Le Venezuela d’aujourd’hui et de demain
- 06 Juin 2017
Après mon séjour à Caracas, j’aimerais soumettre quelques réflexions à propos de la situation dans le pays.
En principe, l’idée de procéder à une révision de la Constitution sur des bases plus populaires, est bonne, mais cela signifie un processus à moyen et long terme, alors que les problèmes existentiels, eux, sont à très court terme.
En principe, l’idée de procéder à une révision de la Constitution sur des bases plus populaires, est bonne, mais cela signifie un processus à moyen et long terme, alors que les problèmes existentiels, eux, sont à très court terme.
Avant que ce processus de révision n’arrive à son terme, il n’est pas exclu que les gens ne puissent plus endurer les difficultés de leur vie quotidienne. Celles-ci s’expliquent, assurément, par le boycott et la spéculation que mettent en place le capital local et l’impérialisme, mais aussi par les processus ordinaires qui surgissent en période de pénurie : marché noir, stockage et rétention de marchandises, changements de production en fonction de la loi du marché, marges usuraires pratiquées par les intermédiaires, et aussi corruption des agents de l’État.
Cependant il y a le danger d’une « fétichisation » de la loi (de la Constitution en l’occurrence) qui tend à identifier le texte juridique avec la réalité. C’est un effet très latin et connu dans le monde entier, depuis la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de la Révolution française. Karl Marx y fait référence dans « Sur la Question juive ».
D’autre part, définir la base de désignation des électeurs ne sera pas tâche facile et cela prendra du temps. Finalement, il y a un danger de non-participation de l’opposition qui laisserait le processus entre les seules mains des déjà convaincus, sans parler d’un possible rejet par une majorité de la population.
C’est pourquoi bien d’autres mesures semblent nécessaires :
- renégocier le dette extérieure qui ponctionne des milliards de dollars alors que sévit la pénurie tout en sachant, évidemment, qu’existe le danger de faire grandir le « risque pays » déjà le plus élevé au monde ;
- réviser la dette intérieure qui, au final, est un financement de l’opposition ; reconsidérer « l’arc minier de l’Orénoque », qui veut s’attaquer au problème des mines illégales, mais qui est aussi un retour au passé néolibéral avec des concessions accordées aux grandes multinationales et des compensations financières pour des expulsions de l’époque Chávez ;
- agir sur les systèmes de distribution qui restent encore entre les mains du capital local (une dizaine de grandes entreprises qui manipulent la pénurie) étant donné que la production et les importations ont relativement progressé ;
- freiner la spéculation financière qui, grâce à l’hyperinflation, permet à certains groupes de bâtir d’énormes fortunes sur le dos du bien public et qui fait croitre l’évasion de capitaux (un total estimé à plus de 300 milliards de dollars) ;
- lutter contre la corruption intérieure (y compris au sein de l’armée) qui fait obstacle à la distribution d’approvisionnements que le gouvernement acquiert à l’extérieur ; etc…
Un groupe se situant à l’extérieur de l’opposition, mais exprimant des critiques sur nombre de mesures politiques du gouvernement, est en train de prendre forme et il avance des propositions concrètes, mais ce faisant, dans l’actuel climat de confrontations extrêmes, le risque existe qu’il soit considéré comme dangereux ou pour le moins utopiste et non comme auteur d’alternatives dignes d’être prises en considération.
Évidemment, la chute du gouvernement Maduro signifierait l’arrivée d’un Macri ou d’un Temer, c’est-à-dire un régime antipopulaire et c’est pourquoi il faut défendre la légitimité du gouvernement actuel jusqu’à la fin de son mandat. D’un autre côté, le recours à la violence de la part de l’opposition a pris des proportions inédites avec la destruction de bâtiments publics (un hôpital, un local de l’aviation civile, entre autres), l’immolation, d’un jeune et l’usage d’excréments humains face aux forces de l’ordre qui ont interdiction de faire usage d’armes létales.
Parce que c’est leur raison d’être et leur nature profonde, les médias amplifient la réalité des manifestations de la droite et donnent l’impression d’un chaos généralisé, mais la vie quotidienne suit son cours en dépit des difficultés.
Les services publics, (transports publics de bus, ramassage des ordures ménagères, service de nettoyage des voies publiques, continuent) continuent de fonctionner. En vérité, la pénurie dans un secteur tel que la santé, par exemple, peut être dramatique et, à moyen terme, le manque de pièces de rechange peut mettre en péril la disponibilité des véhicules. Le 21 mai, l’opposition a appelé à une grève nationale : mais en fait, Caracas n’a pas été paralysée ; la vie a suivi son cours habituel.
Cependant, pour défendre sa légitimité, le gouvernement doit éviter de commettre des erreurs qui mettent celle-ci en doute et qui nourrissent des campagnes de dénigrement intérieures et internationales.
On peut espérer que Nicolas Maduro tienne davantage un discours de Chef d’État plutôt que celui d’un militant de base et qu’il n’oublie pas qu’il s’adresse à la nation, au continent Amérique Latine, au reste du monde et pas seulement à ses partisans.
