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8 février 2016
Dans le contentieux judiciaire qui, durant plus d’une décennie, a opposé Chevron aux victimes du désastre écologique, une décision de « justice » a tranché : la responsabilité de la pollution du territoire est imputable à l’Etat équatorien, l’impunité de la multinationale est assurée. Chris den Hond, réalisateur vidéo chevronné, est allé à la rencontre des habitants de l'Amazonie et des autorités équatoriennes pour réaliser un film-enquête en adoptant le point de vue des principaux témoignages dans cette affaire : les victimes. Soigneusement documenté, le film a été co-réalisé avec Mireille Court. Interview avec l'auteur de "Equateur : la forêt empoisonnée".
La présence de l’entreprise étatsunienne Texaco-Chevron sur le territoire amazonien de l’Equateur arriva définitivement à son terme après le dépôt d’une plainte collective de trente mille habitants de la région dénonçant la pollution de leurs terres. Quels furent les principaux dégâts provoqués par l’exploitation du pétrole dans l’Amazonie équatorienne par Texaco-Chevron ?
Texaco est resté trente ans sur le terrain, de 1964 à 1992. Cela fait trente ans de pollution énorme. Puis Texaco a été repris par Chevron, qui est parti après être resté un an en Equateur (d’où le nom Texaco-Chevron). En 1992, une plainte contre Texaco fut déposée par trente mille habitants affectés par la pollution. Les trente mille plaignants comptent aujourd’hui sur le soutien du gouvernement Correa. Ils demandent d’une part une indemnisation pour les morts victimes de cancers et d’autre part le nettoyage des dégâts de la pollution environnementale.
Après être allé sur place, ma conclusion est que la pollution est pire que ce que j’imaginais et que les dégâts sont indéniables. Les équipes scientifiques affirment que dans la région polluée il y a plus de trente pourcent, et même plus de quarante pourcent de cancers que dans d’autres régions de l’Equateur. Cela veut dire que, jusqu’au jour d’aujourd’hui, des gens meurent pour cette raison.
Dans les zones où Texaco-Chevron a réalisé ces extractions, il y a toujours des habitants ?
Oui, les gens habitent là. Il y a de 1000 à 1700 puits, c’est un grand problème encore aujourd’hui, car ils ont jeté un peu de terre dessus et c’est tout. Mais il suffit de mettre la main dedans pour voir qu’il y a encore du pétrole, donc le sol est pollué sur des dizaines de mètres carrés. Les rivières sont polluées, le bétail est affecté, le café ne pousse pas. Et les dégâts sur les gens sont terribles. Il y a beaucoup de peuples autochtones...
Lorsqu’on cherche à savoir la vérité, il faut s’intéresser au point de vue des deux parties. Or, après avoir regardé votre film, il est assez choquant de lire ou d’entendre les techniciens de Texaco de l’époque affirmer face aux sceptiques que les puits de pétrole ne représentaient aucun danger. Ils chantaient les louanges des propriétés médicinales de ce liquide noir et visqueux, affirmant qu’il contenait des vitamines, que c’était bon pour le rhumatisme...ils recommandaient carrément aux habitants de s’y baigner !
C’est exact. Et ce n’est pas tout : ces mêmes techniciens de Texaco avaient déposé des brevets sur la façon de produire de façon moins polluante. Et ces mêmes techniciens n’utilisaient pas leur propre technologie pour les extractions. Pourtant, il y a des normes. Il est interdit d’extraire du pétrole et le jeter sur la terre. Il faut des bâches imperméables. Et il n’y en avait pas. En plus il y avait des tuyaux d’où coulait l’eau toxique.
Que penses-tu des voix critiques à l’encontre du gouvernement Correa ? Il peut paraître paradoxal que ces critiques se concentrent sur la question écologique...
A ce propos, je réponds que la réalité n’est pas noire ou blanche. Ce n’est pas comme si Correa soutenait à 100 % le camp des écologistes et des mouvements de protestation contre les multinationales, ce n’est pas comme cela. Au début, ce furent les plaignants qui prirent l’initiative de faire un procès contre Texaco devant un tribunal équatorien. Mais, si le gouvernement de Correa fut interpellé par le cas de Chevron, c’est parce qu’au terme de ce procès, il y eut une deuxième plainte de Chevron contre l’état équatorien, pour que celui-ci paie les dégâts. Bref, en fin de compte, ça aurait été aux plaignants, c’est à dire aux citoyens, de payer eux-mêmes. Dès lors, l’Etat mit en place des actions juridiques en soutien aux plaignants. Alors, c’est sûr et certain qu’avec le gouvernement actuel, les plaignants sont aidés.
Ce qui complique le tableau, c’est la question du modèle dit « extractiviste »...
Nous, nous avons choisi de nous concentrer sur le cas de Chevron. Nous pensons que la politique énergétique du gouvernement actuel de l’Equateur, c’est à lui de décider, c’est son autonomie. Sur l’extractivisme il y a plusieurs opinions en Equateur. Il y a celle du parti du mouvement écologiste et de personnes comme Alberto Acosta ou la Présidente d’Accion Ecologica, consistant à dire : "il faut tout arrêter, c’est à dire, arrêter ce modèle basé sur l’extractivisme". Mais même eux sont d’accord sur le fait qu’il faut passer par une période de transition. Car cela dépend de nombreux facteurs, et on ne peut pas arrêter un modèle ou un système économique du jour au lendemain, il faut une transition. Mais ils ne sont pas d’accord sur le fait que le gouvernement de Correa continue à creuser de nouveaux puits. Alors, ceux qui ont cette opinion défendent l’idée que le gouvernement devrait limiter l’exploitation pétrolière aux puits existants. Mais cette idée n’est pas faisable car les puits sont épuisés. Un puits dure dix, douze ou quinze ans, après il est épuisé. Donc tu ne peux pas avoir le même niveau de production en limitant la production aux puits existants.
Et qu’en pensent les habitants de la région, par exemple les communautés indiennes ?
Eh bien, dans le film on peut écouter le témoignage d’une femme qui dit : "si on arrête tout, il n’y a plus de travail pour nous". Alors, bien sûr, s’il fallait fermer les mines, il faudrait mettre en place une reconversion industrielle. Mais ceux qui disent qu’il faut arrêter l’extraction minière ou pétrolière devraient penser aussi aux gens qui vivent de cela. Je considère qu’il faut être extrêmement humble et qu’on ne doit pas donner de leçons à ce gouvernement. Je me limite à constater que le gouvernement équatorien soutient les plaignants dans l’affaire Chevron. Il ne faut pas l’idéaliser non plus, mais sans doute ce gouvernement est-il en train de faire des efforts considérables contre la pollution des sols. Car l’extraction pétrolière actuelle n’a rien à voir avec l’extraction d’il y a vingt ou trente ans.
Des normes ont été mises en place...
Oui, il y a des normes, et il y a un Ministère de l’Environnement. Dans notre film, une responsable du Ministère dit, très honnêtement, que leur plus grand problème est la corrosion des tuyaux. Pour prévenir une cassure dans les tuyaux, il faut les remplacer. Et ce sont de milliers et des milliers de mètres.
Et quels moyens le gouvernement de Correa a-t-il pour faire pression sur Chevron ?
Ce qui est le plus intéressant, juridiquement parlant, c’est que Chevron ne se trouve pas en Equateur. Le jugement de la Cour équatorienne, établissant que Chevron doit payer 9,2 milliards de dollars, ne peut pas s’appliquer en Equateur car Chevron n’y est plus. Alors, que fait le gouvernement ? Il cherche la soixantaine de pays dans le monde où Chevron a des biens. Par exemple, le Canada ou l’Argentine. Cette partie juridique est difficile à expliquer, et il faut lui consacrer du temps pour le faire de façon pédagogique...En Argentine, où Chevron a des biens, il y a eu un juge argentin qui a dit que le jugement de la Cour équatorienne sur les 9,2 milliards pouvait être appliqué dans son pays. Il était donc question de prendre 9,2 milliards de biens de Chevron en Argentine pour indemniser les victimes...mais il s’est produit un chantage contre le gouvernement argentin lorsque Chevron l’a menacé de quitter le pays. Par contre, en septembre 2015, un juge canadien a dit que cette plainte était recevable et qu’un procès pouvait démarrer afin d’établir la responsabilité de Chevron et éventuellement confisquer ses biens au Canada.
Les plaignants, eux, n’ont toujours pas lâché l’affaire...
En effet, c’est une lutte de longue haleine. Toute la vie de l’avocat Pablo Fajardo, dont le témoignage apparaît dans le film, a été consacrée à étudier comment le jugement équatorien en faveur des plaignants pouvait être appliqué dans les pays étrangers où Chevron s’est implanté.
Regarder le film Equateur, la fôret empoisonnée
Source : Journal de Notre Amérique, février 2016
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