sujet de son dernier projet : un documentaire sur Bornéo (Kalimantan en indonésien), une île gigantesque partagée par trois pays. Après y avoir été témoin des destructions catastrophiques de l’environnement causées par le pillage des richesses de l’île par les puissances (néo)colonialistes, de mèche avec les élites locales, Vltchek est bien décidé à dénoncer cette situation et les conséquences mortelles du capitalisme sauvage. Il est possible de le soutenir dans la réalisation de son projet, très embarrassant pour les élites, via la campagne GoGetFunding.
Vous préparez un nouveau film documentaire à propos de l’île de Bornéo, que se partagent trois pays asiatiques. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film maintenant ?
J’ai simplement été choqué. Je ne suis pas à proprement parler un défenseur de l’environnement. Bien sûr, je me soucie de notre planète, de notre magnifique biodiversité, de nos plantes, de nos océans, cours d’eau et déserts. Je ne veux pas qu’ils soient détériorés ni qu’ils disparaissent. J’ai consacré un livre entier, Oceania, à la situation catastrophique des Etats insulaires du Pacifique Sud, mais c’est tout.
Je n’ai jamais réalisé de film au sujet de la destruction de l’environnement. Pourtant, après avoir visité l’île de Bornéo au début de l’année (2017), quelque chose au fond de moi a changé. L’île était autrefois l’un des plus beaux endroits du monde, avec des forêts tropicales impénétrables, de hautes montagnes et de grands fleuves. Elle abritait de nombreux royaumes et cultures autonomes et complètement uniques. Des milliers d’espèces animales, d’oiseaux, de papillons, vivaient en harmonie avec de rares variétés de plantes, d’arbres et de fleurs. C’était un monde plein de magie, de douceur et de pureté…
Tout cela n’est pas si lointain, comme en témoignent d’anciennes photos époustouflantes…Puis, le colonialisme occidental a tout changé, tout détruit, comme il a presque tout détruit sur la surface du globe. Les envahisseurs néerlandais et britanniques, qui n’avaient aucun respect ni intérêt pour les indigènes et leur habitat, ont recommencé ici ce qu’ils avaient déjà fait partout ailleurs durant des siècles : pillages, vols, déforestation, extraction des richesses souterraines et domination esclavagiste des indigènes.
Prenez tout ce que vous pouvez et courez – Mine de charbon de PT CEM près de Sambutan (Photo d’Andre Vltchek)
Plus tard, après que les Etats de l’île ont acquis leur semi-indépendance, l’Occident a corrompu les élites locales et introduit le capitalisme sauvage dans toute l’île. En Indonésie, ce fut particulièrement violent, avec la trahison et le coup d’Etat militaire en 1965 de l’armée, pro-occidentale, contre le président progressiste et anti-impérialiste Sukarno, suivis de la prise du pouvoir par le général Suharto, collaborateur cruel, stupide et sans vergogne. Depuis, son clan cupide et éhonté dirige le pays conjointement avec des extrémistes religieux comme on peut en trouver en Arabie saoudite.
Résultat : il ne reste quasi plus rien de la forêt vierge. La déforestation tropicale est plus rapide en Indonésie que dans n’importe quel autre pays du globe. Les cours d’eau sont pollués, souvent toxiques.
Des centaines d’espèces ont disparu à jamais. L’exploitation minière débridée du charbon défigure le paysage. D´horribles plantations destinées à la production d’huile de palme remplacent les autres espèces d’arbres. Plus on découvre de nouvelles richesses en sous-sol, plus les ravages s’intensifient.
L’Indonésie est l’une des nations les plus corrompues au monde, notamment à cause de la propension honteuse de ses « élites » à collaborer avec l’Occident et le capitalisme extrême.
J’ai tout simplement été choqué par ce que j’ai vu sur l’île de Bornéo. A partir de maintenant, je refuse de me taire. Si les Indonésiens ont trop peur ou sont trop endoctrinés pour dénoncer cette situation eux-mêmes, j’essaierai de le faire moi-même.
