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8 février 2016
Sans eux, la révolution ukrainienne n’aurait jamais triomphé. En février 2014, des groupes paramilitaires ont affronté la police au coeur de Kiev et ont fait fuir le président Yanoukovitch. Ils ont installé un nouveau gouvernement.
Dans le récit médiatique communément admis, ils ont été présentés comme les héros de la révolution. Ils étaient du bon côté de la barricade. En fait, il s’agissait de corps francs d’extrême droite, désormais lourdement armés.
Ils s’appellent Secteur Droit, Azov ou Svoboda. Ils ont créé de véritables armées parallèles, largement incontrôlées. A Odessa, en mai 2014, ils ont commis un massacre de masse sans être sanctionnés. 45 personnes brûlées vives. Un massacre passé sous le radar.
Comment a-t-il pu nous échapper ? Pourquoi les démocraties occidentales n’ont-elles pas fait entendre leur voix ? Sans doute parce que les milices nationalistes ukrainiennes jouaient les soldats supplétifs dans une guerre beaucoup plus large. La révolution ukrainienne a été soutenue massivement par la diplomatie américaine.
Dans la nouvelle guerre froide Russie-USA, l’Ukraine est un pion décisif dans une stratégie de contention de Poutine. « Les masques de la révolution », de Paul Moreira, explore cette zone restée aveugle.
Paul Moreira répond aux critiques sur son film
Un groupe de journalistes français en Ukraine ont attaqué le documentaire « Les masques de la révolution » de Paul Moreira en dénonçant deux « erreurs factuelles ». Elles sont toutes les deux fausses.
Quand j’ai commencé cette enquête sur l’Ukraine, j’ai découvert avec sidération à quel point le massacre d’Odessa en mai 2014 avait disparu de la mémoire du grand public français. En fait, c’était même un évènement inconnu…
Une info à bas bruit, de celles qui ne laissent pas de traces dans les cerveaux : 45 personnes tuées dans un incendie au cœur d’une grande ville européenne en plein milieu du XXIème siècle. Les victimes étaient des Ukrainiens d’origine russe morts dans l’incendie d’un bâtiment provoqué par les cocktails Molotov de milices nationalistes ukrainiennes.
Après une rapide recherche, je découvrais que le massacre n’avait pas été censuré. Il avait été abordé, évoqué, mais jamais vraiment enquêté. Comme s’il gênait, malgré les heures d’images insoutenables sur You Tube. C’est cette curieuse absence qui m’incita à lancer ce documentaire.
Aujourd’hui, dans une lettre ouverte qui m’est adressée, des correspondants français en Ukraine affirment qu’ils ont bien « reporté, étudié, documenté » le massacre à l’époque. Peut-être mais au cours de plusieurs semaines de recherches, je n’ai pas trouvé trace d’une enquête solide et fouillée sur les responsabilités dans la tuerie. L’enquête judiciaire ukrainienne a été évaluée puis disqualifiée par le Conseil de l’Europe en octobre 2015.
Le massacre d’Odessa est resté classé dans la catégorie des événements « opaques » ou « troubles », donc non existants. A mon sens, ce n’est pas la faute des journalistes. Pour qu’on parle de ces morts, il aurait fallu que nos démocraties s’en émeuvent un peu, officiellement, solennellement. Des réactions fortes des chancelleries. Des communiqués des Ministères des Affaires étrangères. Après l’invasion russe de la Crimée, les populations russophones, dans ce conflit, allaient garder le mauvais rôle. La guerre est aussi (et peut-être surtout) une guerre de la perception.
Qu’est ce qui s’est passé ce 2 mai 2014, à Odessa ? Je l’ai découvert après avoir visionné des heures d’images, interviewé des dizaines de témoins, retrouvé des victimes et des agresseurs, croisé les récits jusqu’à obtenir une relation des faits qui fasse sens de cette furie. Précision importante : je n’ai interviewé et diffusé que les témoins directs des faits, les gens que je voyais dans les images amateur, cela me permettait de filtrer un peu les exagérations et les mensonges qui naissent toujours, du côté des attaquants comme des victimes. Le résultat de ce travail minutieux est au cœur du film qui a été diffusé lundi soir par Canal Plus.
