Bolivie : l’affaire Zapata, entre le conte chinois et la conspiration états-unienne
- 13 Juin 2016
Géopolitique du mensonge
Au 21ème siècle, tous les coups bas qui ont eu lieu en Amérique Latine ont deux caractéristiques communes : ingérence des Etats-Unis et la manipulation médiatique. Depuis 2002 au Venezuela, quand les médias ont joué un rôle fondamental en appuyant les putschistes et en allant jusqu’à manipuler des images, tant pour provoquer des affrontements entre chavistes et opposants que pour générer un climat d’ingouvernabilité ; jusqu’aux événements actuels au Brésil où la droite nationale, articulée autour de l’extrême droite latino-américaine et au Département d’État, a pu compter sur l’indéfectible collaboration du Réseau Globo dans sa tentative de discréditer et de construire une réalité sur base de mensonges, notamment autour de Dilma, accusée de corruption et ce sans charge sérieuse et encore moins de preuves…
Dans le cas de la Bolivie, le coup bas médiatique orchestré contre le processus de changement a pu compter sur les mêmes ingrédients principaux : l’ingérence des Etats-Unis et la manipulation médiatique par une partie du « Cartel du Mensonge » composé d’un ensemble de médias représentant l’opposition et qui ont complété l’action de celle-ci dans l’étape décisive du putsch, dans les semaines qui ont précédé le referendum constitutionnel visant à renommer l’actuel Président.
Après un premier coup d’état anticonstitutionnel (2006-2007), un coup d’état « civico-préfectural » (2008), un autre putsch terroriste-séparatiste (2009), et un dernier contre les organisations sociales (TIPNIS 2011 et 2012), il se trame depuis la victoire d’octobre 2014 un coup d’état médiatique contre le processus de changement, mais surtout contre l’élément d’équilibre et de cohésion de ce processus en la personne du Président Evo Morales Ayma.
Le timing ne pouvait pas être mieux choisi : trois semaines avant le referendum du 21 février. L’acteur choisi pour initier la deuxième phase de la conspiration n’est autre que Carlos Valverde, un paramilitaire d’extrême droite, ancien chef des Services Secrets du Gouvernement de Paz Zamora (MIR-ADN) qui a été arrête en 1993 pour trafic de cocaïne. Derrière Valverde, on retrouve l’attaché commercial de l’ambassade des Etats-Unis en Bolivie, Peter Brennan.
L’ingérence étasunienne dans le « Cas Zapata »
Qui est Peter Brennan ? L’actuel attaché commercial est un personnage obscur. Diplômé de la Faculté de Relations Internationales de l’Université de Georgetown, il est devenu dans les années 90 Adjoint au Directeur de l’Agence d’information (USIA). Cette agence se chargeait de couvrir les agents de la CIA lors de leurs missions à l’extérieur. En plus de cela, il a été Conseiller à l’Ambassade des USA à Managua (Nicaragua) afin d’éliminer une partie des réalisations du sandinisme, tel que le système de défense créé durant la révolution ; et également Conseiller auprès de l’ambassade à Islamabad (Pakistan) quelques mois après l’assassinat de Ben Laden par une unité des opérations spéciales des NavySeals américains, en coordination avec la CIA. Sa destination suivante allait être la Bolivie, mais avant cela, entre 2010 et 2012, Brennan est retourné à Washington afin de prendre en charge la section « Cuba » au Département d’Etat. La prise de fonction de Brennan à la tête du groupe « Cuba » coïncide, de manière millimétrée, avec la mise en marche du programme « Zunzuneo ».
Ce programme, connu comme le « Twitter cubain », était un programme de la CIA développé sous le couvert de USAID, qui prétendait créer un réseau de SMS à Cuba, initialement dans le but innocent d’informer le public sur des questions culturelles, sportives, etc., pour qu’une fois mis en marche ce même réseau envoie des messages au contenu politique, incitant ainsi les utilisateurs de « Zunzuneo » à créer des concentrations massives qui puissent, à terme, déclencher un « printemps cubain ».
Ce n’est donc pas un hasard qu’il y ait eu, il y a quelques mois, des réunions entre Valverde et Peter Brennan, dont certaines ont été admises par ceux-ci.
La conspiration était donc en marche, et Brennan a trouvé en Valverde le détonateur parfait du scandale, sans donner le temps au gouvernement bolivien de réaliser les enquêtes nécessaires afin de clarifier l’affaire avant le vote du 21 février.
Le cartel du mensonge
Mais la conspiration n’aurait jamais pu atteindre son objectif contre le Président Evo Morales sans la collaboration d’un cartel de médias avec lesquels ils partageaient certains intérêts : le harcèlement et la démolition de la figure-même d’Evo Morales, empêchant ainsi la victoire du « Oui » au prochain referendum.
Cet ensemble de médias de l’opposition, qui décidèrent de laisser de côté toute éthique journalistique afin d’attaquer avec des mensonges et des calomnies durant 100 jours, est connu sous le nom de « Cartel du Mensonge ». Ce cartel de l’opposition se compose de journaux tels que « Pagina Siete » et « El Deber », l’agence de presse Fides (ANF) et le réseau de radios Erbol. Tant ANF qu’Erbol sont des sociétés appartenant à l’Eglise Catholique, propriétaire de plus d’une centaine de médias écrits mais aussi radiodiffusés et audiovisuels dans les villes principales de Bolivie. A ce cartel, il faut encore ajouter quelques francs-tireurs de la droite bolivienne qui se sont joints à la campagne d’harcèlement et de démolition du processus de changement. Parmi eux : Amalia Pando, Raul Peñaranda et Andres Gomez Vela.
Mais cette combinaison entre l’ingérence étasunienne et la manipulation médiatique ne s’est pas faite par hasard. On peut notamment citer comme exemple l’interview d’Evo Morales publiée dans le journal « El Deber » du 22 janvier 2016, où l’on demande au Président :
ED : On m’a dit que vous aviez une petite-amie blonde, de 26 ans…
EM : Blonde ? Non, pas blonde, jamais !
ED : Vous n’aimez pas les jeunes filles ?
EM : Elles peuvent me plaire, mais elles ne sont pas fiables, je préfère mes sœurs de la campagne. Elles sont beaucoup plus dignes de confiance.
ED : Mais vous n’avez toujours pas de petite-amie ?
EM : Vous savez bien que j’ai une petit-amie. Ou vous ne savez pas ? Ma petit-amie est la Bolivie.
Est-ce réellement une coïncidence que deux semaines avant la révélation de Valverde, mais déjà après les rencontres avec Brennan, « El Deber » pose des questions au Président sur une petite-amie qu’il aurait eu il y a neuf ans?
Après cette entrevue avec « El Deber » et les « révélations » de Valverde, le peuple bolivien a souffert durant 100 jours d’un bombardement médiatique dans lequel la recherche de la vérité a été totalement mise de côté au profit de l’objectif principal qui était de mener à bien une stratégie de démolition du processus de changement et de l’appui du noyau dur de ce même processus en la personne d’Evo Morales Ayma.
Le clan Zapata
Mais cette ingérence et cette manipulation avaient besoin d’une histoire sur laquelle s’appuyer, et celle-ci fut apportée par Gabriela Zapata, sans que l’on sache déterminer si ce fut volontairement ou non. Mademoiselle Zapata, personnage principal d’un roman dont les acteurs secondaires sont plus importants que les personnages principaux, est passée de sympathisante du processus de changement à une lobbyiste qui a créé un réseau criminel afin de tenter de décrocher des contrats de plusieurs millions lui permettant de percevoir une commission, telle que dénoncée par le Ministre de la Présidence Juan Ramin Quintana.
Dans ce même parcours, elle finit par faire affaire avec deux avocats pour le moins obscurs : Walter Zuleta et Eduardo Leon, qui lui auraient conseillé d’utiliser à des fins économiques sa relation passée avec Evo Morales. Leon, ancien directeur juridique de Pepelucho, est un avocat dont le parcours est marqué par la corruption et qui est connu pour avoir défendu tous les cas susceptibles de déstabiliser le gouvernement, tels que celui du Fonds autochtone. Zuleta, lui, est actuellement un fugitif et semble être le lien avec les affaires louches des entreprises Zapata.
Cependant, une histoire basée sur tant de mensonges ne pouvait pas tenir longtemps, une fois l’objectif de provoquer la déroute du « oui » lors du referendum atteint. Le 10 mai, la plénière de l’Assemblée législative plurinationale a approuvé par une majorité de 2/3 le rapport présentant les conclusions de la Commission Mixte Spéciale d’Enquête sur les contrats signés par l’Etat avec l’entreprise chinoise CAMC, rapport qui rejette tout trafic d’influence de la part du Président Evo Morales en faveur d’une entreprise installée en Bolivie depuis bien avant son élection en 2005, et de laquelle Gabriela Zapata a été la gérante huit ans après sa relation avec Evo.
Le 11 mai, le deuxième Tribunal de l’enfance et de l’adolescence de La Paz a publié une résolution (N° 135/2016) sous forme de sentence qui détermine « l’absence de preuve physique de l’existence de l’enfant Ernesto Fidel Morale Zapata », soulignant la « conviction du juge que l’enfant si souvent mentionné n’existait pas physiquement ».
Peu après, le 16 mai, le « narco-journaliste » Carlos Valverde a publié sur Twitter un message où il affirme «avoir eu accès à une source sérieuse qui confirme que le supposé fils de Gabriela Zapata Montaño et du président Morales n’existe pas ». Avant cela, certains médias, tel que « El Deber », avaient déjà baissé le ton de leurs propriétaires et avaient cessé de contribuer à l’affaire Zapata. Cette affaire s’est donc effondrée et les principaux acteurs ont commencé à quitter le navire, mais pas avant d’avoir déstabiliser le processus de changement dans un putsch bien plus agressif que les quatre précédents.
Cent jours « d’Affaire Zapata » ; cent jours durant lesquels la Bolivie a vécu en état de siège dans une Guerre de IV Générations ; cent jours durant lesquels le conflit géopolitique entre les Etats-Unis et la Chine est devenu plus présent que jamais sur l’échiquier sud-américain ; cent jours qui ont été la honte de l’opposition bolivienne, qu’elle soit politique ou médiatique.
Source: Le Journal de Notre Amérique n°15, Juin 2016, Investig’Action
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