۱۳۹۴ دی ۱۰, پنجشنبه

29 décembre 2015
Article en PDF : Enregistrer au format PDF

Après le Siècle des Lumières, le “20ème siècle cambalache” de José Santos Disceopolo, et l’arrivée au 21ème siècle de la post-modernité, la condition de Notre Amérique qu’Eduardo Galeano décrivait dans “Les Veines ouvertes de l’Amérique latine” n’a pas beaucoup changé : “L’Amérique latine s’est habituée à perdre depuis des temps reculés, lorsque les Européens de la Renaissance sont arrivés par la mer et ont enfoncé leurs dents dans sa gorge… Mais la région continue aujourd’hui encore à travailler comme servante et n’a cessé d’être au service des exigences étrangères.



D’après le « centre d’études de la répartition du travail et du social » (CEDLAS), l’Amérique Latine occupe la seconde position sur l’échelle mondiale en termes d’inégalité et le CEPAL nous informe que la pauvreté est le lot de 30% de la population. Selon Ofxam, plus de 27 millions de personnes du monde entier travaillent dans ces 200 zones économiques spéciales, connues en Amérique Latine et aux Caraïbes comme “maquilas”, qui ne sont rien d’autres que des ghettos de misère : journées de travail du matin au soir, travail dans des conditions insalubres et salaires misérables. Les femmes y constituent plus de la moitié des travailleurs et représentent jusqu’à 90% de la main d’oeuvre de ces énormes usines où sont fabriqués les vêtements et autres produits textiles des multinationales. Celles-ci se sont installées dans de nombreux pays latino-américains qui attirent les investissements étrangers en offrant une main d’oeuvre bon marché et non syndiquée, ce qui est un grand avantage compétitif. Dans les “maquilas” du Salvador, 9 travailleurs sur 10 sont des femmes et les salaires perçus par les employées des pays tels que le Nicaragua, le Honduras et le Guatemala ne suffisent pas à couvrir le minimum vital, mais seulement 50 à 84% des besoins, selon Oxfam. Le prix de vente final de quelques-uns des produits qu’elles confectionnent peut atteindre jusqu’à 300 fois leur salaire.

Notre Amérique, avec sa forêt d’Amazonie et ses sommets andains, contient la biodiversité la plus riche de la planète ; cependant, la déforestation menée au moyen de coupes à blanc et du brûlage des bois, dans l’objectif de créer des zones réservées à l’agriculture et à l’élevage de bétail, avance dangereusement et suit l’expansion capitaliste, offrant l’espace nécessaire aux cultures transgéniques et le commerce de la viande, perpétuant par la même occasion la souffrance animale.

Malgré la légitimité universelle de la Déclaration de l’ONU sur les Droits des Peuples indigènes, beaucoup d’Etats ne reconnaissent pas leur existence et leurs droits humains sont loin d’être respectés : ils sont toujours les plus pauvres et les plus marginalisés du monde, tandis que les investissements de l’industrie extractive et l’agriculture à grande échelle sont les causes principales de l’appauvrissement et de la violation des droits systématiques. Durant la période de 2000 à 2011, les terres livrées aux multinationales se sont étendues sur plus de 200 millions d’hectares dans le monde, et la majorité concerne les terres des peuples indigènes des pays pauvres de l’Amérique Latine, cédées sans le consentement des communautés locales, sans compensation et sans aucun respect pour l’environnement. Il s’agit ni plus ni moins d’un dépouillement territorial soutenu par l’armée, la police et les groupes paramilitaires.

Tout ceci se répète avec une rigueur particulière au Chili. Selon la fondation Sol : 54% des travailleurs chiliens gagnent moins de 300.000 pesos (390 euros) par mois. Seuls 16% gagnent plus de 650.000 pesos (843 euros) ; le salaire minimum, voire inférieur, est perçu par plus d’un million de Chiliens. Selon l’OCDE, le Chili est le pays le plus inégalitaire en termes de revenus des 18 Etats membres. Ainsi, les revenus des 10% les plus riches dans le pays sont 26 fois plus élevés que les 10% des plus pauvres. Cependant, au Chili, il n’existe pas 10% de riches ou super riches. Selon l’Université du Chili, les super riches accaparent une part gigantesque du revenu national : plus de 30% pour le 1% représentant les plus riches, 17% pour les 0,1% les plus aisés et plus de 10% pour les 0,01% les plus nantis. Ceci est une moyenne qui couvre la période 2004-2010. Personne n’est surpris donc quand le journaliste et historien britannique Robert Hunziker affirme que la force de travail au Chili se développe dans des conditions d’esclavage et qu’il existe un marché d’esclaves plus grand que celui des Etats-Unis en 1850.

