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12 février 2015
En décembre l'administration Obama ouvre les portes au changement de la nature des relations diplomatiques avec Cuba, entreprenant un pas historique, lourd en conséquences. Comment interpréter ce tournant ? Quelles sont les raisons en amont à cette décision ? Quelles sont les conséquences, à la fois pour les USA et pour Cuba ? Quelle sera la nouvelle stratégie des USA pour s'opposer et essayer d'abattre le "régime" cubain ? Fabrice Leclerc, président de l'association France-Cuba, répond à nos questions. Entretien réalisé par Raffaele Morgantini
Raffaele Morgantini : Il y a quelques jours le président Barack Obama a déterminé un tournant politique et historique, en rétablissant les relations diplomatiques avec Cuba. Il y a plusieurs avis sur cet événement : pour certains c’est une grande victoire de la révolution cubaine, pour d’autres le président Castro a fait une grande erreur stratégique comparable à celle de Yasser Arafat avec les accords d’Oslo de 1993. Quel est votre avis ?
Fabrice Leclerc : Il est difficile de faire un parallèle avec la situation de Yasser Arafat et de l’OLP au moment des accords d’Oslo de 1993 du fait des différences de contexte et de rapport de force. Certes, on peut y retrouver dans les deux cas une volonté d’indépendance et de souveraineté qui existe à Cuba depuis Carlos M. de Céspedes et José Martí pendant les guerres d’indépendance contre l’Espagne. Cela mis à part, l’OLP était à l’époque toujours en quête d’une forme de souveraineté alors que Cuba luttait pour préserver la sienne acquise au moment de la révolution de 1959.
Malgré l’absence de relations diplomatiques normalisées entre les 2 pays, chacun a conservé une section d’intérêts : américaine à la Havane et cubaine à Washington. Malgré le maintien du blocus contre Cuba et son accentuation au niveau financier ces dernières années, les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et Cuba se sont accrus via l’octroi de licences et dérogations diverses en faveur de certaines sociétés et états américains. Des échanges et collaborations scientifiques existent également entre les 2 pays. Les sondages récents aux Etats-Unis (en faveur de la levée du blocus contre Cuba) et la campagne médiatique du New-York Times allant jusqu’à saluer la mission sanitaire des médecins cubains contre l’Ebola dénotent une préparation de l’opinion publique américaine à un changement de stratégie politique et diplomatique vis-à-vis de Cuba.
Ce changement même s’il est motivé par la défense d’intérêts économiques est aussi une reconnaissance de Cuba et un avœu d’échec de la politique menée jusqu’à présent largement influencée par la communauté cubano-américaine de Miami. C’est l’échec d’une politique qui repose sur un double langage : sanctionner Cuba pour des raisons politiques mais préserver ses intérêts économiques "futures" sur l’île. Il s’agit de maintenir un blocus économique en imposant aussi des sanctions extra-territoriales vis-à-vis de sociétés étrangères commerçant avec Cuba (exemple récent de la BNP-Paribas) en espérant la concrétisation de la politique du "fruit mûr" qui aurait conduit à la chute du gouvernement cubain et à l’ouverture du territoire cubain aux sociétés américaines.
Quelle est à votre avis la véritable raison de ce changement dans la nature de la politique extérieure de la part de l’administration Obama envers Cuba ?
Les changements socio-politiques sur le continent sud-américain ont conduit à une modification du rapport de force avec les Etats-Unis dont le tournant correspond au rapprochement entre le Vénézuela et Cuba avec l’arrivée au pouvoir du président Hugo Chávez. L’échec de l’ALCA supplanté par l’ALBA avec l’alliance de pays d’Amérique Latine et des Caraïbes est un des signes de ce changement de rapport de force. Les prises de parole très critiques à l’ONU de pays membres de l’ALBA ou d’autres pays latino-américains comme le Brésil vis-à-vis des Etats-Unis et la solidarité entre pays latino-américains envers Cuba en est un autre signe. Ce soutien à Cuba est une reconnaissance de son engagement dans la défense des principes d’indépendance et de souveraineté contre l’impérialisme et pour sa solidarité avec ces pays via ses missions internationalistes (alphabétisation/éducation, médecine/santé publique). Ce changement d’orientation dans la politique étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba est donc le résultat d’une pression indirecte de pays d’Amérique Latine sur les Etats-Unis au niveau international et d’un affaiblissement de la communauté cubano-américaine au niveau national. Libéré des enjeux d’une réélection, le président Barack Obama a amorcé un rapprochement historique.
Est-ce que c’est un assouplissement ou, dans le meilleur de cas, la fin de l’embargo, est-il à ce point envisageable ?