Tout compte fait, il s’agit essentiellement d’un affrontement entre deux classes sociales. Les manifestations de l’opposition le disent clairement : style des quartiers où sont organisées ces manifestations et nature du public qui y participe. Une partie de la classe moyenne des villes, très touchée dans son pouvoir de consommation à cause de la chute de la rente pétrolière (aujourd’hui,une pièce de rechange importante d’une automobile coûte aussi cher que 5 véhicules il y a 4 ans), apporte son soutien aux classes supérieures qui veulent récupérer leur pouvoir politique. Ces dernières s’unissent à des groupes qui ont recours à la violence (la majorité des victimes sont des chavistes).
Mais il existe aussi un mécontentement très important au sein des classes qui appuyent le processus bolivarien à cause de la détérioration du fonctionnement des « missions » qui pâtissent du manque de financement et de la corruption (secteurs de la santé, pans entiers de l’éducation publique, marchés populaires… qui subsistent en tant que structures, mais avec un moindre contenu réel).
La mortalité infantile et celle des femmes parturientes sont en augmentation et c’est la conséquence de divers facteurs qui se conjuguent : la logique du capitalisme monopoliste mondial qui manipule le prix des « commodités », le boycott intérieur de ceux qui détiennent encore une hégémonie économique sur la distribution et aussi, finalement, la corruption intérieure, et il n’est pas sûr que la meilleure réponse soit de renvoyer la ministre de la Santé qui a rendu les chiffres publics.
La grande difficulté consiste à concilier la gestion du long terme avec celle du court terme. Alvaro García Linera a écrit qu’une révolution qui n’assure pas (quelle qu’en soit la raison) la base matérielle de la vie du peuple n’a pas beaucoup d’avenir et les adversaires du gouvernement actuel le savent parfaitement.
La conférence épiscopale a choisi son camp (celui de l’opposition) et elle publie des textes d’une grande indigence intellectuelle, alors que le Pape n’a pas hésité à critiquer l’opposition pour son manque de volonté de dialogue.
Au Venezuela, comme dans tous les pays post-néolibéraux d’Amérique Latine, il s’agit de refonder le projet de gauche et pas seulement de l’adapter. C’est la seule façon d’être fidèle au projet original d’émancipation populaire et de réorganisation de la société, projet qui a soulevé un si grand espoir et tant d’admiration dans le monde entier et qui, au Venezuela, dispose encore de bases dans les initiatives communales. C’est aussi la voie pour sortir progressivement de la rente pétrolière ou minière, fruits de productions grandement destructrices de l’environnement et totalement à l’opposé d’un projet post capitaliste.
L’adoption d’une vue holistique de la réalité pour définir un nouveau paradigme d’existence collective de l’Humanité sur notre planète est une base nécessaire. Cette existence doit faire le choix de la vie et non celui de la mort, comme le fait le capitalisme (mort de la Terre Mère et économie qui sacrifie des millions d’êtres humains). Cela implique un autre rapport avec la nature qui ne soit pas basé sur l’exploitation, mais sur le respect et la possibilité de renouvellement, qui ne prenne pas appui sur l’extractivisme minier, forme capitaliste de l’extraction et qui ne repose pas sur la rente de productions hautement destructrices de l’environnement et donc du climat mondial.
Cette vision implique aussi de privilégier la valeur d’usage au détriment de la valeur d’échange, (la seule qui existe pour le capital), avec toutes ses conséquences sur la propriété des moyens de production. Cela exige aussi une généralisation des processus démocratiques, pour construire le nouveau sujet historique qui n’est plus, désormais, le seul prolétariat industriel, comme au XIX° siècle, et exige aussi l’interculturalité et la fin de la domination de cette culture dénommée occidentale, fruit du développement capitaliste, prédominante et vassalisée, qui tronçonne le réel, qui cultive l’individualisme et qui exclut d’autres lectures et d’autres savoirs.
C’est ce que nous pouvons désigner du nom de Bien Commun de l’Humanité ou d’Ecosocialisme ou lui donner tout autre nom qui permette de synthétiser son contenu. Atteindre ce but exige des transitions qui prendront du temps et que des gouvernements de changement se doivent de définir, chacun dans le cadre de ses propres frontières.
Évidemment, la chute du gouvernement Maduro signifierait l’arrivée d’un Macri ou d’un Temer, c’est-à-dire un régime antipopulaire et c’est pourquoi il faut défendre la légitimité du gouvernement actuel jusqu’à la fin de son mandat. D’un autre côté, le recours à la violence de la part de l’opposition a pris des proportions inédites avec la destruction de bâtiments publics (un hôpital, un local de l’aviation civile, entre autres), l’immolation, d’un jeune et l’usage d’excréments humains face aux forces de l’ordre qui ont interdiction de faire usage d’armes létales.
Parce que c’est leur raison d’être et leur nature profonde, les médias amplifient la réalité des manifestations de la droite et donnent l’impression d’un chaos généralisé, mais la vie quotidienne suit son cours en dépit des difficultés.