Lors de mon enquête sur ce massacre à bas bruit, j’ai vu l’importance des milices nationalistes. Elles étaient en première ligne dans les combats de rue à Maïdan, puis s’étaient formées en bataillons pour aller combattre à l’Est les troupes russes. Mais ces bataillons ne s’étaient pas dissous dans l’armée. Ils ne s’imposaient pas la même discipline. Ils pouvaient servir de supplétifs au gouvernement. Ou bien s’ériger en police parallèle. Ou encore en force armée insurrectionnelle menaçant le nouveau gouvernement de Kiev. Et, oui, dans leurs rangs, les signes d’une idéologie néo-nazie étaient patents.
Dans leur lettre, les correspondants en Ukraine précisent qu’ils ne sont pas choqués par la thèse du film -la « mise en danger de l’avenir du pays par les groupes d’extrême droite »- puisqu’ils la démontrent eux-mêmes « de longue date ». Ils ont « en permanence traité de cette question dans leur couverture des événements en Ukraine. »
Nous partageons donc les mêmes conclusions. Ce n’est pas le cas des réseaux militants qui de tribune en blog n’ont cessé d’attaquer le film afin d’amoindrir l’importance et le péril posés par ces groupes.
Dans une autre tribune, je suis accusé de faire partie d’une sorte de complot de la gauche altermondialiste alignée sur Poutine. Je suis habitué à ce genre d’accusations. Chacun de mes films en suscite. J’essaye d’être équilibré. Je savais que j’allais rencontrer une opposition virulente. Je ne m’attendais pas à tomber sur un tel déni, des réactions parfois ahurissantes.
Sur un site ukrainien, je suis qualifié de « terroriste » à la solde des services secrets russes. On demande l’interdiction du film. Et même l’ambassadeur d’Ukraine fait pression sur Canal Plus. C’est ce qui m’étonne le plus car dans mon film, je n’amalgame jamais le gouvernement ukrainien et les bandes paramilitaires, bien au contraire je montre leur capacité d’opposition violente, et même l’attaque du parlement.
Venons-en aux critiques détaillées portées par la lettre des correspondants. Mes confrères m’accusent de produire des « informations non recoupées », des « erreurs factuelles », des « manipulations de montage ». Et ils citent deux exemples. Tous les deux faux.
Premier exemple : on me reproche d’utiliser des images de défilés des bataillons néo-nazis postérieurs au Maïdan. Ces images sont une achronie posée là en ouverture de film. Elles illustrent un commentaire annonçant ce qui va suivre dans le documentaire. Et il ne s’agit pas d’une enquête sur ce qui s’est passé en février 2014. J’explique aux spectateurs ce que le film va explorer, les trois composantes des groupes paramilitaires ukrainiens d’extrême droite :
Qui étaient ces gens masqués ?…
Qu’étaient-ils devenus maintenant que les caméras avaient quitté l’Ukraine ?…
Est-ce que l’histoire était vraiment finie ? »
Toute l’enquête s’inscrit dans l’après Maïdan. Je ne pense pas être ambigu.Deuxième exemple, ils parlent « d’approximations sur les affiliations partisanes de personnages-clé » du film. Mais ils ne citent aucun nom. De qui parle-t-on ? Des trois personnages clé du film ? Biletsky ne serait pas le chef de Azov ? Moissichuk n’est pas député du Parti radical d’Oleg Liashko ? Gordienko n’est pas membre d’une milice ukrainienne d’Odessa ?Ensuite, on me reproche des effets de pourcentage éditorial. Comme s’ils ne savaient pas qu’en 52 minutes on ne peut pas tout dire.
