fin de la guerre, le nombre d’incidents interethniques a été extrêmement faible, en contraste flagrant avec le Kosovo où ils sont encore quasi-quotidiens. Malgré une forte dissémination d’armes à feu dans la population, inévitable après une guerre civile d’autant plus que la « défense populaire » yougoslave se basait notamment sur l’armement des civils, le taux d’homicides est dans la moyenne de l’UE, d’environ 1,5 par 100.000 habitants. Et Sarajevo est une ville bien plus sûre que Dublin, Luxembourg ou Bruxelles.
D’autre part, comme l’a déclaré Vučić lors de la réunion intergouvernementale serbo-bosnienne mentionnée plus haut, les pays de la région « en ont marre des guerres ». Si des manifestations parfois violentes ont eu lieu au début 2014 en Bosnie, en particulier dans les plus grandes villes de la « fédération » croato-bosniaque, les revendications des manifestants ne portaient nullement sur des thèmes nationalistes, mais sur des sujets purement socio-économiques : chômage, fermeture d’usines, pensions misérables, corruption des élites dirigeantes…
Bref, les Bosniens de toutes origines ont d’autres problèmes en tête que l’hypothétique référendum de RS, destiné avant tout à redorer le blason terni de Dodik par des affaires de corruption et la triste situation économique de son entité. Celle-ci est cependant plus stable que son vis-à-vis croato-bosniaque, où le gouvernement laborieusement formé le 31 mars 2015, après six mois de négociations, n’a tenu qu’un peu plus de deux mois, un des partenaires de la coalition s’en étant retiré après que les deux principaux partis aient décidé d’accroître le contrôle gouvernemental sur les directions des entreprises publiques.
La « fédération » fonctionne depuis sans gouvernement, à l’exception de la dizaine de pouvoirs locaux administrant chaque canton. S’il est clair que le chaos politique qui s’installe dans cette entité est autrement plus inquiétant que le référendum qui doit être tenu dans la RS, on peut s’interroger sur l’irresponsabilité des hommes politiques bosniens dans la gestion de la chose publique.
En effet, de plus en plus nombreux sont ceux à pointer l’institution du Haut Représentant et la persistante mise sous tutelle du pays par la communauté internationale comme une des causes principales du comportement poujadiste et inconsistant de la classe politique bosnienne, ce qui s’accompagne d’une désaffection de plus en plus grande des électeurs lors des scrutins (10).
Même si le Haut Représentant actuel, l’Autrichien Valentin Inzko, interfère moins dans les affaires du pays – il n’a, par exemple, pas interdit le référendum –, l’existence-même de son poste apparaît surannée, anachronique et totalement contre-productive. L’écart, en termes de développement économique et de maturité politique, entre la Bosnie et ses voisins serbe et croate ne cesse de se creuser.
Seul le Kosovo – également placé sous une forme de tutelle internationale – connaît des problèmes similaires, voire plus graves à maints égards. Hors d’Europe, on ne peut qu’être frappé par le fait que tous les pays, de l’Afghanistan à la Libye, ayant également connu une intervention armée occidentale – bombardements, occupation militaire – suivie de l’instauration d’une administration internationale ne parviennent pas à décoller économiquement, sont toujours affectés par une profonde corruption et des conflits de différents ordres et, souvent, plongent dans un chaos bien pire que ce qu’ils connaissaient avant que les Etats-Unis et leurs alliés ne leur fassent des promesses d’avenir radieux.
Le meilleur service à rendre aux Bosniens serait sans doute de les mettre devant leurs responsabilités en les débarrassant du Haut Représentant et de sa cohorte de fonctionnaires. S’il est une réforme à apporter à Dayton, c’est bien de supprimer son annexe 10 instaurant cette institution. Contrairement aux propositions visant à centraliser davantage le pays, celle-ci est la seule qui pourrait faire l’unanimité au sein de la population et de la classe politique bosniennes. Et permettre l’émergence d’un Etat digne de ce nom.