Il semblerait que le souvenir des atroces souffrances qu’ont subies les peuples asservis par les gouvernements impérialistes étrangers ne soit pas la préoccupation majeure des puissances coloniales traditionnelles comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis. Pendant 75 ans, Bornéo était un « protectorat » britannique. Après son indépendance politique, la Grande-Bretagne a-t-elle mis en place un système néocolonial afin de garder le contrôle des ressources de l’île ? Et si oui, comment ?
Oui, bien sûr. Les Britanniques et les Néerlandais, ainsi que d’autres. De nombreuses stratégies néocoloniales bien connues ont été mises en place sur l’île.
Tout d’abord, les élites des trois pays (Indonésie, Malaisie et Brunei) sont presque complètement sous la coupe de l’Occident. Ce qu’on appelle souvent « corruption » n’y est en fait rien d’autre qu’une « collaboration » avec les puissances étrangères.
Le colonialisme n’a jamais cessé et est toujours une réalité à Bornéo, ainsi que presque partout ailleurs en Asie du Sud-Est. Les élites locales sont au service des intérêts des puissances européennes et nord-américaines. Elles sont prêtes à voler et à appauvrir leur propre peuple pour maintenir leurs profits et leurs privilèges et pour remplir leurs comptes en banque ainsi que ceux des néocolonialistes.
Abattage de ce qu’il reste d’arbres dans les parties malaisienne et indonésienne de l’île de Bornéo (Photo d’Andre Vltchek)
L’éducation et la « culture » jouent également un rôle terrible. L’éducation dans des pays comme l’Indonésie et la Malaisie est presqu’entièrement contrôlée par les démagogues occidentaux ; elle est généreusement saupoudrée de courants religieux intolérants et extrémistes, principalement issus des pays du Golfe et de l’Occident.
Le peu d’écrivains, de cinéastes et de producteurs qu’on y trouve encore ne produisent principalement plus que des contenus de très basse qualité et ne traitent aucun sujet séditieux, socialiste ou révolutionnaire. Tous ou presque sont largement rémunérés par l’Occident et sommés de la fermer. J’ai décrit tout ceci en détails dans mon dernier roman Aurora.
Pour l’éducation, c’est encore pire : les professeurs font la course aux diplômes et aux doctorats au lieu de se battre pour leur île. Pour les “pacifier”, les acheter, on leur accorde divers privilèges et récompenses gratifiantes, comme des voyages tous frais payés en Europe ou aux Etats-Unis. Ils acceptent d’être payés pour voyager et “s’instruire” dans les pays qui les avaient autrefois colonisés, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, au lieu de cracher au visage de ces pays qui pillent le leur depuis de longs et horribles siècles. Après avoir été endoctrinés, à Bornéo ou à l’étranger, ces enseignants rentrent ensuite chez eux et participent à leur tour au lavage de cerveau et au bourrage de crâne des enfants et des jeunes.
On apprend à la jeune génération à obtenir des emplois bien rémunérés et à s’enrichir au service de l’impérialisme occidental et du capitalisme sauvage, plutôt qu’à se battre et à défendre leur pays et leurs îles, presque détruites, comme Bornéo. C’est totalement honteux ! Les dirigeants de l’Asie du Sud-Est seraient exécutés pour trahison dans des pays comme Cuba, la Chine ou la Russie !
En 2012, Barack Obama avait annoncé un pivot américain vers l’Asie. L’Asie du Sud-Est suit-elle le même chemin que le Moyen-Orient suite aux ambitions impérialistes américaines ?
Bonne question, mais elle arrive un peu tard. Les situations en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient ne sont déjà plus très différentes. Dans ces deux régions, l’Occident a instrumentalisé les courants religieux les plus extrémistes afin d’asservir, d’endoctriner et de “pacifier” la population. Ce n’est pas seulement l’islam qui a été instrumentalisé par Washington, Londres et Paris. Tous les courants religieux intégristes possibles et imaginables ont été introduits dans cette région du monde.
