۱۳۹۴ آذر ۳۰, دوشنبه

20 décembre 2015
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Le chômage est au cœur du discours, mais ne l'est pas dans la pratique politique. Au contraire, il est instrumentalisé pour tenter de justifier toutes les mesures les plus rétrogrades portant atteinte aux droits sociaux considérés jusque-là comme les mieux établis.



La prétendue « lutte contre le chômage » dissimule notamment la généralisation de la précarité (y compris dans le secteur public). Elle est conjuguée avec une sorte de sacralisation de l’Entreprise dotée de toutes les « vertus » à qui toutes les libertés doivent être reconnues et tous les moyens attribués parce qu’elle serait la source de tout progrès, y compris social. Il en serait ainsi de la croissance qui quasi-mécaniquement conduirait à la résorption du chômage (1).

Toutefois, le constat dans toute l’Europe du non-recul du chômage conduit à des positions plus subtiles des forces dominantes (direction des grandes firmes, droite conservatrice et fausse « gauche »).

La position la plus simpliste est de faire croire qu’il faut un fort taux de croissance pour qu’il y ait baisse du chômage : nul ne tient compte des progrès de la robotisation, des jeux des filiales délocalisées, de l’évasion fiscale conduisant au non-réinvestissement, etc. auxquels les grandes firmes ne veulent pas renoncer. On avance le rôle « primordial » des PME-PMI, prétexte traditionnel pour légitimer les mesures antisociales qui bénéficient aux grands groupes.

On va jusqu’à « oublier » le thème de la croissance en invoquant les « lourdeurs » du droit du travail et la complexité du Code du Travail, qui devient facteur décisif du chômage !

Certains juristes, parmi les plus éminents (2), se croient – étrangement – dans l’obligation de porter assistance au gouvernement (et à son opposition) en soutenant cette thèse (quasi-totalement ignorée des économistes) : la complexité du droit du travail serait à l’origine du chômage puisqu’elle handicaperait l’embauche ! A peine publié, d’autres (3) se portent au secours du rapport Combrexelle qui propose « l’institution d’une règle faisant prévaloir les accords collectifs préservant l’emploi sur les contrats de travail, dans l’intérêt général et l’intérêt collectif des salariés ».

Cette pensée qui se veut « moderne » apporte surtout confirmation du fait, comme le souligne A. Supiot, que « l’analyse juridique se ferme trop souvent à l’univers des faits » et que le capitalisme traite à toute époque (croissance et récession) le travail comme un produit marchand, facteur le plus simple d’ajustement à ses besoins exclusifs.

Qui peut nier, en effet, ce que rappelle B. Thibault, que dans 40% des entreprises de plus de 11 salariés, il n’y a aucune représentation du personnel. Et dans 29%, il y a des représentants mais sans étiquette syndicale, soit 69% des entreprises sans présence syndicale, avec des interlocuteurs isolés de toute approche collective(4), autrement dit en position d’extrême faiblesse face aux employeurs.

Il est vrai que les politiciens et nombre de juristes, dans le confort de leur carrière, n’apprécient pas le syndicalisme, particulièrement la CGT, et que, pour eux, la lutte des classes n’est qu’une invention qui n’est plus reconnue comme une réalité permanente que par quelques « dinosaures » de la pensée sociale et de la militance syndicale !

Alors qu’ils dénoncent ce qui ne relèverait plus, à la rigueur, que du XIX° siècle ou du début du XX° siècle, ils apportent des réponses aux problèmes d’aujourd’hui qui ressemblent fort à celles du temps passé !

Les menaces qui pèsent sur le Code du Travail ne sont qu’une nouvelle étape de la régression générale du droit du travail depuis des décennies. Désormais, il s’agit de rejeter la loi, comme source majeure du droit du travail, au seul profit du contrat, tout en mythifiant la négociation entre employeurs et salariés et en lui attribuant toutes les vertus de la « liberté ».

1. La contre-réforme du Code du Travail, une nouvelle étape de la régression sociale.

Le « capitalisme socialisé » (5) du discours gaulliste en vertu duquel chaque salarié devait devenir un investisseur dans l’entreprise a sombré avec l’avènement d’une « crise globale et durable conduisant à la recherche sans cesse accrue d’une « flexibilité » dans les relations de travail et à une contestation du droit du travail perçu comme trop rigide » (6).

La déréglementation portée par les institutions européennes devient la clé de la sortie de crise et d’une politique efficace de l’emploi.

Un vocabulaire neuf accompagne cette politique régressive et vise à lui donner une apparence « moderniste » adaptée à l’air du temps. On parle de plus en plus de « marché du travail » comme si le travail était un bien ou un service comme les autres devant se soumettre aux lois de l’offre et de la demande.

Les termes de « flexibilité » et de « flexisécurité », abondamment utilisés, qui s’opposent à « rigidité » semblent relever d’une exigence bénéfique pour la personne du salarié. L’individualisme libéral mis en exergue, qui n’est qu’une atomisation des relations de travail, semble prolonger dans le monde du travail le droitdelhommisme dominant la vie publique. La formule usitée des « partenaires » sociaux gomme l’affrontement qui est la règle entre des intérêts contradictoires.

La loi du 20 août 2006 qui privilégie la négociation d’entreprise ose se présenter comme « portant rénovation de la démocratie sociale » ! Il s’agirait, selon la Commission Européenne (Livre vert de 2006) de moderniser « le droit du travail » pour relever les défis du XXI° siècle !

S’ajoute, pour le décor, la place accordée au numérique comme expression d’une volonté de « dépoussiérage » (7).

En réalité, depuis les années 1970-1980, correspondant au début de la récession économique, la critique du droit du travail n’a cessé de se renforcer, qu’il s’agisse du Code ou de la jurisprudence, en raison (paradoxalement) de « l’insécurité juridique » que connaîtraient les employeurs (8) ! Le droit du travail est jugé « trop complexe » et handicaperait « la question des ressources humaines » : il n’est plus adapté, comme le souligne l’article 145 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne, à l’aptitude que doit avoir le marché du travail « à réagir rapidement à l’évolution de l’économie ». La stratégie européenne de l’emploi est la « flexisécurité » qui réconcilierait l’inconciliable la souplesse recherchée par l’employeur et la sécurité de l’emploi nécessaire aux salariés !

Il ne s’agit plus essentiellement de « protéger », conformément à la conception historique du droit du travail, arrachée à coup de multiples luttes sociales, mais, par un retour à l’individualisation de la relation de travail, d’offrir aux employeurs un mode de gestion de la main d’œuvre ajusté aux fluctuations de la demande. L’insécurité sociale, l’instabilité de l’emploi, les variations du « volume du travail » par la modulation du temps de travail ou le recours aux contrats précaires, ne sont plus que des problèmes secondaires pour le législateur, quelle que soit sa couleur politique. Mieux, cette fléxisécurité est présentée par certains juristes comme un moyen de réduire la précarité ou tout au moins de l’encadrer (9) !

Le droit du travail est mis au seul service d’une finalité économique et prend le contre-pied de sa construction contemporaine. Le droit du travail est né en réaction à l’industrialisation libérale, portée par le Code Civil de 1804. Le néolibéralisme casse cette construction et procède à un retour aux « origines » : dès les années 1980, le législateur a autorisé par touches successives et dérogations diverses des conventions moins favorables que la loi pour les salariés. Comme l’écrit Bernard Lhubert (10), « la marche arrière serait le propre de ce qui convient pour aller de l’avant » !

C’est à l’issue de cette longue évolution que se situe la contre-réforme du Code du Travail, présentée « opportunément » par MM. Badinter et Antoine Lyon-Caen, comme « une forêt trop obscure et hostile pour qu’on s’y aventure » (11) (…) « le droit du travail jouant ainsi « contre les travailleurs qu’il est censé protéger (sic) (12), alors que « les remèdes sont à portée de mains » : il suffirait d’une « analyse exacte des causes de ce fléau » (p. 9-10) un droit du travail « obèse » et « malade » et d’une « volonté collective d’y remédier » (p. 10). MM. Badinter et Antoine Lyon-Caen semblent être persuadés de tenir le sésame pour accéder à une société de promotion sociale !

2. Le rejet de la loi et la primauté du contrat

L’Institut Montaigne, think thank au service des intérêts dominants, propose de donner toutes les clés des relations de travail à l’entreprise, c’est-à-dire aux employeurs.

La loi, par son caractère général et impersonnel, qui dans une certaine mesure ne peut échapper à des préoccupations d’intérêt général, est nocive par nature. Il s’agit de sortir d’une logique qui « oppose le droit à l’efficacité économique », explique F. Hollande (Conférence de presse du 7 septembre 2015) (13).

MM. Badinter et A. Lyon-Caen, sur la même ligne que le Rapport Combrexelle, que le Président de la République et que celle du Premier Ministre, semblent négliger le fait que c’est par la Loi que les salariés, par avancées et reculs politiques successifs, ont fait reculer l’hostilité ou l’indifférence patronale aux problèmes sociaux. Le droit du Travail, élaboré par le législateur trouve sa complexité dans sa double origine, fondamentalement contradictoire : c’est à la fois une droit conquis par la classe ouvrière contre le patronat et souvent contre le pouvoir exécutif, grâce aux luttes économiques et politiques et un droit imposé aux salariés par les employeurs et leurs alliés politiques.

Lorsque Antoine Lyon-Caen demande de ne pas « s’arc-bouter sur le Code du Travail qui en vingt ans s’est délité ». Il s’agirait d’un « combat perdu d’avance » : « la loi ne doit plus être un instrument des politiques publiques ». C’est aussi ce que recommande le Rapport Combrexelle favorable à un profond recul de la loi (14).

Cette position n’est pas inédite : elle fait partie des vieilles « recettes ». Le professeur Gérard Lyon-Caen en 1980 (15), c’est-à-dire il y a 35 ans, éminent spécialiste du droit du travail, écrivait : « que survienne une crise économique conjoncturelle et structurelle, la tendance à la baisse du profit pousse à utiliser divers moyens qui sont mis en œuvre pour restituer aux entreprises une marge de profit, au détriment si nécessaire des salariés (...). A partir de là, le droit du travail se vide peu à peu de son contenu. La stabilité de l’emploi se mue en son contraire, la précarité de l’emploi. Le chômage ou plutôt le sous-emploi, favorise l’apparition d’un marché parallèle du travail (…), seuls résistent les travailleurs à statut, dénoncés comme « privilégiés », c’est-à-dire menacés de se voir un jour privés de leur statut protecteur (…). Pour sauver l’emploi, il faut réduire le coût de la force de travail, sinon les usines seront transférées ailleurs (…). Ce coût est dénoncé comme responsable du chômage.... ».

Rien de nouveau dans le petit monde des juristes, si ce n’est que les « héritiers » n’ont plus les mêmes aspirations ! Il est paradoxal qu’une étude visant à privilégier le contrat, si souvent simple contrat d’adhésion, s’intitule « le travail et la loi » !

La loi devrait se circonscrire à un « noyau dur » de quelques principes fondamentaux, retenus par consensus. Tout le reste doit pouvoir se négocier entre « partenaires sociaux » compréhensifs.

La lutte des classes, selon les conceptions dans « l’air du temps », n’est encore vivante que pour quelques « dinosaures », ce qui est souvent admis parce que les rapports de force du moment le permettent. Il est piquant de rappeler ce que la CFDT pouvait écrire, il y a quelques années : « la politique contractuelle consacre la prééminence du patronat » (16).

Tandis qu’un juriste, membre du SGEN, le professeur A. Jeammaud, spécialiste de droit du travail, assimilait, en 1978, il est vrai, la « liberté » du travail reconnu aux non-grévistes et la « liberté » contractuelle, en les dénonçant comme toutes deux nocives aux intérêts de l’ensemble des travailleurs, concluant que le Code du Travail est lui-même « le droit du capital », même si par la grâce de la lutte des classes, il est aussi le lieu privilégié d’un certain dépassement du droit patronat (17).

Gérard Lyon-Caen renchérissait en 1980 en soulignant que « défendre le droit du travail (…) est indispensable, pour les travailleurs d’abord, mais aussi pour la société toute entière, car son droit est lié à celui de la démocratie » (18).

Réduire le rôle de la loi, c’est conforter le pouvoir des dominants privilégiés à tous les niveaux. « Seule le retour improbable du politique (c’est-à-dire de la loi) permettra de redécouvrir les voies d’un développement plus équilibré », affirme J. Peyrelevade (19). Au contraire, l’entreprise en cours de « désinstitution » ne peut conduire qu’à de nouvelles fractures et à la violence.

