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> AOTAN : mercenaires et propagande au service d’une machine de guerre 2/3

23 février 2015
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À 21 heures, le 20 septembre 2001, le président George W. Bush devant le Congrès prononça un discours dans lequel le religieux s’entremêlait avec le patriotisme. En réaffirmant que Dieu est du côté américain, Bush promettait une vengeance « du bien contre le mal ». Pour la première fois ce soir-là, il utilisera l’expression de « guerre contre le terrorisme », les « amis » d’hier étant devenus les « méchants » du moment.

Dans son allocution Bush exigera que le gouvernement afghan livre les terroristes présents sur son sol sans conditions, ce qui revenait à sous entendre leur complicité en dehors de toutes preuves factuelles que le monde entier attend toujours d’ailleurs. Rédigé par Michael Gerson, une figure de proue de l’intelligentsia évangélique, ce premier sermon américain post-9/11 vendu sous forme de « stratégie du choc » marquera par sa sémantique les fondements de la doctrine Bush : la « guerre préventive » qui, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, plongera durablement toute une partie du monde dans le chaos.

La caution impérialiste

Les accords de Bonn-Petersberg du 5 décembre 2001, ainsi qu’un éventail de résolutions, furent présentés comme la première étape institutionnelle censée régler l’avenir politique de l’Afghanistan. Ce premier acte juridique sera entériné le 20 décembre 2001 par le vote à l’ONU de la résolution 1386 qui, pour l’essentiel, prétend garantir la souveraineté nationale, la justice sociale, et le droit pour tous les Afghans. Aucune des résolutions n’autorise ni n’interdit l’usage de forces militaires. Malgré ce « flou juridique », une coalition elle aussi sous commandement américain OTAN appelée ISAF, fut créée pour « répondre à l’appel de Petersberg », et faire respecter les modalités des différents accords.

La « guerre » était laissée à l’opération US « Enduring Freedom » chargée d’éradiquer les talibans (lire infra). Néanmoins, comme la conférence de Petersberg fut noyautée par l’omniprésence américaine imposant de façon arbitraire les représentants afghans de son choix, ces derniers, tout comme les troupes de l’OTAN engagées au sol ensuite en leur nom, furent ressentis par les populations locales comme dépourvus de toute légitimité. Par la suite, la coalition « supervisa » une « Loya Jirgha » qui rassemblait des chefs de villes et villages (dans un terrain vague de la supposée Université de Kaboul). Or cette assemblée aussi ne représentait qu’un faible pourcentage de la mosaïque ethnique, linguistique et religieuse complexe de la population afghane. Le premier épisode de cette « guerre sans fin » qui se voulait nécessaire et désintéressée, pose donc depuis le début la question de sa véritable logique, de son utilité, et donc de ses buts réels. D’ici la fin de 2016, selon Obama les forces américaines devront quitter l’Afghanistan. Quel bilan politique et moral peut-on tirer de cette occupation de fait ?

1. La guerre comme unique perspective pour le peuple afghan

Si 3476 soldats occidentaux sont morts à fin septembre 2014 en Afghanistan depuis 2001 (dont 86 français qui constituent le 4ème contingent touché derrière les USA, le Canada et le Royaume-Uni), on connaît mal le nombre d’afghans emportés par cette guerre qui n’a toujours pas dit son nom. Le nombre de civils disparus de mort violente serait de 21 000. L’absence de décompte indépendant ne permet que de donner une estimation des pertes totales afghanes, entre 30 000 et 45 000 selon un rapport de 2011 de l’Université de Boston.

Sans entrer ici dans les détails, la « guerre au terrorisme » a fait des ravages sanitaires, alimentaires, monétaires, éducatifs et sociaux qui ont touché la quasi-totalité des foyers des 28 millions d’afghans. 13 ans plus tard, l’Afghanistan est par exemple le pays titulaire du taux de mortalité le plus élevé de toute l’Asie parmi les enfants de moins de 5 ans… En 2012, 450 écoles, dont 75 à 80% des écoles des provinces du sud, étaient encore fermées de façon permanente en raison d’attentats ou de menaces selon Amnesty. Et plus de 3 millions d’afghans sont encore réfugiés au Pakistan ou en Iran. Des chiffres de populations que les pays membres de l’OTAN auraient eux-mêmes du mal à absorber malgré leur PIB largement supérieur. D’autre part, les gouvernements américain et afghan n’ont pas de registres précis, et des dizaines de milliers d’armes d’assaut pourraient avoir disparu. Fin juillet de cette année 2014, John Sopko déclarait que Washington et Kaboul avaient perdu la trace de centaines de milliers d’armes livrées à l’Afghanistan. Des armes qui risquent de se retrouver entre les mains des talibans ou d’autres jihadistes ? La négligence est une habitude après le départ des troupes occidentales (Libye, dépôt d’armes jihadiste).

2. Des crimes impunis

Selon le juge allemand Dieter Deiseroth, « des seigneurs de guerre afghans influents, appartenant surtout à l’Alliance du Nord, ont été financés par le budget des Etats-Unis et ont alors renversé le régime taliban par la force et ce faisant, ils ont, d’après des rapports connus, manifestement commis de terribles violations des droits de l’homme sans en avoir été empêchés. En complément, les forces armées US ont bombardé des positions réelles ou supposées des Talibans et envoyé leurs propres « forces spéciales » et des troupes de l’armée de terre régulière stationnées en Afghanistan – rejointes plus tard par des soldats des états alliés – […] dans le cadre d’ « Enduring Freedom » » (Frankfurter Rundschau, 26 novembre 2009).

