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12 février 2015
En 2000, le Commandant Hugo Chávez et le Président brésilien Fernando Henrique Cardoso furent les initiateurs d'une réunion à laquelle participèrent tous les mandataires d'Amérique du Sud. Cette réunion fut le point de départ d'une nouvelle étape dans la politique régionale et du processus d'intégration subcontinentale qui se développe depuis 14 ans. L'intégration latino-américaine a dès lors recommencé à occuper une place dans l'agenda des gouvernements de la région.
L’ALBA, l’UNASUR, LA CELAC furent créées en prolongement de cet élan et le Mercosur, comme d’autres processus en cours, fut revitalisé. Les deux forces qui se sont jointes pour donner vie au projet se trouvaient représentées dès le début et ce sont elles qui aujourd’hui marquent ses limites. Chávez, en représentant un processus de mobilisation populaire en ascension - qui, avec le temps, s’étendra au-delà du Venezuela-, se définira d’abord comme anti-impérialiste et ensuite comme révolutionnaire et socialiste.
De son côté, Cardoso, incarnait la réaction défensive du secteur des bourgeoisies sud-américaines face à la progression de l’impérialisme, désireuses de s’emparer d’une portion croissante de l’excédent commercial via le traité de libre échange continental proposé par les Etats-Unis et dénommé l’ALCA. La réaction a commencé par la bourgeoisie brésilienne qui avait, de par la taille de son marché interne, le plus à perdre. S’y sont ajoutées une fraction de la bourgeoisie en Argentine qui a réussi à s’emparer du gouvernement du pays en 2002 et, ensuite, des fractions bourgeoises et gouvernementales dans le reste du continent.
En 2005, lors de la conférence du Mar del Plata, l’Amérique Latine a infligé un dur revers à la stratégie états-unienne de rejet du traité grâce à ces deux forces. A cette occasion, Hugo Chávez prononça un discours incisif et présida, dans un stade de football, une cérémonie à laquelle ont participé d’innombrables personnalités, du troubadour cubain Silvio Rodriguez jusqu’à Diego Maradona et au futur président bolivien, Evo Morales. Nestor Kirchner, pour sa part, personnifia les contradictions, les faiblesses et les inconséquences du secteur économique qu’il devait représenter : il prononça un discours critique sous le nez de Bush alors que, la veille au soir, il doutait de la position à adopter. Le chargé de politique internationale de son gouvernement, le chancelier Rafal Bielsa, avait, quelques mois auparavant, écrit un article dans le principal journal du pays défendant un "ALCA avec des principes".
Une troisième force doit être mentionnée dans la configuration actuelle de l’Amérique Latine et elle n’est pas des moindres : des secteurs économiques et leur représentation politique correspondante, dont le projet d’intégration est subordonné aux Etats-Unis et qui auraient voulu dire oui à l’ALCA. Parmi eux se trouvent les gouvernements du Mexique, de la Colombie, du Pérou et du Chili dont le projet d’intégration est l’Alliance du Pacifique, une pièce majeure dans la stratégie du Département d’Etat en faveur du repositionnement états-unien dans le scénario global. Beaucoup d’autres gouvernements, désireux de se joindre à cette initiative, n’ont toujours pas rejoint le bloc.
Cet aperçu est le point de départ qui permet de comprendre l’enchaînement des faits que l’Amérique Latine vit en ce moment et vivra dans le futur. D’un côté l’ALBA (Alliance Bolivarienne Pour les Peuples de Notre Amérique) conduit par le Venezuela, Cuba, la Bolivie, l’Equateur, le Nicaragua et d’autres petits pays des Caraïbes. C’est l’unique processus d’intégration régionale au monde qui cherche à dépasser les logiques capitalistes et qui se définit comme révolutionnaire et socialiste. Et, de l’autre côté, la contre-offensive états-unienne à l’Alliance du Pacifique, proposant une intégration dépendante, destinée à "moderniser" les économies, qui serait à la base de la constitution d’une zone de libre-échange et de l’attraction d’investissements étrangers. Au milieu, comme en équilibre, se retrouvent des gouvernements ambivalents, comme ceux du Brésil , de l’Argentine (les deux pays-clés de l’Amérique du Sud) et de l’Uruguay, qui rejoignent les pays de l’ALBA dans la défense formelle (je dis bien "formelle") de leur souveraineté face à l’ingérence extérieure mais qui, à cause de leurs inconséquences, sont livrés à la contre-offensive états-unienne.
Le Mercosur (qui s’est imposé tant dans les pays de l’ALBA tels que le Venezuela et la Bolivie qu’au Paraguay, nettement aligné avec les Etats-Unis) illustre ce groupe. Le bloc défend correctement ses membres dans ses déclarations politiques. Les principaux bénéficiaires de ce mécanisme d’intégration sont cependant les automotrices états-uniennes, européennes et japonaises.
Débloquer cette situation nécessite des avancées populaires dans des pays qui appartiennent aujourd’hui aux deux derniers groupes mais, actuellement, on ne peut pas présager ces avancées pour bientôt. Cependant, l’extrême faiblesse des systèmes politiques latino-américains permet l’émergence de phénomènes de ce type endéans des périodes très courtes. Cela fut l’expérience de la Bolivie et de l’Equateur et, dans une moindre mesure, du Venezuela. Pour donner un exemple européen : l’émergence de Podemos aurait été impensable dans l’Espagne des années 80, elle est maintenant réalisable après 30 ans de dégradation des conditions de vie d’une grande partie des citoyens.
En 2014, les triomphes électoraux du Parti des Travailleurs au Brésil, le Front large en Uruguay et Evo Morales en Bolivie empêchèrent la contre-offensive de gagner plus de terrain. En 2015, le principal conflit électoral sera l’élection présidentielle en Argentine. Tous les candidats qui ont des chances de remporter l’élection se situent de la droite à l’extrême droite. Le mouvement populaire est le Front large, mais pour le moment, il est incapable de s’unir et de construire une force politique (électorale ou non) à la hauteur des défis historiques qui approchent. La cohésion ne sera sûrement pas réalisée avant les élections présidentielles. Il est donc probable que la résistance contre un gouvernement plus franchement de droite que le gouvernement actuel activera des dynamiques difficiles à envisager aujourd’hui. De la capacité des mouvements populaires à s’unir, à construire une organisation, élaborer une stratégie de pouvoir et résoudre ces situations dépendra le futur du continent. La question est ouverte.
Source : Investig’Action
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