La fin de la loi, c’est la mort de l’État Social, car la loi n’est pas forcément sociale, mais le contrat ne l’est pratiquement jamais. Le contrat, selon les libéraux, lie des personnes égales qui souscrivent librement à leurs obligations réciproques. L’égalité entre « partenaires » dans le monde du travail n’a pas d’existence et le propre des contrats est d’assujettir une partie aux intérêts de l’autre. Leur objet même est de « légitimer l’exercice du pouvoir » patronal (20).

C’est seulement lorsque la loi prend en charge les aspects incalculables de la vie humaine que le contrat peut être conçu comme un instrument de calcul rationnel, un rapport abstrait et indépendant des personnes qui contractent et des choses sur lesquelles il porte » (21). Or ce n’est pas le cas.

Dans le rapport Combrexelle, « les lois se vident de règles substantielles au profit de règles de négociation » (22). A l’exception de quelques « principes fondamentaux », tout le reste sera négociable (23) , car le « temps de la liberté » est arrivé ! Selon Le Monde (24), en effet, « le temps est venu de laisser plus de place aux syndicats de salariés et d’employeurs pour qu’ils définissent eux-mêmes des règles applicables dans les entreprises ». « L’idéal » néolibéral est que chaque entreprise ait son propre Code du travail !!

La 26° proposition du Rapport Combrexelle (sur les 44 qu’il contient) est en effet « la plus osée » selon les termes mêmes du journal Les Échos.

C’en est fini de la classique hiérarchie des normes enseignée dans les Facultés de Droit.

Le Droit du travail serait fondé sur quelques dispositions légales (reprenant notamment celles de l’OIT qui sont établies sur l’analyse des conditions de travail de tous les pays du monde, quel que soit leur niveau) ; viendraient ensuite les dispositions contractuelles issues des négociations collectives puis enfin quelques dispositions « supplémentaires », en cas d’échec de ces négociations.

L’ordre public établi par la loi serait donc extrêmement résiduel, tandis que l’ordre social établi essentiellement par voie contractuelle serait le résultat des rapports de force.

3. La mythification de la négociation et le déni de la réalité sociale

Dans le monde du travail, le néoconservatisme redonne aux rapports de force une pleine légitimité : les richesses appartiennent à ceux qui les conquièrent, conformément aux « lois de la nature » ! A cette violence primitive s’ajoute le pseudo-modernisme qu’apportent les progrès technologiques. « La science trouve, l’industrie applique, l’homme s’adapte », qui constituait la devise de l’Exposition universelle de 1933, est adoptée pour justifier l’idéologie-mode de la gestion scientifique de l’humain. La déconstruction de tout le droit social, édifié hier sur le doute méthodique du consentement du faible à la volonté du fort, s’impose donc aujourd’hui, stimulée par la mise en concurrence des législations sociales qui est engagée (particulièrement dans l’Union Européenne) dans une course à la baisse de tous les droits des travailleurs (25).

Le rapport Combrexelle et une partie de la doctrine juridique(26) intègrent cette évolution remettant en cause tout ce qui s’était édifié aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. A la différence des années 1930, on ne récuse plus le droit dans son ensemble, on l’exalte au contraire mais on le confine au niveau individuel.

Les syndicats font l’objet, en toutes occasions, des critiques les plus sévères et tout en les discréditant par les voies les plus médiatiques, on feint de regretter leurs faiblesses. Le rapport Combrexelle va plus loin : il donne des leçons « les partenaires sociaux doivent se réformer profondément dans leurs pratiques et leur mode de pensée » afin de « lever le manque de confiance qui prévaut entre eux » !

En réalité, cette faiblesse crée les conditions que recherchent systématiquement les employeurs et leurs satellites pour liquider les barrières protectrices des salariés qui se trouvent dans le Code du Travail.

Il faut rappeler que remplacer le droit par la puissance aléatoire des contrats d’entreprise, dictés par les managers et les actionnaires, n’est concevable précisément que parce que le syndicalisme français insuffisamment complaisant fait l’objet de toutes les attaques et qu’il en sort affaibli. On constate aussi la division des syndicats de salariés face à l’unité, au moins relative, des forces patronales. Parmi ces syndicats, certains sont trop proches des pouvoirs politiques qui poussent aux compromis.

Par ailleurs, la « découverte » actuelle de la nécessité des accords d’entreprise néglige le fait qu’il y a 40.000 accords d’entreprise chaque année en France ! Leur « défaut », sans doute, pour les néolibéraux, c’est qu’ils ne peuvent s’inscrire que dans le cadre de la loi à laquelle on ne peut déroger, sauf pour une amélioration de la situation des salariés.

Le rapport Combrexelle propose un « grand bond » social en arrière !

Le chantage à l’emploi est tel que les conditions sont réunies, y compris dans l’esprit de bon nombre de salariés, pour une véritable contre-révolution juridique.

Si la négociation est aujourd’hui valorisée en général, alors qu’elle ne l’est pas dans les cas particuliers où les travailleurs sont fortement mobilisés et soutiennent leurs représentants, c’est qu’elle ouvre la voie à de nombreuses redditions : la suppression de plancher pour les salaires, de plafond pour la durée du travail, de la dissolution des règles de sécurité et d’hygiène, la réduction des majorations de paiement des heures supplémentaires, etc. La négociation permettra d’imposer des accords plus défavorables aux salariés que la loi interdit aujourd’hui.

Il n’y aurait plus que 100 branches sur les 700 actuelles. Un certain nombre de conventions collectives fixeraient les « dispositions supplétives » en retrait sur les dispositions actuelles, à défaut d’accords d’entreprise.

Les accords d’entreprise clé de la contre-réforme, devront être « majoritaires » (appui des syndicats représentant au moins 50% des voix, contre 30 actuellement) : la politique patronale et gouvernementale sera axée sur un renforcement, si possible, des clivages entre syndicats par toutes les manipulations concevables.

La technique du référendum, sous pression des directions du personnel et les menaces de restructuration ou de délocalisation, devra permettre de court-circuiter la volonté syndicale.

Dans les PME, les employeurs sauront trouver des salariés pour négocier et signer ce qui leur sera demandé.

Ainsi, se projette une « décentralisation » de la régulation du travail, faussement librement consentie par des négociateurs dont les intérêts réels s’opposent le plus souvent. C’est ainsi que les « contre-réformateurs » envisagent de régler les problèmes d’une société en crise profonde. Le professeur Gérard Lyon-Caen écrivait en 1980 : « c’est dans le sens d’un renforcement des droits démocratiques hors et dans l’entreprise que se fera la sortie de crise et que pourra reprendre l’essor du droit du travail (27).

Les projets actuels accélèrent la marche vers une jungle toujours plus brutale et tendent à approfondir une régression sociale généralisée. Le droit du travail, lieu traditionnel grâce aux luttes sociales, d’un certain dépassement du droit bourgeois, risque de redevenir le droit exclusif du capital.

Notes :

1) Face à la stagnation à un niveau très faible de la croissance dans l’ensemble des pays capitalistes développés et donc à un éloignement de la « solution » au chômage mise en avant jusque-là, la pensée économique dominante tend à ne plus s’en remettre à cette seule croissance en s’orientant vers d’autres fausses « recettes » moins dogmatiques mais tout aussi illusoires.
2) Cf. R. Badinter – A. Lyon-Caen. Le travail et le droit. Dalloz. 2015.
3) Cf. L’article du professeur J.E. Ray dans Le Monde du 22 septembre 2015 qui appelle à « réfléchir » sur la position des syndicats hostiles à la « flexibilité conventionnelle » et de citer en exemple positif, les pays de l’Union Européenne qui autorisent les cadres notamment à négocier individuellement leurs conditions de travail.
4) « Le Code du travail est fait pour protéger les salariés ». L’Humanité. 17 septembre 2015.
5) Voir Gérard Lyon-Caen. Droit Social. 1986, 290.
6) Voir P. Reis. « La V° République et le droit du travail : quel bilan ? » In R. Charvin. VI° République contre la régression générale. Les Amis de la Liberté. 2014.
7) La page de garde du petit livre de MM. Badinter et Antoine Lyon-Caen, Le Travail et la Loi, est illustrée d’un dessin de Plantu intitulé « Liberté, égalité et dépoussiérage » !
8) Voir B. Teyssié. « Sur la sécurité juridique en droit du travail » (Droit Social, juillet-août 2006, p. 705), et le Rapport du Conseil d’État pour 2006 « Sécurité juridique et complexité du droit ». EDCE, La Documentation française. 2006.
A. Mazeaud. « La sécurité juridique et les décisions du juge ». Droit Social, n° 7-8. 2006, p. 744.
9) Voir P. Cahuc, F. Kramarz. « De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle ». La Documentation française. 2005.
10) Cf. B. Lhubert, préface M. Dumas. Coups de gueule... et inconvenances. 2012, p. 151.
11) Cf. Le travail et la loi. op. cit. Le procès du Code du Travail s’agrémente de son caractère trop « volumineux » et de la nécessaire « adaptation des uns aux autres », autrement dit des employeurs et des salariés (p. 15), le tout présenté comme le moyen de combattre le chômage de masse (p.7).
12) On constate que le plus « volumineux » et infiniment plus obscur Code des Impôts échappe à la vindicte des néolibéraux (et de la plupart des juristes) de même que le très obscure « droit des marchés publics » qui ouvre la porte à de nombreuses illégalités favorables aux milieux d’affaires.
13) On s’interroge sur le contenu de la notion « d’efficacité économique » : s’agit-il de réaliser une croissance sans préoccupation de la redistribution, de majorer la compétitivité sans considération pour les conditions de travail et les retombées sociales. Comment expliquer que cette « efficacité » ne soit pas liée au combat contre l’évasion et la fraude fiscales et à la liquidation des paradis fiscaux et des holdings qui dissimulent les profits au fisc ?
14)Voir l’Humanité. 17 septembre 2015.
15) Voir. « La crise actuelle du droit du travail », in Le droit capitaliste du travail. PUG. 1980, collection Critique du Droit, p. 263-264). Il est à noter qu’Antoine Lyon-Caen, en ces temps éloignés, était aussi membre de l’Association « Critique du Droit », de sensibilité marxiste !
16) Cf. « Le droit du travail dans la lutte des classes ». CFDT. Aujourd’hui, n° 23, janvier-février 1977, p. 3-6.
17)Cf. A. Jeammaud. « Droit du travail et/ou Droit du capital », in Procès (revue d’analyse politique et juridique). 1978, n°2.
18) Le droit capitaliste du travail. op. cit. p. 271.
19) Le capitalisme total. Ed. Seuil. 2005, p. 10.
20) Voir A. Supiot in Homo juridicus. Seuil. 2005, qui parle de « contrat de dépendance », particulièrement lorsque c’est la loi qui impose la voie contractuelle. L’auteur ajoute que ce type de contrat est de « facture féodale », p. 167 et s.
21) A. Supiot. Homo juridicus. op. cit. p. 167.
22)Cf. A. Supiot. op. cit, p. 167.
23) MM. Badinter et Antoine Lyon-Caen reproduisent dans leur ouvrage le même schéma, en se basant sur l’idée de la nécessaire et fondamentale « liberté d’initiative de l’entrepreneur » et de « l’efficacité du travail qui requièrent des normes encadrant le pouvoir de l’entreprise, mais s’imposent aussi aux aspirations individuelles des salariés ». Le Code du travail pourrait se limiter à 50 articles généraux dont la plupart sont cependant tellement vagues qu’ils peuvent aisément être interprétés de manière défavorable aux plus faibles des « partenaires sociaux ». Par exemple, « les différences de traitement entre salariés dans l’entreprise ne sont admissibles qu’à condition de répondre à un but légitime » (art. 5) ; « le contrat à durée déterminée permet de répondre aux besoins temporaires de l’entreprise » (art. 9) ; « tout CDI peut comporter une période d’essai raisonnable » (art. 14) ; « la durée quotidienne et la durée hebdomadaire de travail ne peuvent dépasser les limites fixées par la loi ; ces limites sont susceptibles de dérogation par voie d’accord collectif » (art 33) ; « l’employeur et le salarié disposant d’une liberté d’organisation de son travail peuvent convenir d’une rémunération mensuelle forfaitaire incluant le paiement d’un nombre déterminé d’heures supplémentaires », etc.
24) Voir Le Monde, 9 septembre 2015.
25)Voir sur ces questions. A. Supiot. L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total. Seuil. 2010.
26) Les juristes, spécialistes de droit du travail, jouent souvent aux naïfs : ils se proclament champions des « équilibres » sociaux sans prendre en compte les déséquilibres profonds des rapports sociaux, particulièrement en période de crise. B. Thibaut leur répond en rappelant qu’ « on n’est pas dans une sociétés de Bisounours » !
27) Le droit capitaliste du travail. op. cit. p. 271. 

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