Les services publics, (transports publics de bus, ramassage des ordures ménagères, service de nettoyage des voies publiques, continuent) continuent de fonctionner. En vérité, la pénurie dans un secteur tel que la santé, par exemple, peut être dramatique et, à moyen terme, le manque de pièces de rechange peut mettre en péril la disponibilité des véhicules. Le 21 mai, l’opposition a appelé à une grève nationale : mais en fait, Caracas n’a pas été paralysée ; la vie a suivi son cours habituel.
Cependant, pour défendre sa légitimité, le gouvernement doit éviter de commettre des erreurs qui mettent celle-ci en doute et qui nourrissent des campagnes de dénigrement intérieures et internationales.
On peut espérer que Nicolas Maduro tienne davantage un discours de Chef d’État plutôt que celui d’un militant de base et qu’il n’oublie pas qu’il s’adresse à la nation, au continent Amérique Latine, au reste du monde et pas seulement à ses partisans.
Tout compte fait, il s’agit essentiellement d’un affrontement entre deux classes sociales. Les manifestations de l’opposition le disent clairement : style des quartiers où sont organisées ces manifestations et nature du public qui y participe. Une partie de la classe moyenne des villes, très touchée dans son pouvoir de consommation à cause de la chute de la rente pétrolière (aujourd’hui,une pièce de rechange importante d’une automobile coûte aussi cher que 5 véhicules il y a 4 ans), apporte son soutien aux classes supérieures qui veulent récupérer leur pouvoir politique. Ces dernières s’unissent à des groupes qui ont recours à la violence (la majorité des victimes sont des chavistes).
Mais il existe aussi un mécontentement très important au sein des classes qui appuyent le processus bolivarien à cause de la détérioration du fonctionnement des « missions » qui pâtissent du manque de financement et de la corruption (secteurs de la santé, pans entiers de l’éducation publique, marchés populaires… qui subsistent en tant que structures, mais avec un moindre contenu réel).
La mortalité infantile et celle des femmes parturientes sont en augmentation et c’est la conséquence de divers facteurs qui se conjuguent : la logique du capitalisme monopoliste mondial qui manipule le prix des « commodités », le boycott intérieur de ceux qui détiennent encore une hégémonie économique sur la distribution et aussi, finalement, la corruption intérieure, et il n’est pas sûr que la meilleure réponse soit de renvoyer la ministre de la Santé qui a rendu les chiffres publics.
La grande difficulté consiste à concilier la gestion du long terme avec celle du court terme. Alvaro García Linera a écrit qu’une révolution qui n’assure pas (quelle qu’en soit la raison) la base matérielle de la vie du peuple n’a pas beaucoup d’avenir et les adversaires du gouvernement actuel le savent parfaitement.
La conférence épiscopale a choisi son camp (celui de l’opposition) et elle publie des textes d’une grande indigence intellectuelle, alors que le Pape n’a pas hésité à critiquer l’opposition pour son manque de volonté de dialogue.
Au Venezuela, comme dans tous les pays post-néolibéraux d’Amérique Latine, il s’agit de refonder le projet de gauche et pas seulement de l’adapter. C’est la seule façon d’être fidèle au projet original d’émancipation populaire et de réorganisation de la société, projet qui a soulevé un si grand espoir et tant d’admiration dans le monde entier et qui, au Venezuela, dispose encore de bases dans les initiatives communales. C’est aussi la voie pour sortir progressivement de la rente pétrolière ou minière, fruits de productions grandement destructrices de l’environnement et totalement à l’opposé d’un projet post capitaliste.
L’adoption d’une vue holistique de la réalité pour définir un nouveau paradigme d’existence collective de l’Humanité sur notre planète est une base nécessaire. Cette existence doit faire le choix de la vie et non celui de la mort, comme le fait le capitalisme (mort de la Terre Mère et économie qui sacrifie des millions d’êtres humains). Cela implique un autre rapport avec la nature qui ne soit pas basé sur l’exploitation, mais sur le respect et la possibilité de renouvellement, qui ne prenne pas appui sur l’extractivisme minier, forme capitaliste de l’extraction et qui ne repose pas sur la rente de productions hautement destructrices de l’environnement et donc du climat mondial.
Cette vision implique aussi de privilégier la valeur d’usage au détriment de la valeur d’échange, (la seule qui existe pour le capital), avec toutes ses conséquences sur la propriété des moyens de production. Cela exige aussi une généralisation des processus démocratiques, pour construire le nouveau sujet historique qui n’est plus, désormais, le seul prolétariat industriel, comme au XIX° siècle, et exige aussi l’interculturalité et la fin de la domination de cette culture dénommée occidentale, fruit du développement capitaliste, prédominante et vassalisée, qui tronçonne le réel, qui cultive l’individualisme et qui exclut d’autres lectures et d’autres savoirs.
C’est ce que nous pouvons désigner du nom de Bien Commun de l’Humanité ou d’Ecosocialisme ou lui donner tout autre nom qui permette de synthétiser son contenu. Atteindre ce but exige des transitions qui prendront du temps et que des gouvernements de changement se doivent de définir, chacun dans le cadre de ses propres frontières.
Traduit de l’espagnol par Manuel Colinas pour Investig’Action
Source: Alainet
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