Un rapport du 11 août 2014 d’Amnesty International nous alerte sur la situation afghane récente : « Les familles de milliers de civils afghans tués par les forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan ont été privées de justice« . Le rapport « Left in the Dark », qui se penche principalement sur les frappes aériennes et les raids nocturnes menés par les forces américaines, y compris les forces des opérations spéciales, indique que même certains agissements qui semblent être des crimes de guerre n’ont fait l’objet d’aucune enquête et restent impunis. La suite ici.

3. Recrudescence du narcotrafic

Dès 2002, la poussée de la production d’opium en Afghanistan depuis l’arrivée des troupes américaines puis de celles de l’OTAN (force ISAF sous mandat de l’ONU), est une réalité irréfutable. Avec un rendement des cultures qui permet désormais d’atteindre quelques 5500 tonnes produites en 2013 (+49 % par rapport à 2012), l’Afghanistan représente 75 % à 90 % de la production mondiale d’opium. Ci-dessous un tableau de l’évolution annuelle des surfaces cultivées de pavot à opium en hectares entre 1994 et 2013 :



Selon une nouvelle étude de l’ONUDC, la culture du pavot en Afghanistan a augmenté de 7%, passant de 209 000 hectares en 2013 à 224 000 hectares en 2014. En Octobre 2009, le New York Times a rapporté que Ahmed Wali Karzaï, le frère du Président d’Afghanistan Hamid Karzaï, recevait des paiements réguliers de la CIA pour « une variété de services », y compris le recrutement de combattants pour la Kandahar Strike Force (KSF), une milice paramilitaire afghane dirigée par la CIA dans la région de Kandahar. Par ailleurs, le rôle d’Ahmed Wali Karzaï comme go-between (intermédiaire) entre les forces spéciales américaines et les talibans était considéré comme précieux.

Cette enquête du New York Times sera corroborée en octobre 2010 par un billet de Jeff Stein pour le Washington Post, inspiré en partie par l’ouvrage Obama’s Wars de Bob Woodward (l’un des deux fameux journalistes à l’origine du scandale du Watergate). Bob Woodward écrit entre autre dans son livre :

« Ahmed Wali Karzaï, le demi-frère du Président de l’Afghanistan et le responsable de la province stratégiquement importante de Kandahar, a été payé par la CIA depuis plus d’une décennie. »

Abattu et tué par un de ses gardes du corps en 2011, Ahmed Wali Karzaï était accusé depuis de nombreuses années par les journaux américains (Brother of Afghan leader said to be paid by C.I.A. – NYTimes) d’être un important trafiquant de drogue. Ahmed Wali Karzaï semble établir le pont entre le narcotrafic d’un côté, et à la CIA de l’autre.

Cependant le professeur d’histoire du Sud-Est asiatique à l’université du Wisconsin Alfred W. McCoy indique que la CIA a soutenu divers barons de la drogue, des seigneurs de la guerre impliqué dans la guérilla anticommuniste, comme le moudjahid Gulbuddin Hekmatyar, un fondamentaliste violent tristement célèbre pour ses jets d’acides sur les femmes non voilées.

En 1990, le Washington Post démontra que l’allié clé de la CIA dans la région Gulbuddin Hekmatyar exploitait une chaîne de laboratoires d’héroïne au Pakistan sous la protection des services de renseignements du Pakistan (l’ISI). Pour Alfred W. McCoy, la production d’héroïne dans le milieu des années 1970 était nulle, aujourd’hui l’Afghanistan est devenu le premier vrai « narco-Etat » du Monde. La guerre secrète de la CIA dans les années 1970 a servi de catalyseur qui a transformé les zones frontalières entre l’Afghanistan et le Pakistan en plus grande région productrice d’héroïne au monde.

Ancien diplomate canadien et professeur à l’université de Californie, Peter Dale Scott dans son livre "La Machine de guerre américaine", revient de son côté sur les connexions entre la CIA et les groupes de criminels insurrectionnels islamistes liés au trafic de drogue, et nous rappelle que quelques années après leur arrivée au pouvoir, les talibans avaient entrepris une campagne d’éradication des cultures d’opium de l’Afghanistan, avec un succès quasi-total confirmé par le rapport de 2001 des Nations Unies. L’ouvrage de Peter Dale Scott nous démontre finalement que la guerre d’Afghanistan n’est que la suite logique d’un processus pervers engagé depuis longtemps qui voit la CIA tisser des liens avec les narcos-trafiquants et la finance internationale.

Le documentaire « CIA – Opération Laos » du réalisateur Marc Eberle diffusé sur ARTE cette année, relate une partie de cette histoire. Durant la guerre du Viêt-Nam, la base secrète de Long Cheng, QG de la CIA, était devenue un centre névralgique du commerce de l’opium et de l’héroïne, et personne ne disait rien. Par ailleurs, ce documentaire nous explique également comment des bombardements furent cyniquement organisés sur les populations civiles au Laos, la pire guerre aérienne de l’Histoire, une guerre secrète où les américains ont largué davantage de bombes que sur l’Allemagne et le Japon réunis durant la seconde guerre mondiale.



En bientôt quarante ans, force est de constater que de Carter à Obama en passant par Bush, quel que soit le motif invoqué (Dieu, la Liberté ou la « Démocratie »), l’Amérique et ses alliés de l’OTAN n’auront pas laissé la moindre chance au peuple afghan de vivre en paix.

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