Je n’aurais jamais, ou plutôt pas assez parlé du caractère démocratique de la révolution Maïdan, or j’ouvre précisément le film là dessus, sur les demandes légitimes des insurgés (je ne dis pas non plus qu’ils renversent un président démocratiquement élu mais cette simplification là semble ne gêner personne).
J’aurais « évacué » la guerre du Donbass. Ou du moins, je n’aurais pas fait assez long et trop en milieu de film. En vérité, j’explique dans un long passage (très long pour la narration documentaire) la présence des Russes, la propagande de Poutine, la faiblesse de l’armée ukrainienne, les groupes paramilitaires qui deviennent des bataillons et la tension dans le pays. Je n’ai donc rien « éludé ».
Enfin, mes confrères glissent en conclusion l’accusation de « paresse intellectuelle ». Je leur suggère de ne pas rabaisser le débat au niveau de l’insulte, ça ne grandit personne.
Source : http://www.pltv.fr/fr/paul-moreira-...
Une info à bas bruit, de celles qui ne laissent pas de traces dans les cerveaux : 45 personnes tuées dans un incendie au cœur d’une grande ville européenne en plein milieu du XXIème siècle. Les victimes étaient des Ukrainiens d’origine russe morts dans l’incendie d’un bâtiment provoqué par les cocktails Molotov de milices nationalistes ukrainiennes.
Après une rapide recherche, je découvrais que le massacre n’avait pas été censuré. Il avait été abordé, évoqué, mais jamais vraiment enquêté. Comme s’il gênait, malgré les heures d’images insoutenables sur You Tube. C’est cette curieuse absence qui m’incita à lancer ce documentaire.
Aujourd’hui, dans une lettre ouverte qui m’est adressée, des correspondants français en Ukraine affirment qu’ils ont bien « reporté, étudié, documenté » le massacre à l’époque. Peut-être mais au cours de plusieurs semaines de recherches, je n’ai pas trouvé trace d’une enquête solide et fouillée sur les responsabilités dans la tuerie. L’enquête judiciaire ukrainienne a été évaluée puis disqualifiée par le Conseil de l’Europe en octobre 2015.
Le massacre d’Odessa est resté classé dans la catégorie des événements « opaques » ou « troubles », donc non existants. A mon sens, ce n’est pas la faute des journalistes. Pour qu’on parle de ces morts, il aurait fallu que nos démocraties s’en émeuvent un peu, officiellement, solennellement. Des réactions fortes des chancelleries. Des communiqués des Ministères des Affaires étrangères. Après l’invasion russe de la Crimée, les populations russophones, dans ce conflit, allaient garder le mauvais rôle. La guerre est aussi (et peut-être surtout) une guerre de la perception.
Qu’est ce qui s’est passé ce 2 mai 2014, à Odessa ? Je l’ai découvert après avoir visionné des heures d’images, interviewé des dizaines de témoins, retrouvé des victimes et des agresseurs, croisé les récits jusqu’à obtenir une relation des faits qui fasse sens de cette furie. Précision importante : je n’ai interviewé et diffusé que les témoins directs des faits, les gens que je voyais dans les images amateur, cela me permettait de filtrer un peu les exagérations et les mensonges qui naissent toujours, du côté des attaquants comme des victimes. Le résultat de ce travail minutieux est au cœur du film qui a été diffusé lundi soir par Canal Plus.
Lors de mon enquête sur ce massacre à bas bruit, j’ai vu l’importance des milices nationalistes. Elles étaient en première ligne dans les combats de rue à Maïdan, puis s’étaient formées en bataillons pour aller combattre à l’Est les troupes russes. Mais ces bataillons ne s’étaient pas dissous dans l’armée. Ils ne s’imposaient pas la même discipline. Ils pouvaient servir de supplétifs au gouvernement. Ou bien s’ériger en police parallèle. Ou encore en force armée insurrectionnelle menaçant le nouveau gouvernement de Kiev. Et, oui, dans leurs rangs, les signes d’une idéologie néo-nazie étaient patents.
