Shlomo Sand analyse le déclin des intellectuels français (1/3)
- 18 Jan 2017
Shlomo Sand est ce célèbre historien juif israélien, très courageux, qui a publié Comment le peuple juif fut inventé. Son récent livre La fin de l’intellectuel français ouvre des discussions intéressantes. Il analyse les causes du déclin de la pensée dans ce pays. De la pensée ? Non, plutôt, des intellectuels médiatisés.
Démontant les trucs et manipulations des BHL, Finkielkraut, Zemmour, Houellebecq, Val et autres Fourest, il pointe les principaux responsables de cette dégradation : les dirigeants des médias mainstream qui censurent les personnalités charismatiques, mais incontrôlables pour les remplacer par « l’autofabrication de leurs propres élites, des clercs qui se gardent de critiquer directement les véritables élites régnantes, qui savent parfaitement où se situe réellement le pouvoir et qui sont toujours disposés à accuser et à crucifier les misérables ».
Jouissif, mais surtout utile.
Michel Collon
Extrait:
(…) Peu après, un autre vénérable historien, Jacques Julliard, a affirmé qu’il ne s’agit nullement d’un livre sur le danger que constituerait l’islam, et certainement pas d’islamophobie, mais d’une critique sur le penchant collaborateur latent parmi les intellectuels français face à chaque totalitarisme d’importation (nazi, stalinien…). Et de conclure avec une certaine admiration : « Le roman de Houellebecq est un puissant discriminant : il se pourrait que, dans le futur immédiat, il contribue à remodeler la géographie des passions intellectuelles dans la société française. Les réactions de chacun à la lecture de ce livre en disent long sur sa sensibilité propre : il y a désormais, en matière politique, un test Houellebecq. »
Julliard a peut-être exagéré, mais il ne s’est pas trompé : il existe bien un test Houellebecq, qui peut nous aider à mieux comprendre les tendances à la fois islamophobes et conformistes d’une partie significative de l’intelligentsia française, en ce début de XXIe siècle. En fin de compte, et contrairement à l’opinion de ses admirateurs, il n’y a pas une once d’utopie dans le roman de Houellebecq, qui apparaît bien comme une pure dystopie.
Ce roman est un nuage noir goudronneux, enrobé dans du coton parfumé afin de donner de la consistance à l’identité friable d’un nationalisme en crise. Le bon sens montre que la théorie de la France devenant un État musulman en 2022 ne peut être rien d’autre qu’un épouvantail menaçant.
La description d’une minorité musulmane, aujourd’hui plutôt située au bas de l’échelle sociale, qui exercerait une domination toute-puissante sur une majorité absolue de Français soumis, vise explicitement à exploiter des sentiments de peur au sein d’une culture ayant, quelque part, perdu la confiance en soi.
Citer, comme le fait Houellebecq avec insistance, l’ayatollah Khomeiny selon qui « si l’islam n’est pas politique, il n’est rien », dans un État où vivent peut-être six millions de « musulmans », mais où il n’y a pas un seul député de foi coranique vise aussi, notamment, à doper la vente de livres. On peut donc dire, sous forme de paraphrase, que si Soumission n’est pas un livre politique (antimusulman), il n’est rien. Et si l’on remplaçait les musulmans par les juifs, l’on pourrait qualifier le message du livre de « belle haine », selon le qualificatif appliqué à la judéophobie, il y a près de cent vingt ans.
En lisant le livre, je me suis demandé si un romancier français connu aurait osé écrire, en 2015, un livre sur la France qui serait devenue un État juif. Une imagination de type houellebecquienne pourrait-elle, par exemple, évoquer un président de la République nommé Pascal Strauss-Lévy, juif rusé mais politicien modéré, lié à des groupements financiers internationaux, et qui, avec l’aide du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), du club Le Siècle, du Parti socialiste, du Parti Les Républicains, d’Israël et du lobby prosioniste à Washington a réussi à se faire élire à la présidence.
Strauss-Lévy nomme immédiatement le philosophe Alain Gluckskraut ministre de l’Éducation nationale. Les intellectuels commencent à se convaincre de la supériorité de la morale juive antique, et plusieurs gens de médias exigent que la dépouille mortelle d’Emmanuel Levinas soit transférée au Panthéon. À la tête de cette campagne se trouve le journal satirique Beni Hebdo, dont le rédacteur en chef est nommé à la direction de France Inter.
Beaucoup commencent à se chercher des parents ou des ancêtres juifs, et en trouvent effectivement. Des laboratoires de génétique, spécialisés dans la recherche d’ADN, avec l’aide d’instituts experts israéliens, fournissent des attestations à tous les demandeurs. La vie quotidienne connaît aussi des changements. Un complet silence s’instaure le vendredi soir et le samedi (jour du shabbat) : le travail cesse, de même que s’interrompent les transports publics, exactement comme en Israël. Seuls les mariages religieux sont autorisés par l’État, de sorte que les non-juifs ne peuvent pas épouser de juifs, sauf à se convertir au judaïsme, là encore comme en Israël.
La population, en général, peut demeurer laïque ou chrétienne, et l’élevage porcin reste autorisé en France (à la différence de la situation en Israël où l’élevage du porc ne peut avoir lieu que dans des endroits situés à l’écart de la Terre Sainte), mais tout le monde reçoit un enseignement sur le sort tragique du peuple élu et sur son plein droit à évacuer de la patrie biblique le reliquat de la population palestinienne. Pendant ce temps, la mainmise juive, en douceur, sur la France se poursuit. Certains quartiers de la capitale deviennent des lieux exclusivement habités par des juifs fortunés.
Tous les propriétaires des grands réseaux de médias sont juifs, et il faut être circoncis pour pouvoir être nommé à des hautes fonctions de direction dans la banque ou à l’université. Les circoncis musulmans qui ne sont pas employés dans le bâtiment et dans l’entretien devront, en revanche, quitter la France. Juste avant la fin du roman, Israël, devenu un grand pays riche où le capital juif américain coule à flots par l’intermédiaire de Goldman-Sachs, est intégré à l’Union européenne, dont le Conseil des ministres est transféré de Bruxelles à Jérusalem. En Europe, le chômage se réduit, tandis que la croissance décolle et dépasse celle de la Chine. Les juifs montrent au monde, une nouvelle fois, comment diriger une économie florissante.
Cette description « utopique » relève, bien évidemment, du délire, mais elle n’est pas plus excessive ni moins dangereuse que la perspective dystopique dépeinte par Houellebecq. « Grâce à Dieu » (et peu importe lequel) personne ne pourrait publier aujourd’hui, ni en France ni en Europe, une telle fiction politique démoniaque, et être invité, avec tous les honneurs, au journal télévisé de 20 heures, à la veille de sa parution en librairie.
Il n’y a qu’Alain Soral, avec son obstination perverse, pour publier sur son site Internet La France juive, le pamphlet efficace et venimeux d’Édouard Drumont, diffusé, notamment, en direction des jeunes frustrés et désemparés, dans certains quartiers. Ce livre qui, en 1886, en 1938 et en 1943 était considéré comme légitime, « normal » et intéressant, au point d’être devenu un « best-seller » affolant, est, aujourd’hui et à juste titre, perçu comme inadmissible. Le prix à payer pour ce changement de mentalité politique envers les juifs a été, comme l’on sait, très élevé. Personne n’est encore à même de prédire ce que nous risquons d’avoir à payer pour la fabrication de la peur des musulmans dans l’Europe actuelle.
(…)
Sand, Shlomo; La fin de l’intellectuel français, pp. 219-222. La Découverte, 2016.
La fin de l’intellectuel français ? De Zola à Houellebecq
par Shlomo SAND
Historien israélien de renommée internationale, Shlomo Sand a fait irruption dans le débat intellectuel français avec ses ouvrages Comment le peuple juif fut inventé et Comment la terre d’Israël fut inventée. Renouant avec ses premières amours, il se consacre dans ce nouveau livre à la figure de l’intellectuel français.
Au cours de ses études à Paris, puis tout au long de sa vie, Shlomo Sand s’est frotté aux « grands penseurs français ». Il connaît intimement le monde intellectuel parisien et ses petits secrets. Fort de cette expérience, il bouscule certains des mythes attachés à la fi gure de l’« intellectuel », que la France s’enorgueillit d’avoir inventée. Mêlant souvenirs et analyses, il revisite une histoire qui, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à l’après-Charlie, lui apparaît comme celle d’une longue déchéance.
Au cours de ses études à Paris, puis tout au long de sa vie, Shlomo Sand s’est frotté aux « grands penseurs français ». Il connaît intimement le monde intellectuel parisien et ses petits secrets. Fort de cette expérience, il bouscule certains des mythes attachés à la fi gure de l’« intellectuel », que la France s’enorgueillit d’avoir inventée. Mêlant souvenirs et analyses, il revisite une histoire qui, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à l’après-Charlie, lui apparaît comme celle d’une longue déchéance.
Shlomo Sand, qui fut dans sa jeunesse un admirateur de Zola, Sartre et Camus, est aujourd’hui sidéré de voir ce que l’intellectuel parisien est devenu quand il s’incarne sous les traits de Michel Houellebecq, Éric Zemmour ou Alain Finkielkraut… Au terme d’un ouvrage sans concession, où il s’interroge en particulier sur la judéophobie et l’islamophobie de nos « élites », il jette sur la scène intellectuelle française un regard à la fois désabusé et sarcastique.
Reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur (La Découverte)
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