Le blocus économique mis en place contre Cuba par les Etats-Unis en 1962 est encadré du point de vue juridique et ne peut être levé que par un vote majoritaire au Congrès. Toutefois, le président américain a une marge de manœuvre importante pour l’assouplir. Rappelons-nous que Jimmy Carter avait facilité les voyages des cubano-américains entre 1977 et 1982 et que Bill Clinton avait octroyé une dérogation sur les produits alimentaires en 2000 (même si la loi Helms-Burton renforçant les sanctions contre Cuba est votée lors de son second mandat). Au cours de son premier mandat, Barack Obama prend également quelques mesures pour faciliter les voyages des cubano-américains sur l’île.
Quel est le rôle que pourrait jouer l’ALBA ou les BRICS dans ce nouveau scenario ? Est-ce que leur poids politique au niveau mondial et un possible soutien au gouvernement cubain pourraient protéger l’île caribéenne d’une nouvelle stratégie d’agression de la part de l’impérialisme étatsunien ?
L’ALBA et les BRICS ont déjà joué un rôle politique important dans l’évolution de la stratégie étasunienne pour les raisons mentionnées précédemment. Le développement de relations économiques avec différents partenaires de l’ALBA et aussi avec le Brésil (construction du port de Mariel) permettent à Cuba de compenser les effets du blocus économique. Dans le même temps, d’autres pays y compris européens souhaitent renforcer leurs échanges avec Cuba (visite de Laurent Fabius à Cuba en 2014).
Peut-il y avoir un re-virement de la position américaine vis-à-vis de Cuba suite au rapprochement amorcé par Barack Obama ? Le parti républicain s’est montré très critique, certains membres démocrates du Congrès également mais ce n’est qu’un prolongement du double langage de la politique étrangère américaine envers de Cuba. Certains républicains du Congrès soutiennent par ailleurs l’initiative de Barack Obama. Dans une perspective à plus long terme, l’intégration de Cuba au sein de l’ALBA et des BRICS est effectivement une stratégie qui permet d’avoir un ensemble de partenaires dans différents secteurs économiques et de garantir une meilleure indépendance dans ses échanges commerciaux et son développement futur.
Source : cet article fait partie du Journal de Notre Amérique n°1, Février 2015, Investig’Action Investig’Action
Fabrice Leclerc : Il est difficile de faire un parallèle avec la situation de Yasser Arafat et de l’OLP au moment des accords d’Oslo de 1993 du fait des différences de contexte et de rapport de force. Certes, on peut y retrouver dans les deux cas une volonté d’indépendance et de souveraineté qui existe à Cuba depuis Carlos M. de Céspedes et José Martí pendant les guerres d’indépendance contre l’Espagne. Cela mis à part, l’OLP était à l’époque toujours en quête d’une forme de souveraineté alors que Cuba luttait pour préserver la sienne acquise au moment de la révolution de 1959.
Malgré l’absence de relations diplomatiques normalisées entre les 2 pays, chacun a conservé une section d’intérêts : américaine à la Havane et cubaine à Washington. Malgré le maintien du blocus contre Cuba et son accentuation au niveau financier ces dernières années, les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et Cuba se sont accrus via l’octroi de licences et dérogations diverses en faveur de certaines sociétés et états américains. Des échanges et collaborations scientifiques existent également entre les 2 pays. Les sondages récents aux Etats-Unis (en faveur de la levée du blocus contre Cuba) et la campagne médiatique du New-York Times allant jusqu’à saluer la mission sanitaire des médecins cubains contre l’Ebola dénotent une préparation de l’opinion publique américaine à un changement de stratégie politique et diplomatique vis-à-vis de Cuba.
Ce changement même s’il est motivé par la défense d’intérêts économiques est aussi une reconnaissance de Cuba et un avœu d’échec de la politique menée jusqu’à présent largement influencée par la communauté cubano-américaine de Miami. C’est l’échec d’une politique qui repose sur un double langage : sanctionner Cuba pour des raisons politiques mais préserver ses intérêts économiques "futures" sur l’île. Il s’agit de maintenir un blocus économique en imposant aussi des sanctions extra-territoriales vis-à-vis de sociétés étrangères commerçant avec Cuba (exemple récent de la BNP-Paribas) en espérant la concrétisation de la politique du "fruit mûr" qui aurait conduit à la chute du gouvernement cubain et à l’ouverture du territoire cubain aux sociétés américaines.
Quelle est à votre avis la véritable raison de ce changement dans la nature de la politique extérieure de la part de l’administration Obama envers Cuba ?
Les changements socio-politiques sur le continent sud-américain ont conduit à une modification du rapport de force avec les Etats-Unis dont le tournant correspond au rapprochement entre le Vénézuela et Cuba avec l’arrivée au pouvoir du président Hugo Chávez. L’échec de l’ALCA supplanté par l’ALBA avec l’alliance de pays d’Amérique Latine et des Caraïbes est un des signes de ce changement de rapport de force. Les prises de parole très critiques à l’ONU de pays membres de l’ALBA ou d’autres pays latino-américains comme le Brésil vis-à-vis des Etats-Unis et la solidarité entre pays latino-américains envers Cuba en est un autre signe. Ce soutien à Cuba est une reconnaissance de son engagement dans la défense des principes d’indépendance et de souveraineté contre l’impérialisme et pour sa solidarité avec ces pays via ses missions internationalistes (alphabétisation/éducation, médecine/santé publique). Ce changement d’orientation dans la politique étrangère des Etats-Unis vis-à-vis de Cuba est donc le résultat d’une pression indirecte de pays d’Amérique Latine sur les Etats-Unis au niveau international et d’un affaiblissement de la communauté cubano-américaine au niveau national. Libéré des enjeux d’une réélection, le président Barack Obama a amorcé un rapprochement historique.
Est-ce que c’est un assouplissement ou, dans le meilleur de cas, la fin de l’embargo, est-il à ce point envisageable ?
Le blocus économique mis en place contre Cuba par les Etats-Unis en 1962 est encadré du point de vue juridique et ne peut être levé que par un vote majoritaire au Congrès. Toutefois, le président américain a une marge de manœuvre importante pour l’assouplir. Rappelons-nous que Jimmy Carter avait facilité les voyages des cubano-américains entre 1977 et 1982 et que Bill Clinton avait octroyé une dérogation sur les produits alimentaires en 2000 (même si la loi Helms-Burton renforçant les sanctions contre Cuba est votée lors de son second mandat). Au cours de son premier mandat, Barack Obama prend également quelques mesures pour faciliter les voyages des cubano-américains sur l’île.
Quel est le rôle que pourrait jouer l’ALBA ou les BRICS dans ce nouveau scenario ? Est-ce que leur poids politique au niveau mondial et un possible soutien au gouvernement cubain pourraient protéger l’île caribéenne d’une nouvelle stratégie d’agression de la part de l’impérialisme étatsunien ?
L’ALBA et les BRICS ont déjà joué un rôle politique important dans l’évolution de la stratégie étasunienne pour les raisons mentionnées précédemment. Le développement de relations économiques avec différents partenaires de l’ALBA et aussi avec le Brésil (construction du port de Mariel) permettent à Cuba de compenser les effets du blocus économique. Dans le même temps, d’autres pays y compris européens souhaitent renforcer leurs échanges avec Cuba (visite de Laurent Fabius à Cuba en 2014).
Peut-il y avoir un re-virement de la position américaine vis-à-vis de Cuba suite au rapprochement amorcé par Barack Obama ? Le parti républicain s’est montré très critique, certains membres démocrates du Congrès également mais ce n’est qu’un prolongement du double langage de la politique étrangère américaine envers de Cuba. Certains républicains du Congrès soutiennent par ailleurs l’initiative de Barack Obama. Dans une perspective à plus long terme, l’intégration de Cuba au sein de l’ALBA et des BRICS est effectivement une stratégie qui permet d’avoir un ensemble de partenaires dans différents secteurs économiques et de garantir une meilleure indépendance dans ses échanges commerciaux et son développement futur.
Source : cet article fait partie du Journal de Notre Amérique n°1, Février 2015, Investig’Action Investig’Action
Communiqué de l’Association France-Cuba
L’Association France-Cuba salue l’ assouplissement des relations entre les Etats-Unis et Cuba. France-Cuba se félicite que ce début de rétablissement de relations entre les deux pays ait conduit à la libération ultime des 3 des 5 Cubains anti-terroristes pour laquelle notre Association a tant milité dès la première heure depuis 2002.France-Cuba s’associe à la satisfaction du peuple cubain du retour des 5 dans leur patrie et partage la joie des familles qui sont désormais réunies. L’initiation de nouvelles relations entre les 2 pays est une reconnaissance de Cuba sur le plan international : Cuba qui a toujours œuvré sur le plan politique et diplomatique, social et humanitaire avec son implication récente et majeure dans la lutte contre Ebola qui s’inscrit dans la ligne politique suivie depuis la révolution de 1959.
France-Cuba est consciente des perspectives futures ouvertes par cette reconnaissance et l’évolution souhaitable de la levée du blocus économique maintenue depuis un demi-siècle et condamné régulièrement aux Nations-Unies à la presque unanimité chaque année.
France-Cuba reste attentive à l’évolution de la situation internationale concernant le blocus économique et continue de militer pour la levée de ce blocus injuste et inhumain afin que les cubains puissent poursuivre en toute indépendance le chemin de développement original qu’ils ont choisi depuis leur révolution. Investig’Action
France-Cuba est consciente des perspectives futures ouvertes par cette reconnaissance et l’évolution souhaitable de la levée du blocus économique maintenue depuis un demi-siècle et condamné régulièrement aux Nations-Unies à la presque unanimité chaque année.
France-Cuba reste attentive à l’évolution de la situation internationale concernant le blocus économique et continue de militer pour la levée de ce blocus injuste et inhumain afin que les cubains puissent poursuivre en toute indépendance le chemin de développement original qu’ils ont choisi depuis leur révolution. Investig’Action
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