Dans leur lettre, les correspondants en Ukraine précisent qu’ils ne sont pas choqués par la thèse du film -la « mise en danger de l’avenir du pays par les groupes d’extrême droite »- puisqu’ils la démontrent eux-mêmes « de longue date ». Ils ont « en permanence traité de cette question dans leur couverture des événements en Ukraine. »
Nous partageons donc les mêmes conclusions. Ce n’est pas le cas des réseaux militants qui de tribune en blog n’ont cessé d’attaquer le film afin d’amoindrir l’importance et le péril posés par ces groupes.
Dans une autre tribune, je suis accusé de faire partie d’une sorte de complot de la gauche altermondialiste alignée sur Poutine. Je suis habitué à ce genre d’accusations. Chacun de mes films en suscite. J’essaye d’être équilibré. Je savais que j’allais rencontrer une opposition virulente. Je ne m’attendais pas à tomber sur un tel déni, des réactions parfois ahurissantes.
Sur un site ukrainien, je suis qualifié de « terroriste » à la solde des services secrets russes. On demande l’interdiction du film. Et même l’ambassadeur d’Ukraine fait pression sur Canal Plus. C’est ce qui m’étonne le plus car dans mon film, je n’amalgame jamais le gouvernement ukrainien et les bandes paramilitaires, bien au contraire je montre leur capacité d’opposition violente, et même l’attaque du parlement.
Venons-en aux critiques détaillées portées par la lettre des correspondants. Mes confrères m’accusent de produire des « informations non recoupées », des « erreurs factuelles », des « manipulations de montage ». Et ils citent deux exemples. Tous les deux faux.
Premier exemple : on me reproche d’utiliser des images de défilés des bataillons néo-nazis postérieurs au Maïdan. Ces images sont une achronie posée là en ouverture de film. Elles illustrent un commentaire annonçant ce qui va suivre dans le documentaire. Et il ne s’agit pas d’une enquête sur ce qui s’est passé en février 2014. J’explique aux spectateurs ce que le film va explorer, les trois composantes des groupes paramilitaires ukrainiens d’extrême droite :
Qui étaient ces gens masqués ?…
Qu’étaient-ils devenus maintenant que les caméras avaient quitté l’Ukraine ?…
Est-ce que l’histoire était vraiment finie ? »
Toute l’enquête s’inscrit dans l’après Maïdan. Je ne pense pas être ambigu.Deuxième exemple, ils parlent « d’approximations sur les affiliations partisanes de personnages-clé » du film. Mais ils ne citent aucun nom. De qui parle-t-on ? Des trois personnages clé du film ? Biletsky ne serait pas le chef de Azov ? Moissichuk n’est pas député du Parti radical d’Oleg Liashko ? Gordienko n’est pas membre d’une milice ukrainienne d’Odessa ?Ensuite, on me reproche des effets de pourcentage éditorial. Comme s’ils ne savaient pas qu’en 52 minutes on ne peut pas tout dire.
Je n’aurais jamais, ou plutôt pas assez parlé du caractère démocratique de la révolution Maïdan, or j’ouvre précisément le film là dessus, sur les demandes légitimes des insurgés (je ne dis pas non plus qu’ils renversent un président démocratiquement élu mais cette simplification là semble ne gêner personne).
J’aurais « évacué » la guerre du Donbass. Ou du moins, je n’aurais pas fait assez long et trop en milieu de film. En vérité, j’explique dans un long passage (très long pour la narration documentaire) la présence des Russes, la propagande de Poutine, la faiblesse de l’armée ukrainienne, les groupes paramilitaires qui deviennent des bataillons et la tension dans le pays. Je n’ai donc rien « éludé ».
Enfin, mes confrères glissent en conclusion l’accusation de « paresse intellectuelle ». Je leur suggère de ne pas rabaisser le débat au niveau de l’insulte, ça ne grandit personne.
Source : http://www.pltv.fr/fr/paul-moreira-...
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