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8 novembre 2015
Comme tout l’indiquait avant le jour du vote, Alassane Ouattara est le vainqueur de la présidentielle du 25 octobre 2015. Bref retour sur le chemin qui l’a conduit à la présidence et sur ses cinq premières années de pouvoir.
La Côte-d’Ivoire est un pays de grande tradition agricole. Très tôt, l’activité pastorale y a attiré les ressortissants des pays voisins venus chercher du travail. Les capitalistes aussi y ont afflué pour se faire du lucre. Ce pays d’Afrique de l’Ouest accède à l’indépendance en 1960 avec pour président Félix Houphouët-Boigny. L’ancien membre du Rassemblement démocratique africain, parti panafricaniste qui a retourné sa veste pour embrasser les colons signe des accords de coopération militaires, monétaires, économiques avec la France pour vider l’indépendance de son contenu. La Côte-d’Ivoire, grande productrice de cacao devient aussi le quartier général de l’impérialisme françafricain (1). Les multinationales du négoce comme Sucres et Denrées, Philip Brothers, etc., y sont à l’aise comme des poissons dans l’eau !
Lorsqu’Houphouët-Boigny meurt en 1993, son premier ministre, un certain Alassane Dramane Ouattara veut occuper le fauteuil présidentiel. Mais face à l’opposition de la classe politique et à la détermination d’Henri Konan Bédié, il renonce. Bédié, président de l’Assemblée nationale assure l’intérim conformément à la Constitution. Comme sous Houphouët-Boigny, l’économie du pays est laissée à la merci des multinationales qui payent le kilogramme du cacao selon leur humeur du jour ! Mais Konan Bédié va plus loin en démantelant les dernières structures comme la Caisse de stabilisation des prix du cacao et du café qui permettait de maintenir un prix moyen d’achat aux producteurs. Comme son prédécesseur Houphouët-Boigny, M. Bédié est couvert de tous les éloges par les dirigeants occidentaux. Les médias lui accordent un traitement princier dans leurs colonnes.
Contre toute attente, Laurent Gbagbo est élu président de Côte-d’Ivoire et investi en novembre 2000. Les impérialistes se rappellent de ce professeur d’histoire qui a toujours critiqué Houphouët-Boigny, Bédié et surtout l’impérialisme qu’ils servaient. Pis, le nouveau président n’a pas abandonné sa rhétorique anti-impérialiste. Son slogan pendant la campagne électorale était d’ailleurs claire : « Donnez-moi le pouvoir pour que je vous le rende ». Il veut donc prendre le pouvoir aux multinationales pour le remettre aux Ivoiriens. Voilà ce que les impérialistes ne tolèrent jamais. Il faut préparer l’après Gbagbo.
Les multinationales du cacao sont à la manœuvre. Le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer révèle en juillet puis octobre 2002 que le groupe Armajaro( négoce du cacao) a financé des groupes rebelles basés au Burkina Faso et au Mali pour un montant de 30 milliards de FCFA. Comme pour donner raison au journaliste, une rébellion puissamment dirigée par Guillaume Soro (actuel président de l’Assemblée nationale) plonge le pays dans l’insécurité et dans l’instabilité.
En 2010, la Côte-d’Ivoire organise sa première élection présidentielle depuis celle de 2000. A l’issue du scrutin, au lieu d’un président de la République, la Côte-d’Ivoire en a deux ! Laurent Gbagbo est déclaré élu par la Cour constitutionnelle tandis qu’Alassane Dramane Ouattara est déclaré élu par la Commission électorale indépendante et très vite reconnu comme tel par la « Communauté internationale ». Une crise post-électorale s’ouvre. Face à l’intrépidité des soldats loyalistes qui défendent la légalité constitutionnelle, les soldats de la force française Licorne présents dans le pays entrent en guerre. Ils sont rejoints par les éléments des forces spéciales dépêchés par le président français d’alors, Nicolas Sarkozy pour neutraliser Laurent Gbagbo. C’est ainsi que le 11 avril 2011, le président ivoirien est capturé dans son palais à Abidjan et conduit dans une cellule à la Haye. Depuis 4 ans, il attend l’ouverture de son procès qui ne s’ouvre pas malgré sa volonté de comparaître. Fin octobre, la Cour pénale internationale a encore rejeté sa demande d’ouverture de procès en Côte-d’Ivoire ou en Arusha en Tanzanie.
La croissance sans développement d’Alassane Ouattara
Immédiatement après la capture de Laurent Gbagbo, le discours sur la Côte-d’Ivoire a changé. Les hommes politiques et les journalistes ne cessent de vanter le taux de croissance du pays. Parlant du pays d’Alassane Ouattara, la banque mondiale indique que « Le taux de croissance s’est établi à 10,7 % en 2012, puis 8,7 % en 2013 et les projections s’établissent entre 9 à 10 % pour 2014. La normalisation de la situation sociopolitique et sécuritaire s’est aussi traduite par une nette amélioration de l’environnement des affaires, plaçant la Côte d’Ivoire parmi les 10 pays les plus réformateurs dans ce domaine en 2014 et en 2015, selon le classement Doing Business de la Banque mondiale. Le Plan National de Développement (PND) 2012-2015 a pour ambition de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020 (2) ». Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, serait-on tenté de dire en lisant ce qu’écrit la Banque mondiale sur ce pays. Et pourtant !