Notes :
Si la manière dont la question est formulée est bien entendu biaisée, cette dernière reflète une profonde insatisfaction de la population serbe, qui estime que les affaires de crimes de guerre traitées par la justice « nationale » bosnienne trainent en longueur ou sont trop facilement classées quand les victimes sont serbes. On ignore si la « suggestion » du Premier ministre de Serbie, Aleksandar Vučić, de « reconsidérer » le référendum est à l’origine de son report.
Logiquement, la communauté bosniaque de RS, actuellement environ 10 % de la population l’entité, a appelé au boycott du référendum. Cependant, si elle ravive les tensions interethniques, on aurait tort de dramatiser à outrance cette initiative. Certains observateurs internationaux, tel James Lyon, ancien directeur du Crisis Group et collaborateur du « Haut représentant », vont jusqu’à prétendre qu’elle serait le prélude à une nouvelle guerre (9). S’il est vrai que l’étincelle de la dernière guerre a été effectivement un référendum, exigé par la Communauté européenne et portant sur l’indépendance de cette république alors yougoslave, le contexte a profondément changé depuis 1992.
D’une part, depuis la fin de la guerre, le nombre d’incidents interethniques a été extrêmement faible, en contraste flagrant avec le Kosovo où ils sont encore quasi-quotidiens. Malgré une forte dissémination d’armes à feu dans la population, inévitable après une guerre civile d’autant plus que la « défense populaire » yougoslave se basait notamment sur l’armement des civils, le taux d’homicides est dans la moyenne de l’UE, d’environ 1,5 par 100.000 habitants. Et Sarajevo est une ville bien plus sûre que Dublin, Luxembourg ou Bruxelles.
D’autre part, comme l’a déclaré Vučić lors de la réunion intergouvernementale serbo-bosnienne mentionnée plus haut, les pays de la région « en ont marre des guerres ». Si des manifestations parfois violentes ont eu lieu au début 2014 en Bosnie, en particulier dans les plus grandes villes de la « fédération » croato-bosniaque, les revendications des manifestants ne portaient nullement sur des thèmes nationalistes, mais sur des sujets purement socio-économiques : chômage, fermeture d’usines, pensions misérables, corruption des élites dirigeantes…
Bref, les Bosniens de toutes origines ont d’autres problèmes en tête que l’hypothétique référendum de RS, destiné avant tout à redorer le blason terni de Dodik par des affaires de corruption et la triste situation économique de son entité. Celle-ci est cependant plus stable que son vis-à-vis croato-bosniaque, où le gouvernement laborieusement formé le 31 mars 2015, après six mois de négociations, n’a tenu qu’un peu plus de deux mois, un des partenaires de la coalition s’en étant retiré après que les deux principaux partis aient décidé d’accroître le contrôle gouvernemental sur les directions des entreprises publiques.
La « fédération » fonctionne depuis sans gouvernement, à l’exception de la dizaine de pouvoirs locaux administrant chaque canton. S’il est clair que le chaos politique qui s’installe dans cette entité est autrement plus inquiétant que le référendum qui doit être tenu dans la RS, on peut s’interroger sur l’irresponsabilité des hommes politiques bosniens dans la gestion de la chose publique.
En effet, de plus en plus nombreux sont ceux à pointer l’institution du Haut Représentant et la persistante mise sous tutelle du pays par la communauté internationale comme une des causes principales du comportement poujadiste et inconsistant de la classe politique bosnienne, ce qui s’accompagne d’une désaffection de plus en plus grande des électeurs lors des scrutins (10).
Même si le Haut Représentant actuel, l’Autrichien Valentin Inzko, interfère moins dans les affaires du pays – il n’a, par exemple, pas interdit le référendum –, l’existence-même de son poste apparaît surannée, anachronique et totalement contre-productive. L’écart, en termes de développement économique et de maturité politique, entre la Bosnie et ses voisins serbe et croate ne cesse de se creuser.
