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24 mars 2015
« Tout ce qui existe dans l'Univers, disait le philosophe grec Démocrite, est le fruit du hasard et de la nécessité ». On ne peut s’empêcher de penser que ces attentats, après bien d’autres évènements venant construire le nouveau paradigme du « choc des civilisations », s’inscrivent dans cette logique du « hasard dans la nécessité ». Car il n’est pas meilleure opportunité, en Tunisie comme en France ou ailleurs, qu’une tragédie humaine servant les intérêts de la classe dirigeante et des impérialistes à qui cette dernière doit sa place.
« Nous serons obligés de prendre des décisions économiques douloureuses » déclarait sur toutes les chaînes le nouveau premier Ministre Habib Essid au début du mois de mars, en réponse aux mouvements sociaux (1) qui s’organisent depuis janvier contre le plan ultra-austéritaire FMI-UE conçu par le gouvernement pro-islamiste et mis en application par l’actuel gouvernement néo-benaliste. Privatisation de services publics, restriction drastique du nombre de fonctionnaires, disqualification des universités publiques au profit des investisseurs privés,… et peut être le plus grave : suppression de la fameuse « caisse de compensation » qui plafonnait par subvention d’Etat le prix des produits de première nécessité (farine, lait, …) dans le contexte dramatique de l’inflation actuelle.
Au lendemain des attentats du 18 mars dans le musée du Bardo, foyer de la culture nationale tunisienne, Essid ne manquera pas de marquer les esprits : « Cet attentat frappe gravement l’économie nationale déjà en souffrance [le tourisme étant un des axes privilégiés de la stratégie politique gouvernementale, mais aussi tous les « investissements étrangers » sur le territoire / ndlr]. La guerre contre le terrorisme va être longue et il faudra soutenir le gouvernement dans cette guerre ».
« Tout ce qui existe dans l’Univers, disait le philosophe grec Démocrite, est le fruit du hasard et de la nécessité »
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On ne peut s’empêcher de penser que ces attentats, après bien d’autres événements venant construire le nouveau paradigme du « choc des civilisations », s’inscrivent dans cette logique du « hasard dans la nécessité ». Car il n’est pas meilleure opportunité, en Tunisie comme en France ou ailleurs, qu’une tragédie humaine servant les intérêts de la classe dirigeante et des impérialistes à qui cette dernière doit sa place. Celle-ci comme d’autres, de Daech ou d’Al Qaïda, met en jeu des djihadistes pour la plupart ignorant tout de la religion qu’ils prétendent servir et d’autant plus manipulables qu’ils sont sectaires et « coupés du réel » (ce qui ne minimise pas leur responsabilité bien au contraire, un peu comme les commandos fascistes italiens télécommandés par le réseau Gladio pendant les années de plomb).
La veille de chaque élection l’année dernière, législatives puis présidentielle, des attentats localisés ont coûté la vie à de nombreux policiers et militaires. Attentats qui pour les uns, les « laïcs », faisaient le jeu du parti islamiste Nahdha en sous-main pour faire pression sur un Etat pas encore totalement sous leur coupe ; ou qui pour les autres, pro-islamistes, ne pouvaient qu’être commandités par les réseaux néo-RCDistes (Nidaa Tounes en première ligne) pour disqualifier leurs adversaires et imposer une union sacrée anti-terroriste avec la gauche (2). Pour les Tunisiens dans leur grande majorité, le premier effet de « l’esprit du 11 janvier » version Essebsi sera un report sans broncher de toutes les grèves et manifestations syndicales prévues contre les plans imposés par le FMI et l’UE, ainsi qu’un patriot act à la sauce Ben Ali (3).
En aucun cas il ne faut prendre au sérieux le cliché européen d’une Tunisie désormais « exemple de démocratie pour le monde arabe, et frappée aujourd’hui par le terrorisme comme nos propres pays pour cette raison ».
Le terrorisme a toujours servi en Tunisie les intérêts de sections plus ou moins en contradiction de la classe dirigeante, ce réseau de familles de grands propriétaires terriens transformé en bourgeoisie relais de l’impérialisme français et/ou US, en association ou non avec les pétromonarchies islamistes arabes, et qui aujourd’hui, face à un leadership occidental en crise, peut être tenté de sauver ses restes par une diplomatie plus « ouverte » (contre laquelle ces attentats peuvent être une sorte de mise en garde ou de remise au pas).
La veille de chaque élection l’année dernière, législatives puis présidentielle, des attentats localisés ont coûté la vie à de nombreux policiers et militaires. Attentats qui pour les uns, les « laïcs », faisaient le jeu du parti islamiste Nahdha en sous-main pour faire pression sur un Etat pas encore totalement sous leur coupe ; ou qui pour les autres, pro-islamistes, ne pouvaient qu’être commandités par les réseaux néo-RCDistes (Nidaa Tounes en première ligne) pour disqualifier leurs adversaires et imposer une union sacrée anti-terroriste avec la gauche (2). Pour les Tunisiens dans leur grande majorité, le premier effet de « l’esprit du 11 janvier » version Essebsi sera un report sans broncher de toutes les grèves et manifestations syndicales prévues contre les plans imposés par le FMI et l’UE, ainsi qu’un patriot act à la sauce Ben Ali (3).
En aucun cas il ne faut prendre au sérieux le cliché européen d’une Tunisie désormais « exemple de démocratie pour le monde arabe, et frappée aujourd’hui par le terrorisme comme nos propres pays pour cette raison ».
Le terrorisme a toujours servi en Tunisie les intérêts de sections plus ou moins en contradiction de la classe dirigeante, ce réseau de familles de grands propriétaires terriens transformé en bourgeoisie relais de l’impérialisme français et/ou US, en association ou non avec les pétromonarchies islamistes arabes, et qui aujourd’hui, face à un leadership occidental en crise, peut être tenté de sauver ses restes par une diplomatie plus « ouverte » (contre laquelle ces attentats peuvent être une sorte de mise en garde ou de remise au pas).
« Le terrorisme touche aujourd’hui un pays qui représente l’espoir dans le monde arabe. L’espoir de paix, l’espoir de stabilité, l’espoir de démocratie. Cet espoir doit vivre » vient de déclarer Laurent Fabius, ministre français des Affaires Etrangères le 18 mars.
« L’espoir de paix », nous n’espérons pas franchement qu’il y participe, lui qui représente avec ses homologues de l’OTAN, d’Israël et des régimes féodaux intégristes de la péninsule arabique à leur solde, la destruction militaro-djihadiste de pays insoumis comme la Libye et la Syrie. « L’espoir de stabilité », encore moins, lui qui a cautionné la prise de position du mercenaire ultrasioniste à la chemise ouverte BHL menant au chaos actuel à la frontière libyenne.
« L’espoir de démocratie », c’est sans doute une sorte de blague pour Fabius, qui considérait en 2013 que « le Front Al Nosra [branche syrienne d’Al Qaida] fait du bon boulot sur le terrain » et qu’il ne fallait donc pas le déclarer comme « organisation terroriste » !
Ces groupes djihadistes armés, disparates et quelquefois en contradiction (comme toute constellation sectaire), faisant allégeance à qui les manipulent le mieux, gangrènent le pays au-delà du seul Mont Chaambi près de la frontière algérienne. C’est en fait une sorte de pépinière sous surveillance permanente des services secrets d’un Etat bicéphale (structuré dans de nombreux ministères en réseaux d’influence néo-RCDiste et pro-Nahdha et dont on médiatise plus souvent les oppositions que les connivences).
D’abord, le parti Nahdha, branche tunisienne des Frères Musulmans, entretient avec les djihadistes des liens plus ou moins apparents (4) (à la manière du très « républicain » Front National français vis-à-vis des identitaires, soraliens et autres milices skinheads). Ensuite il faut mettre en lumière le fait que, sous les apparences d’une opposition entre « laïcs » et « islamistes », même si celle-ci est bien sûr fondée jusqu’à un certain point jusqu’au sommet de l’Etat, les réseaux néo-RCDistes mutés en un respectable Nidaa Tounes, ont été à l’œuvre depuis la chute de Ben Ali pour céder le pouvoir sous conditions aux Frères Musulmans plutôt qu’au mouvement syndical et à la gauche à l’issue des révoltes populaires de 2011. Ce fut d’ailleurs B. C. Essebsi lui-même, alors Premier Ministre de transition, qui fit taire dans le sang (5) les manifestations populaires anti-RCD après la chute du dictateur (les mouvements de Qasba 1 puis Qasba 2), et dans lesquelles aucun islamiste n’avait pris part, du propre aveu de Nahdha. Lui encore qui ouvrit tous les plateaux télé à ces derniers, leur permettant d’occuper le terrain de « l’opposition » dans le dos d’une gauche tunisienne pourtant expérimentée et active (même si elle fut prise de court et divisée dans ses tactiques en 2011).