La reconnaissance constitutionnelle consentie aux communautés indigènes dans le cadre d’un processus participatif comme l’établissent les organismes internationaux est encore une décision politique systématiquement remise à plus tard, ce qui aggrave l’absence de protection des territoires menacés par les projets miniers et hydroélectriques entre autres. Tout cela profite aux multinationales et entreprises nationales, comme l’application en vigueur de la loi antiterroriste dirigée contre les membres des communautés indigènes, et ce bien que le comité des Droits de l’Homme de l’ONU en mars 2007 ait réitéré les recommandations faites en 2003 sur le devoir de l’Etat de modifier ladite loi.

Et que dire de la situation critique des pensions au Chili ? L’unique description possible est de reconnaître que ce n’est rien d’autre qu’une catastrophe sociale, puisque neuf pensions sur dix seraient de 150.000 pesos (195 euros), soit inférieures au salaire minimum. La santé, de son côté, est un autre facteur social critique dont on parle peu.

Le droit à la santé n’est pas garanti dans la Constitution, sinon seul le droit de choisir entre FONASA ou ISAPRE (mutuelles), c’est à dire d’être recueilli ou abandonné à son propre sort, étant donné que le système public ne satisfait pas aux standards définis par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le budget public dédié à la santé est un peu plus élevé que la moyenne à laquelle il devrait se situer. Seule 20% de la population possède ISAPRE et cette dernière perçoit 60% des cotisations pour s’occuper des plus riches et de ceux qui ne sont pas malades, ce qui fait exploser ses profits.

Nous avons autant de médecins par habitant que les pays développés mais 2/3 travaillent dans le secteur privé pour le secteur le plus riche et 1/3 pour les plus pauvres alors que ces derniers représentent 80% de la population. L’Etat paye aux hôpitaux à peine 40% de leurs coûts réels alors qu’aux cliniques et aux créanciers privés, il transfère plus d’un million de dollars par an, couvrant non seulement les coûts mais aussi les utilités. Une fois de plus : 40% des coûts de santé pour les 80% les plus pauvres et 100% des utilités pour les 20% les plus riches.

Nous avons une Constitution d’origine illégitime, réalisée par sept juristes d’extrême droite, approuvée lors d’un plébiscite totalement frauduleux et légitimé par la Concertation dans un processus aberrant de trahison et de mensonges. Arrivé au pouvoir, un personnage tel que Edgardo Boeninger déclarait dans ses écrits (1997) que le leadership de la Concertation aurait expérimenté à la fin des années 1980 une “convergence” avec la pensée économique de la droite, situation que “politiquement, il n’était pas en condition de reconnaître”.

Convergence ? Plutôt une articulation de trahison, de soumission et de corruption. Cette articulation explique et donne de la cohérence au projet de loi de Lagos, une sorte de Christ Rédempteur du capitalisme et du fascisme, projet approuvé en 48 heures en 2004, qui a laissé impunis les tortionnaires et les violeurs des droits de l’homme, établissant un secret de 50 ans pour toutes les dénonciations effectuées face à la Commission Valech et interdisant au pouvoir judiciaire d’accéder à ces informations. Le point culminal de tout ce processus arrive en 2005 : Ricardo Lagos et la Concertation donnent une “légitimité démocratique” à la Constitution de 1980, par leur signature et celle de tous les ministres, substituant à Pinochet, en échange de l’élimination de l’immobilité des Commandants en chef des Forces Armées, des Carabiniers et du Conseil de Sécurité Nationale, mais la loi organique Constitutionnel des Forces Armées reste intacte.

Tout au long des 200 ans de notre indépendance, nous n’avons pas été capables de sortir de notre condition soumise, subjugués d’être les serviteurs, comme le dit Galeano, des pays du Nord hyper-développés. C’est ce qu’affirme également José Abelardo Ramos dans son “Histoire de la Nation Latino-américaine” lorsqu’il écrit que l’Amérique Latine a perdu la possibilité de se réunir en une Nation et d’avancer vers le progrès social comme le faisaient les Etats récemment unis sur le nord du continent américain.

Les oligarchies agro-commerciales des ports se sont imposées en Amérique Latine sur les aspirations unificatrices de Bolívar, San Martín, Artigas, Alamán, y Morazán. Pendant des décennies sont parus des livres sur “l’argentineité”, la “péruanité”, la “bolivianité” ou la “mexicanité” dans la recherche d’une identité nationale ou culturelle propre mais peu se sont consacrés à redécouvrir l’identité latino-américaine qui était la seule pouvant rendre l’Amérique Latine capable de se constituer en un pouvoir autonome face au progrès du capitalisme.