La croissance tant vantée en la Côte-d’Ivoire repose essentiellement sur l’endettement public. Au quatrième trimestre de cette année 2015, la Côte-d’Ivoire a évalué sa dette à 7804 milliards de FCFA. L’annonce a été faite par Bruno Nabagné Koné, porte-parole du gouvernement au terme d’un conseil de ministres. Cette ardoise est répartie comme suit : 4 772 milliards de FCFA pour la dette extérieure et 3031,9 F CFA pour la dette intérieure.
La dette de d’Ivoire atteint ainsi le niveau d’avant l’atteinte du Point d’achèvement de l’Initiative Pays pauvres très endettés en 2012. Or, selon les spécialistes, lorsque la Côte-d’Ivoire a atteint ce point sa dette extérieure a été réduite à 3,1 milliards de dollars (1500 milliards F CFA). On est donc passé de 1500 milliards F CFA à 4 772 milliards entre 2012 et 2015. Pourtant, le pays devrait disposer d’un matelas financier parce que la Trésorerie ne débourse plus les milliards à la fin du mois pour payer la dette extérieure. C’est tout le contraire.
Cela est d’autant plus inquiétant que sur le plan social, les indicateurs sont au rouge. Le taux de chômage augmente. La Banque mondiale reconnait que la « Côte d’Ivoire a pris du retard dans la réalisation de la plupart des Objectifs de Développement pour le Millénaire (ODM), et presque tous les indicateurs ont stagné ou se sont dégradés (3) ». A ce tableau déjà sombre, la Banque mondiale indique qu’en 2014 la Côte-d’Ivoire a été classé 171e sur 187 pays selon l’Indice de Développement Humain (IDH). Selon les statistiques de UN Comtrade, les produits manufacturiers représentent moins de 10% des exportations totales du pays. En conséquence, ses matières premières étant exportées à l’état brut, la population locale n’en ressent pas les retombées en termes d’emploi. Bien plus, le manque d’intégration de l’économie ivoirienne entraîne la faiblesse des échanges intermédiaires entre les différents secteurs. Ce manque de complémentarité ou d’intégration ne favorise pas non plus la création d’emplois indirects dans d’autres filières. Or, il ne peut y avoir de réduction de pauvreté sans création de richesse ni d’emplois.
A cela, il faut ajouter la corruption et la mal-gouvernance. Dans son édition de septembre 2015, les journaux ont révélé les achats d’armes effectuées par le président Ouattara à travers les sociétés-écrans pour un montant de 60 milliards de FCFA. Ces achats avaient été faits en prélude à l’élection présidentielle du 25 octobre 2015. Le président a débloqué en catimini la somme de 60 milliards de FCFA pour se doter des armes de pointe afin d’éviter toute défaite dans une éventuelle crise postélectorale. Il n’a pas oublié 2011 et craignait d’être victime de la logique de l’arroseur-arrosé ! Pour son maintien au pouvoir, le président ivoirien ne lésine vraiment pas sur les moyens. Comme l’explique Théophile Kouamouo dans son article, Alassane Ouattara a débloqué la somme de 10 milliards de F CFA pour sa campagne électorale. Avec une telle mise, il ne pouvait que gagner l’élection. Et une fois élu, il faut bien sûr un retour sur investissement.
On le voit, l’OTAN et la France de Sarkozy ont fait la guerre en Côte-d’Ivoire pour y installer un président issu de leur rang. Quatre ans après, le pays ne s’est pas relevé. Il est dans un cycle d’endettement qui compromet ses chances de développement. Ce n’est pas seulement le quotidien des Ivoiriens qui est compromis. Leur avenir est hypothéqué. Ils devront travailler pour rembourser une dette qui ne leur a pas profité.
Notes :
1) Jacques Foccart reconnait dans ses mémoires qu’il téléphonait au moins une fois par semaine à Houphouët-Boigny pour donner des instructions et recevoir des suggestions du « vieux », sur quel dirigeant africain il faut punir pour avoir pris des distances vis-à-vis des intérêt français ou quel autre il faut récompenser pour avoir sacrifier son pays à l’autel de la Françafrique.
2) http://www.banquemondiale.org/fr/co..., consulté le 25 octobre 2015 à 22h03m.
3) http://www.banquemondiale.org/fr/co..., consulté le 25 octobre 2015 à 22h15m.
Source : Le Journal de l’Afrique, Investig’Action
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