Sur la photo, un cadre dirigeant de l’UGTE (syndicat islamiste affilié au parti Nahdha) en compagnie de R. Ghannouchi, dirigeant de Ennahdha, finit armé d’une kalachnikov sur le front syrien… Un cas parmi tant d’autres.
Aujourd’hui encore, c’est en concertation avec le parti Nahdha qu’un accord vient d’être négocié, par-dessus le Front Populaire à nouveau trahi et mise à l’écart, que le nouveau président Essebsi pour la désignation du Premier Ministre. Plusieurs conseillers d’Etat du parti Nahdha viennent d’être nommés dans plusieurs ministères pour coopérer avec les ministres dits « laïcs »…
On voit donc que le jeu du pouvoir tunisien, toujours soumis aux diktats européens et US sur le plan économique comme sur celui de la stratégie du chaos international orchestrée par un Occident fragilisé dans son leadership, est plus complexe qu’une illusoire lutte du « monde civilisé » contre un chaos dont il est au moins le père, sinon le complice actif, dans cet attentat comme dans tous ceux qui suivront, pour mettre le couteau du terrorisme sur la gorge du peuple, quand celui-ci ne montre plus les signes d’allégeance nécessaires.
C’est ainsi qu’il faut bien sûr comprendre l’assassinat des deux dirigeants de la gauche tunisienne Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013, premier acte terroriste ayant permis de « ré-orienter » les évènements post-2011 sur la voie d’une dédiabolisation des réseaux RCD en un parti « démocratique, stable et fiable », Nidaa Tounes avec l’assentiment des organisations dites de gauche elles-mêmes, favorables à une unité nationale anti-terroriste.
Le peuple tunisien ne sortira de ce piège cyclique et cynique qu’en démasquant l’unité profonde des « laïcs » et des islamistes scellée dans son dos pour appliquer les plans impérialistes sur son sol et par extension dans tout le monde arabe.
L’Etat tunisien qui faisait mine d’entrer dans un tournant géopolitique, réchauffant quelque peu ses relations avec la Syrie et la Russie, vient de d’officialiser le statut privilégié d’ "allié majeur non membre de l’OTAN" pour les USA... Un premier résultat de ces attentats du Bardo.
Notes :
(1) Grèves étudiantes, dans l’Education Nationale, dans le prolétariat des centres d’appel, à la poste, dans l’industrie textile, … La tension sociale monte malgré les « pauses forcées » des périodes électorales qui ont jalonné l’année 2014.
(2) Il s’agit de l’épisode du Front de Salut, réunissant la direction de l’UGTT et des partis de la gauche officielle avec la droite et le grand syndicat patronal UTICA.
(3) Ben Ali arrivant au pouvoir devint populaire dans les premières années de son règne par un « esprit d’ouverture » en s’associant avec les Frères Musulmans et en permettant une certaine liberté de la presse… avant de tout verrouiller pour des années en profitant des pressions et attentats pilotés par ces mêmes Frères Musulmans. Rappelons que c’est durant cette période que l’actuel président Essebsi, alors cadre du RCD, dirigeait l’Assemblée Nationale.
(4) Sur la photo, un cadre dirigeant de l’UGET (syndicat islamiste affilié au parti Nahdha) en compagnie de R. Ghannouchi, dirigeant de Ennahdha, finit armé d’une kalachnikov sur le front syrien… Un cas parmi tant d’autres.
(5) Manifestation du 15 août 2011, faisant de nombreux blessés graves sous les coups de matraque.
Source : Investig’Action
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