Résultat : on n’y trouve aucun grand scientifique, philosophe, écrivain ou cinéaste ! Imaginez, pas un !
Plus cette région du monde est ravagée, détruite, plus sa population est manipulée, plus les médias occidentaux louent la « réussite » et la « tolérance » de ces « démocraties ». Tout cela n’est qu’un pillage à grande échelle, une plaisanterie terriblement cynique, mais acceptée tant à Bornéo qu’à l’étranger, tout comme sont d’ailleurs tolérés et approuvés la plupart des mensonges de l’Occident, souvent très lucratifs.
Plus cette région du monde est ravagée, détruite, plus sa population est manipulée, plus les médias occidentaux louent la « réussite » et la « tolérance » de ces « démocraties ». Tout cela n’est qu’un pillage à grande échelle, une plaisanterie terriblement cynique, mais acceptée tant à Bornéo qu’à l’étranger, tout comme sont d’ailleurs tolérés et approuvés la plupart des mensonges de l’Occident, souvent très lucratifs.
Mont Kimabalu à Bornéo, Malaisie (Photo d’Andre Vltchek)
Comment allez-vous produire votre film-documentaire ? Etes-vous financé par une organisation ?
Aucune idée… Personne ne me finance. Je travaille toujours comme ça : je réinvestis l’argent gagné grâce à mes livres et à mes films dans mon nouveau projet, dans mon combat révolutionnaire pour la survie de notre planète. Je me laisse souvent envahir par mon travail, parfois je m’écroule. Puis je me ressaisis, je me relève et je tente de continuer la lutte et de poursuivre ma voie.
Mais cette fois, j’ai demandé le soutien de mes lecteurs. L’histoire de Bornéo est incroyable et il est possible que j’y consacre deux films : un court et un long-métrage. J’ai lancé une campagne de collecte de fonds via GoGetFunding.
L’objectif est de récolter 20 000 USD (NdT : environ 16 600 EUR), ce qui couvrirait à peine la moitié des dépenses de base. Jusqu’à présent, j’ai reçu 60 USD (NdT : environ 50 EUR). Ce n’est même pas assez pour acheter une paire de cartes-mémoire. Mais je n’abandonne jamais.
Comme disait le grand président chilien Salvador Allende : « Adelante Camaradas, venceremos nuevamente ! » (NdT : Courage, camarades, nous vaincrons à nouveau !). En tant qu’internationaliste, j’estime que j’ai simplement le devoir de lutter pour l’île de Bornéo, tout comme j’ai le devoir de lutter pour l’Afghanistan ou le Venezuela.
Si certains sont prêts à soutenir mon travail et mon combat, je leur serai reconnaissant. Sinon, je le ferai seul, d’une manière ou d’une autre ! Les tentatives de destruction de notre planète n’attendent pas. Alors, pourquoi attendrai-je ?
Andre Vltchek est philosophe, écrivain, cinéaste et journaliste d’investigation. Il a couvert plusieurs guerres et conflits dans des dizaines de pays. Ses trois derniers livres sont le roman révolutionnaire Aurora et deux oeuvres politiques à succès : Exposing Lies Of The Empire et Fighting Against Western Imperialism. Vous pouvez également découvrir ses autres livres ici. Andre Vltchek réalise des films pour teleSUR et Al-Mayadeen. Découvrez Rwanda Gambit, documentaire avant-gardiste au sujet du Rwanda et de la République démocratique du Congo. Vltchek a vécu en Amérique latine, en Afrique, en Océanie et réside actuellement en Asie orientale et au Moyen-Orient. Il continue de travailler partout dans le monde et peut être contacté via son site et son compte Twitter.
Traduit de l’anglais par Thadée Guevart pour Investig’Action
Source: Investig’Action
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