Seul le Kosovo – également placé sous une forme de tutelle internationale – connaît des problèmes similaires, voire plus graves à maints égards. Hors d’Europe, on ne peut qu’être frappé par le fait que tous les pays, de l’Afghanistan à la Libye, ayant également connu une intervention armée occidentale – bombardements, occupation militaire – suivie de l’instauration d’une administration internationale ne parviennent pas à décoller économiquement, sont toujours affectés par une profonde corruption et des conflits de différents ordres et, souvent, plongent dans un chaos bien pire que ce qu’ils connaissaient avant que les Etats-Unis et leurs alliés ne leur fassent des promesses d’avenir radieux.
Le meilleur service à rendre aux Bosniens serait sans doute de les mettre devant leurs responsabilités en les débarrassant du Haut Représentant et de sa cohorte de fonctionnaires. S’il est une réforme à apporter à Dayton, c’est bien de supprimer son annexe 10 instaurant cette institution. Contrairement aux propositions visant à centraliser davantage le pays, celle-ci est la seule qui pourrait faire l’unanimité au sein de la population et de la classe politique bosniennes. Et permettre l’émergence d’un Etat digne de ce nom.
Notes :
1) - Nous adoptons le vocabulaire en vigueur depuis la fin de la guerre : un Bosniaque est un Slave musulman de langue serbo-croate (auparavant, un Musulman), qu’il habite en Bosnie ou ailleurs, qu’il soit pratiquant ou non ; un Bosnien est un habitant de Bosnie-Herzégovine, qu’il soit « ethniquement » Serbe, Croate, Bosniaque ou autre.
2) - En fait trois, si on inclut le district de Brko, coupant la Republika Srpska en deux et dont le sort fut mis en suspens à Dayton. Ultérieurement, ce district resté multiethnique a été placé hors de portée des deux entités et est géré par un superviseur international.
3) - Voir Human Development Reports, Données, PNUD, 2014.
4) - Voir Bosnia and Herzegovina Unemployment Rate 2007-2015, Trading Economics.
5) - Est-il utile de rappeler le rôle de l’Allemagne, qui a poussé la Slovénie et la Croatie à faire sécession, et celui des Etats-Unis, qui ont – déjà avant le déclenchement de la guerre en Bosnie – saboté différents plans de paix de l’ONU et de l’UE ?
6) - Selon les estimations les plus fiables, la guerre de Bosnie-Herzégovine a entraîné la mort de près de 100.000 personnes. Voir After years of toil, book names Bosnian war dead, Reuters, 15 février 2013. Ce chiffre est cependant deux à trois fois inférieur à la plupart des estimations précédentes.
7) - Cette affirmation, fréquemment répétée par les médias occidentaux, ne semble pas tenir compte de la guerre civile grecque (1946-1949), qui aurait fait 150.000 morts.
8) - L’application de l’accord de Dayton est surveillée par un « Conseil de mise en œuvre de la paix », également responsable de la nomination du « Haut représentant ». Composé de 55 pays, ce conseil est, dans les faits, dirigé par un comité exécutif réduit de onze membres, soit 4 pays de l’Union européenne, la présidence et la Commission de l’UE, le Japon, la Russie, le Canada, les Etats-Unis, ainsi que l’Organisation de la Conférence islamique représentée par la Turquie.
9) - Voir James Lyon, Is War About to Break Out in the Balkans ?, Foreign Policy, 26 octobre 2015.
10) — Lors des élections de 2014, seuls 54 % des électeurs sont allés voter, un chiffre en constante diminution, et le nombre de bulletins blancs et nuls s’est élevé à près de 8 %, un chiffre qui est lui en constante augmentation. Voir Despite smaller turnout in relation to 2010, there was more invalid ballots, ZaštoNe, 17 octobre 2014.
Auteur : Georges Berghezan
NB : Une version abrégée de cet article est publié par le GRIP.
Source : www.investigaction.org
NB : Une version abrégée de cet article est publié par le GRIP.
Source : www.investigaction.org
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