Brésil, un an après le début du coup d’État
- 05 Juin 2017
Les députés qui ont voté le procès politique contre Dilma Rousseff ont également voté la réduction des dépenses publiques pour les 20 prochaines années, les réformes de la loi du travail qui s’attaquent à certains droits, et l’exploitation du pétrole par les multinationales.
En 2016, le 17 avril est tombé un dimanche. Et ce dimanche-là, une session extraordinaire et plénière avait lieu à la Chambre des députés. Ces derniers votaient, à une écrasante majorité (367 votes pour, 137 contre), l’ouverture d’un procès contre la présidente de l’époque Dilma Rousseff, du Parti des travailleurs (PT), avant que le Sénat ne se charge de la destituer le 31 août de la même année. Ce à quoi nous assistions ce dimanche d’avril 2016 était un spectacle grotesque. Des députés arborant sur eux le drapeau brésilien expliquaient vouloir voter pour l’ouverture d’un procès politique au nom de la « moralité », afin de s’opposer « à la corruption ». D’autres députés dédiaient leur vote à « [leurs] enfants », « [leur] famille » ou, à l’instar du candidat potentiel aux présidentielles de 2018, l’ancien militaire Jair Bolsonaro, « à la mémoire du capitaine Carlos Alberto Brillante Ustra », l’un des tortionnaires les plus cruels du temps de la dictature (1964-1985).
Les sénateurs destituaient la présidente en poste (et ses 54,5 millions de votes) par un écart tout aussi large : 61 votes pour, et seulement 20 contre.
Un an après cette nuit aux scènes pathétiques, le pays est plongé dans la récession la plus sévère de son histoire. Michel Temer, un homme politique sombre et habile et expert en manœuvres obscures, compte à peine 5% d’approbation auprès de l’opinion publique. Tous les députés, sans exception, qui ont voté pour l’ouverture du procès ont également voté, sous le gouvernement de Temer, l’instauration obligatoire d’un plafond pour les dépenses publiques pendant les 20 prochaines années, ce qui signifie des coupes drastiques dans les dépenses pour la santé et l’éducation. Ils ont également voté des « réformes » dans la législation du travail qui suppriment des droits existant depuis presque un demi-siècle, mais aussi des changements rétroactifs dans le programme éducatif. Enfin, ils ont voté l’ouverture de l’exploitation des champs pétrolifères « pré-sel », situés en eaux ultra-profondes, aux multinationales.
Le chômage touche environ 14 millions de travailleurs, 60% des foyers sont endettés, et la corruption que les députés et les sénateurs promettaient de combattre a éclaboussé huit des vingt-sept ministres de Temer, et plus d’un tiers du congrès. Nombre de ceux qui avaient été les plus véhéments dans leur combat contre la corruption sont sous le coup d’une enquête de la Cour suprême car il existe des preuves concrètes qu’ils ont pratiqué ce qu’ils prétendaient combattre.
Eduardo Cunha, l’artisan du coup institutionnel, alors président de la Chambre des députés, a perdu son siège et réside à l’heure actuelle dans une prison fédérale. À sa première condamnation, (il y a encore au moins huit autres enquêtes ouvertes à son encontre) il a écopé de 15 années de prison.
Michel Temer ainsi que ceux qui ont soutenu le coup institutionnel en sa faveur, comme l’ex-président Fernando Henrique Cardoso, a toujours expliqué qu’il s’agissait d’une « procédure prévue par la Constitution ». Il a promis un redressement rapide de l’économie, une stabilité politique, un apaisement social et un retour à la confiance pour les investisseurs.
Il n’a tenu aucune des promesses ci-dessus. Au contraire : le pays est plongé dans un déluge de scandales de toutes sortes, et même Temer est le protagoniste de luxe de plaintes à grande échelle.
À la veille du premier anniversaire de ce coup, le président actuel, dont l’illégitimité n’a jamais été remise en cause malgré ses efforts pour faire valoir une supposée légitimité, a accordé une entrevue à la chaîne de télévision Bandeirantes. Et ce qu’il a reconnu, une chose que seuls les naïfs, candides ou autres individus en manque criant d’intelligence ne savent pas, confirme que Dilma Rousseff (et donc le pays dans son ensemble) a été victime d’une manœuvre arbitraire scandaleusement imposée aux yeux passifs et complices par omission du Tribunal suprême fédéral censé être le gardien de la Constitution.
Les arguments pour accepter la destitution de la présidente tournaient autour d’un seul thème : elle aurait commis un « crime de responsabilité » pour avoir eu recours au « crédit supplémentaire ». Il s’agit du transfert de ressources d’un poste à un autre à l’intérieur du budget national, en plus d’avoir « retardé » l’approbation de transferts de fonds au Banco do Brasil afin d’atténuer les coûts liés aux aides consenties au secteur agricole. Il faut rappeler que la loi n’a fixé aucun délai à ce sujet.
Revenons au dimanche 15 avril 2017, veille du premier anniversaire du coup. Dans l’entretien accordé à une chaîne de télévision en manque d’audience, Michel Temer a fini par dire la vérité. Le tout puissant président de la Chambre à l’époque, Eduardo Cunha, était sous le coup d’un jugement de la Commission d’éthique réclamé par ses pairs, accusé d’être corrompu à des niveaux stratosphériques.
Il avait encore un joker dans son jeu, puisqu’il avait déjà préparé plusieurs demandes de destitution contre Dilma Rousseff. Si les trois députés du PT avait voté en sa faveur à la Commission d’éthique, l’empêchant de passer en jugement devant l’assemblée plénière de la Chambre qui lui aurait coûté son poste de député, la demande d’ouverture d’un procès aurait fini au fond d’un tiroir de son cabinet. Dans le cas contraire, il aurait accepté de soumettre ce thème à la votation.
Les députés du PT, ainsi que la présidente, ont refusé cette menace de chantage. Le jugement a été ouvert et le reste appartient à l’histoire.
Le plus admirable c’est que Temer l’a avoué sans sourciller d’un millimètre.
Et cette trahison, cette vengeance, ne méritait qu’un espace très réduit dans les grands médias hégémoniques, les mêmes qui ont été les piliers essentiels du coup. Et, par conséquent, les complices du chaos que subissent tous les Brésiliens aujourd’hui.
Source : Pagina 12
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