Quand l’Europe prit possession de l’Amérique Latine, après la ruine de l’Empire espagnol, raconte Aberlardo Ramos, elle contrôla les chemins de fer, les bananes, le café, le cacao, le pétrole ou les viandes et quelque chose qui s’avéra bien plus dangereux : elle coopta une grande partie de l’ intelligentsia latino-américaine, créant une admiration acritique envers ses modèles externes et la rendant aveugle à la tragique réalité de ses propres pays.

Abelardo Ramos expliquait en 1991 que les Latino-américains avaient déjà payé leur tribut d’innocence et ne devaient pas changer une seconde fois son or pour des perles de verre. Ainsi était venue l’heure qu’ils soient eux-mêmes et personne d’autre, qu’ils soient ceux qui se posent les questions et qui se donnent leurs propres réponses. Il se demandait si la nation moderne française serait née sans sa grande révolution ?

Dans “Nuestra América”, José Marti soutient le fait que le problème latino-américain ne se trouve pas dans l’incapacité raciale, culturelle ou historique à dépasser le colonialisme mais dans l’erreur d’assumer sans critiques les formes d’organisation politique et sociale provenant de l’Europe occidentale et des Etats-Unis. Marti soutient une thèse contraire à celle de Sarmiento (président de l’Argentine de 1868 à 1874) qui, dans “Facundo Civilización o Barbarie”, identifie la civilisation avec l’Europe et la Barbarie avec le Noir, le gaucho et le métis américain. Pour Marti, la véritable cause se trouve dans l’imposition aux Latino-américains de modèles non créés par eux-mêmes.

C’est à dire qu’il n’y a pas d’opposition entre la civilisation et la barbarie ou entre la fausse érudition et la nature de Notre Amérique. Et il affirme : “L’Université européenne a cédé la place à l’université américaine”. En même temps, il nous appelle à dépasser la “mentalité villageoise”, à dépasser le chauvinisme et demande que “Les peuples qui ne se connaissent pas soient pressés de se connaître”

En d’autres mots, son oeuvre est un urgent appel à l’unité continentale et à l’action unitaire de notre Amérique face aux dangers ainsi pointés du doigt et dont nous avons souffert au cours de l’histoire. Le défi des peuples de Notre Amérique est donc l’unité, tant continental que local. Nous savons déjà, à travers la tragédie de l’histoire du continent, que jamais nous ne dépasserons la domination coloniale ni impériale si nous ne nous mettons pas debout à l’unisson, conscients et déterminés à prendre l’histoire en main, la tâche n’étant pas seulement continentale mais aussi locale. Aujourd’hui au Chili, après le spectacle imprésentable de la classe politique chilienne au service du capital national et multinational, il ne nous reste pas d’autre chemin que celui de l’unité.

Le Chili a besoin de construire un projet politique sous un nouveau référent, comme l’a été le Front Populaire qui en 1938 a porté le candidat Pedro Aguirre Cerda à la présidence de la République. Lors de cette grande et victorieuse coalition se trouvaient le Parti Communiste, le Parti Socialiste mais également les syndicats ouvriers regroupés dans la Centrale des Travailleurs du Chili (CTCH), la Fédération des Etudiants de l’Université du Chile (FECH) et le mouvement mapuche organisé dans le Front Unique Araucano. Cette union politique réussie est parvenue à battre le duo de cette époque, à savoir les libéraux et les conservateurs, et a ouvert une époque de progrès pour le Chili avec la création de la CORFO et le renforcement de l’Education publique dont le cri de campagne était “Gouverner c’est éduquer”. Un exemple historique que nous devons reprendre aujourd’hui.

Le Chili a besoin d’une révolution, d’un changement de paradigme, d’un tournant historique, d’une refondation de la République, mais cela n’aura jamais lieu sans l’unité du peuple, l’unité de cette réserve morale qui veut réaliser ces changements avec l’appui des peuples frères de l’Amérique. Nous sommes une même Nation et nous atteindrons la splendeur civilisationnelle quand nous serons conscients que nous “naissons de la même branche d’arbre que celui de nos rêves” (Zitarossa)

Comme Marti l’appelait de ses vœux : les arbres se sont mis les uns derrière les autres pour que le géant des sept lieues ne passe pas !

Marcel Claude, Économiste, Santiago du Chili

Source : Journal de Notre Amérique n°9, Décembre 2015, Investig’Action

هیچ نظری موجود نیست: